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Désir de rupture n°23 : Organisation territoriale, le débat

Publié le 02 mars 2009 par Toreador

Avec quelques Kiwis (Gaulliste libre, Ca Réagit, Pierre Catalan, Chafouin), nous avons décidé de nous lancer sur le sujet de l’organisation territoriale. Voici le billet le plus long de l’histoire du blog…

Le Débat : Partie I

(du rapport Balladur et des critiques qu’on peut y faire)

Rapport Balladur : 16/20

En voilà un bon rapport : la polémique stérile née autour du rapport Balladur est microscopique au regard des propositions sensées et courageuses entérinées par les membres bipartisans de la commission. Je ne puis qu’approuver les principales recommandations : le regroupement des Régions, la fusion conseillers départementaux/régionaux (voilà qui devrait nous faire faire des économies), l’achèvement de l’intercommunalité (prôner la suppression de la commune aurait été cependant plus courageux), la création de 11 métropoles, l’émergence du grand Paris (enfin Neuilly paiera pour le 93…).

Seules 4 propositions sur 20 n’ont pas été votées par la Gauche, hélas pour des motifs à mon sens essentiellement politiciens. Il s’agit de celles portant sur le maintien aux seules communes de la clause de compétence générale, la création du Grand Paris, l’élection lors du même scrutin des conseillers départementaux et régionaux, et le transfert de compétences départementales aux « Métropoles » dont le rapport propose la création. Son argumentaire est disponible ici.

Père, gardez vous à gauche !

Les critiques qui ont été faites me semblent dénuées pour la plupart de fondement. A Gauche, j’ai pu lire un bon billet sur un blog MJS expliquant la “différence de nature” entre département et région. Il y est écrit :  “Vouloir regrouper ces deux collectivités serait une absurdité (…) Mélanger ces deux institutions c’est mélanger deux logiques institutionnelles, deux logiques politiques : « la politique de terrain » et la « politique de long terme ». Si on veut tuer l’innovation en France on mélange le département et la région.”

Le MJS confond selon moi l’institution et les gens qui l’habitent. On y affirme que l’élection simultanée des conseillers départementaux et des conseillers régionaux entraînera la mort du département, ce qui est déjà à tout le moins un postulat.

Ensuite, le billet cite les länders allemands pour appuyer son propos. Or, c’est justement passer sous silence qu’en Allemagne, il n’y a qu’un seul niveau régional fort (le länder) et pas un second niveau “infra”.

Pour le moment, on peut très bien avoir 2 niveaux d’institutions avec des gens ayant un pied dans chaque. Voilà qui aidera au moins à les faire coopérer.

Enfin, je ne suis pas d’accord avec la version “gelée” des compétences. Lorsque les départements ont été créés sous Napoléon, ils n’avaient pas un “rôle d’équipement public” à jouer. Qui nous dit que demain, ces départements devront jouer le même rôle ? Et pourquoi dans ce cas les bloquer à tout jamais dans le formol ?

Une autre critique lue à gauche est que la fusion des deux élections revient à revenir sur la régionalisation. On a du mal à y voir clair entre les socialistes qui sont contre ce point parce qu’il supprime le département et ceux qui n’en veulent pas parce qu’il porte atteinte à la régionalisation. Néanmoins, l’argument de Mauroy & cie est plus sérieux : qui dit élection jumelée dit risque de cantonalisation des régions. Mais dans ce cas, si on suit ce raisonnement, il faudrait faire élire le Parlement au suffrage proportionnel national ?!

Père, gardez vous à droite !

A droite évidemment, nul ne critiquera. A l’extrême droite, il en va différemment : un blog du FN s’oppose aux “régions de taille européenne” en expliquant : la réduction du nombre des régions métropolitaines de 22 à 15, avec l’objectif avoué de créer des régions « de taille européenne », s’inscrit dans l’inadmissible plan de démantèlement des nations que les eurocrates poursuivent avec détermination.”

Là encore, on a affaire à un postulat. Mais ce postulat là est pour le moins sophiste, à défaut d’être sophistiqué. D’abord parce que créer des régions de taille européenne, c’est bien expliquer qu’on veut pouvoir rentrer en compétition avec les autres, donc réaffirmer en fait qu’il faut protéger les intérêts français. Ensuite parce que bloquer une fusion économiquement sensée au motif qu’on est hostile au principe même de région, c’est se tromper de débat.

Les critiques de fond

Après, évidemment, on peut discuter des modalités. Les arguments du Croydan - que j’ai découvert par hasard - sont relativement sensés. Pays de la Loire, que je connais bien, n’a aucune existence “affective” ou “culturelle”. Dès lors pourquoi dépecer Poitou-Charentes à son profit ? Sans doute parce que François Fillon vient du Mans, et pas de Saint-Maixent-l’Ecole. En même temps, Croydan connaît mal son histoire : La région Poitou-Charentes regroupe quatre départements : Charente, Charente-Maritime, Deux-Sèvres et Vienne qui n’avaient jamais entièrement été reliés au cours de leur histoire, ni par les découpages politiques, ni par les institutions religieuses.

