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Expulsion d’Italie vers la Tunisie d’une personne accusée de terrorisme (CEDH, 24 février 2009, Ben Khemais c. Italie) par Nicolas Hervieu

Publié le 26 février 2009 par Combatsdh

Un ressortissant tunisien fut condamné en Italie à une peine de prison au terme de laquelle il devait être expulsé du territoire italien. Presque concomitamment, il fut condamné en Tunisie par contumace à 10 ans d’emprisonnement pour appartenance à une organisation terroriste, et ce, sur la seule foi du témoignage de son coaccusé en Tunisie qui aurait été torturé et condamné sans l’assistance d’un avocat. L’intéressé a déposé une requête devant la Cour européenne alléguant que son expulsion l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 de la part des autorités tunisiennes et dont l’Italie serait responsable “par ricochet” (Nassim Saadi c. Italie, Requête no 37201/06, 28 février 2008).

Par la suite, la Cour adopté une mesure provisoire (Art. 39 du règlement de la Cour) demandant la suspension de l’expulsion le temps qu’il soit statué sur le fond de la requête.

L’arrêt de Grande Chambre du 28 février 2008 dans lequel la Cour avait estimé que l’expulsion par l’Italie d’un autre tunisien serait constitutif d’une violation de l’article 3 fut également mentionné par les autorités de la Cour à l’appui de la présente affaire  ). Pourtant, et malgré de nouvelles actions en urgence de la part de la Cour, l’Italie procéda à l’expulsion du requérant vers la Tunisie.

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Ben Khemais c. Italie (Cour EDH, 2e sect. req. n° 246/07 ) du 24 février 2009

Lettre Droits-libertés par Nicolas Hervieu

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Pour un commentaire plus long de cet arrêt par Nicolas Hervieu voir sur Droits-libertés

Après un premier refus très net dans l’arrêt Nassim Saadi, la Cour s’oppose de nouveau très fermement à l’argumentation de l’Italie en « réaffirm[ant] l’impossibilité de mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs invoqués pour l’expulsion [en l’occurrence, la lutte contre le terrorisme] afin de déterminer si la responsabilité d’un Etat est engagée sur le terrain de l’article 3 » (§ 53). Dès lors, la seule et unique voie ouverte par les juges européens consiste, pour l’Etat défendeur, à prouver que le requérant ne risquait pas d’être exposé à des tortures sur le territoire tunisien.

A cet égard, la Cour renvoie au récent - et désastreux - constat établi dans l’arrêt de 2008 concernant la situation en Tunisie (§ 54). Elle énonce ensuite qu’elle « ne voit en l’espèce aucune raison de revenir sur ces conclusions, qui se trouvent d’ailleurs confirmées par le rapport 2008 d’Amnesty International relatif à la Tunisie » (§ 56), ce dernier démontrant qu’il existe un « risque réel de voir le requérant subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en Tunisie » (§ 46). Par ailleurs, si la Cour ne dénie pas, par principe, tout intérêt aux « assurances diplomatiques fournies par les autorités tunisiennes » qui garantissent l’absence de mauvais traitements (§ 46), elle confirme leur valeur relative (« le poids à accorder aux assurances émanant de l’Etat de destination dépend en effet, dans chaque cas, des circonstances prévalant à l’époque considérée » - § 57). Or, à l’aune de différentes sources, en particulier les rapports d’organisations non-gouvernementales, la Cour constate l’insuffisance de ces assurances pour écarter tout risque de traitements contraires à l’article 3 (§ 61) et souligne l’inquiétante l’incertitude qui pèse sur le sort actuel et futur du requérant, aujourd’hui dans les mains des autorités tunisiennes (§ 64). Notons aussi la désinvolture de l’Italie, dénoncée par la Cour, qui a procédé à l’expulsion avant même de recevoir ces assurances diplomatiques (§ 86). Partant, la Cour condamne l’Italie pour violation de l’article 3.

Le juge strasbourgeois ne dissimule guère son vif mécontentement face à l’attitude de l’Etat italien qui a expulsé le requérant au mépris de la mesure provisoire mais aussi, indirectement, de l’arrêt Nassim Saadi. La Cour met donc l’Italie à l’index en soulignant que « les affaires dans lesquelles les Etats ne se sont pas conformés aux mesures indiquées sont rares » (§ 80). Après avoir rappelé les principes qui justifient le respect, en toutes circonstances, des mesures provisoires (§ 81 à 83), les juge européens constatent vertement que l’expulsion a empêché le requérant - aujourd’hui injoignable - de se défendre et « que l’arrêt de la Cour risque d’être privé de tout effet utile ». Dès lors, l’expulsion « a constitué une entrave à l’exercice effectif par le requérant de son droit de recours individuel garanti par l’article 34 de la Convention, droit que son expulsion a réduit à néant » (§ 87). Les limites du pouvoir de la Cour sont cependant cruellement rappelée par cette affaire en ce que le respect de ses décisions face à une situation d’urgence repose encore beaucoup sur le bon vouloir des Etats.

 

Ben Khemais c. Italie (Cour EDH, 2e sect. req. n° 246/07 ) du 24 février 2009

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Communiqué de presse

Dans l’affaire Ben Khemais c. Italie, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants) en raison de l’expulsion du requérant vers la Tunisie où il a été condamné pour appartenance à une organisation terroriste et à la violation de l’article 34 (droit de requête individuelle) concernant le non-respect par l’Italie de la mesure provisoire indiquée en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour.

Presse :

  • HRW:  Italie : Il faut stopper l’expulsion d’un Tunisien qui court le risque d’être torturé. Le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme doit être respecté,  Juin 2, 2008
  • Un Tunisien extradé d’Italie déféré devant le tribunal militaire de Tunis , Tunisia watch, 06/06/2008

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