En réalité, ce type d’argumentation conduit à s’interroger sur la notion identitaire et l’affect qui gouverne ce type de réforme. Et de porter mes critiques.

Tout d’abord, celui de la compétence des collectivités. Seules les communes et les agglomérations préserveraient tous leurs niveaux d’intervention avec «la clause générale de compétence». En revanche, les attributions des départements et des régions seraient spécialisées. L’objectif est d’éviter que l’ensemble des compétences soient partagées par toutes les collectivités. Les dissidents de la Commission Balladur sont contre. Pour ma part, je suis d’avis inverse : les régions devraient être l’échelon véritablement opérationnel de la décentralisation, et avoir une compétence générale. A l’inverse, départements et communes devraient avoir une compétence spécialisée.

L’autre critique que je ferais est celle portant sur le contrôle des collectivités. Il aurait été intéressant d’englober dans le champ de la réforme celle des Chambres régionales des comptes, dont les pouvoirs ont été rognés ces dernières années. Vu l’importance des sommes maniées, il faudrait que des moyens d’investigation indépendants et réels soient donnés à ces juridictions.

Le Débat, partie II :

De l’analyse des collectivités territoriales

Qu’est ce qu’une collectivité ?

Une collectivité procède d’abord d’un héritage identitaire. Communes de l’Ancien Régime, départements révolutionnaires, anciennes provinces et fiefs, tous ces segments territoriaux sont le théâtre d’une transmission et d’une histoire. Voilà pourquoi leur réorganisation est plus facile par l’addition que par la soustraction, puisque la suppression coupe le fil de l’histoire et de la culture d’un territoire.

Ensuite, une collectivité permet d’organiser le vivre ensemble à l’échelon local.

On peut distinguer plusieurs types de collectivités :
- celles qui permettent de collectiviser des services publics dont chacun profite (les ordures ménagères) à un niveau local très restreint ;
- celles qui permettent d’organiser ou de mettre en place un aménagement du territoire lié à un développement économique.

On peut donc parler de collectivités de service, tournées vers l’usager, et de collectivités d’aménagement, orientées vers les entreprises.

Collectivités identitaires, collectivités de service, collectivités d’aménagement, n’ont pas la même taille nécessairement et ne recouvrent pas le même territoire.

Trois concepts divergents

L’identité notamment est un concept très changeant, chaque fragment de population ayant une idée plus ou moins large de cette dernière. Ainsi, les Vendéens sont très à l’aise dans la structure départementale, même si elle ne recoupe pas totalement leur histoire, alors qu’ils ont relativement peu d’affection pour l’identité communale (comme la Roche sur Yon) et surtout Régionale (la région Pays de la Loire est faite de bric et de broc). A l’inverse, dans le Sud, l’identité communale a un sens pour des villes comme Nice ou Marseille, et l’identité départementale varie selon les endroits. Ainsi, le degré d’affection pour les Bouches du Rhône est à peu près nul, ce qui contraste avec le département des Alpes maritimes en cela qu’il recoupe l’ancien comté de Nice. L’identité régionale, elle, renvoie à un sentiment puissant d’appartenance (la Provence).

L’introduction du concept de pays par Charles Pasqua, sans institutions politiques attachées, répondait à ce besoin, à un échelon infra-départemental cependant.

Le service, lui, est un concept dichotomique. Au niveau de son utilisation, le citoyen espère un service qui soit le plus personnalisé possible, et donc le plus proche de lui. On préfère en matière scolaire les petits ensembles aux grands complexes anonymes. On attend que le car de desserte de l’école ou l’autocar régional desserve son domicile, au plus près possible. On espère qu’une crèche ouvrira dans son quartier.

Or, au niveau de son financement, c’est l’inverse : il n’y a pas forcément adéquation entre le potentiel fiscal qui permet de financer le service et les heureux utilisateurs de ce dernier. Le contribuable accepte de payer pour le service qui le concerne directement, et est plus égoïste pour le partage, un réflexe naturel.

L’aménagement du territoire, enfin,  est un concept complexe, car il suppose de prendre du recul par rapport au territoire, pour en voir les forces et les faiblesses, mais aussi se dégager des lobbies. Il nécessite cependant d’en être suffisamment près si on veut avoir une plus value par rapport à l’Etat central.

Au niveau de son financement, il nécessite une contribution du niveau national qui doit de toute façon garder un rôle de pilotage. L’aménagement du territoire dépasse l’entretien des routes – finalement, ce dernier peut être assurément exercé par n’importe quel niveau, pourvu que le financement soit possible. Il intègre aussi le développement économique, dans un cadre de concurrence sans cesse accrue entre les territoires.

Le Débat, partie III

Le Rapport Toréador

En fonction de ces éléments d’analyse, que puis-je proposer ? Trois types de collectivités, correspondant à chacun des trois besoins.

Les collectivités identitaires

Quel nom donner aux collectivités identitaires ? Celui-ci pourrait être libre et, suivant la taille de la collectivité, prendre le nom de commune, de territoire ou de pays. Ces collectivités locales identitaires auraient besoin d’un budget, même si leurs activités auraient un moindre coût que celles des autres types de collectivité.

Leur mission initiale serait la mémoire, la transmission et la protection d’un patrimoine culturel. Voilà pourquoi, si l’on devait penser les actions et le financement de ces collectivités locales, il faudrait essentiellement recenser des domaines comme :
- Les musées régionaux
- L’entretien du patrimoine régional
- Le tourisme culturel
- Les festivals locaux, l’animation culturelle

Cette activité générale, que l’on pourrait qualifier d’économico-culturelle, peut se passer cependant d’un échelon politique. En effet, voilà des questions qui n’ont pas grand-chose en commun avec le clivage politique. Il ne saurait y avoir, et en particulier à l’échelon local, de politique du patrimoine « de gauche » ou « de droite ». En revanche, s’agissant d’identité, imposer un pilote par en haut apparaît contradictoire avec la nécessité de coaguler la participation des habitants.

Ces collectivités locales n’auraient pas de taille standard prédéfinie, même si une fourchette devrait être établie pour encadrer leur création.

Le meilleur type d’organisation serait donc un établissement public, cofinancé par l’Etat et les contribuables (taxe d’habitation), à la tête duquel se trouverait un directeur nommé par le Premier ministre, après avis conforme d’un Comité composé paritairement de citoyens et d’administrateurs nommés par l’Etat. Les citoyens intéressés pourraient participer aux assemblées générales de cet établissement public d’un genre nouveau, financé par des taxes locales, et s’organiseraient pour élire des représentants au Comité. Les établissements publics seraient sous la double tutelle des préfets et des présidents de province.

En termes de budget (chiffres de 2006), la part TH des communes et des groupements de communes affectée désormais aux seules collectivités identitaires représenterait 9,4 Md€. En affectant la totalité de la TH, on atteindrait un budget potentiel de 13,97 Md€ (part du département réaffectée).

Les collectivités de service de proximité

S’agissant des collectivités de service, les préférences diffèrent d’un espace à l’autre, et donc aussi la nature du choix politique et le financement des services proposés. La taille la plus optimale serait celle des actuelles communautés de commune, relabellisées « conseils cantonaux », qui pourraient lever des impôts liés aux services rendus : la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (4,6 Md€) ; taxe de balayage, lorsqu’elles assurent le balayage de la superficie des voies livrées à la circulation publique qui incombe aux propriétaires riverains ; taxes spéciales d’équipement perçues au profit des établissements publics ; taxe de trottoirs ; la taxe de pavage ; l’imposition forfaitaire sur les pylônes électriques.

Ces conseils cantonaux seraient également en charge des services de crèche, d’aide à la personne (services sociaux), et de l’état civil.

Le coût administratif de ces collectivités de service serait, lui, financé par des taxes directes liées à la richesse de ses habitants, nommément la taxe foncière (19,6 Md€ en 2006) et une part cantonale de l’impôt sur le revenu. En revanche ces conseils cantonaux ne s’occuperaient pas de taxe professionnelle. Une dotation en fonctionnement versée par l’Etat serait calculée de manière à assurer à chaque collectivité un niveau égal par habitant de revenu.

Les cantons et les territoires, pays, ou communes, auraient deux organisations différenciées, sans que l’un puisse se superposer à l’autre, ou englober l’autre. Les Conseils cantonaux seraient élus démocratiquement, avec un maire chargé d’en diriger l’action.

Les collectivités d’ingéniérie territoriale

La vocation territoriale ou économique du troisième échelon que j’appellerai “provinces” justifierait qu’elles soient dirigées par des Conseils véritablement « généraux ». La mission première de ces conseils serait la mise en valeur des territoires :
- Développement économique et investissement
- Aménagement du réseau routier et des transports
- Education professionnelle (lycées techniques, centres de formation, …). La filière générale de l’éducation nationale reviendrait au giron de l’Etat (écoles, collèges, lycées).
- Universités

Les ressources de ces provinces auraient trait à l’activité économique et à l’aménagement du territoire :
- Taxe professionnelle (26,7 Md€)
- Taxes sur les sociétés d’autoroute
- Fraction provinciale de l’impôt sur les sociétés
- Taxes d’urbanisme
- Taxe sur l’apprentissage

Les provinces seraient administrées par des présidents élus au scrutin majoritaire direct, ayant la tutelle des établissements publics identitaires, conjointement avec les préfets de région. Le législatif local, lui, serait composé des conseillers cantonaux.

Voilà, c’est la fin de ce long billet. A vous de réagir !


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