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Orphée et Telemann à la porte de Pantin

Publié le 28 janvier 2009 par Gabrielsiven
Après le théâtre de Paris-Villette, place à la Cité de la Musique, située juste en face. Comme chacun sait, la programmation éclectique de sa salle de concert est d’une très grande qualité.
Ce qu’on sait moins, c’est qu’il est possible d’assister aux dits concerts pour trois fois rien, soit 9 euros.
Le précieux sésame s’appelle carte jeune (gratuite). Comme son nom l’indique, elle comporte une limite d’âge (28 ans), plutôt honnête en comparaison d’autres institutions culturelles ou même de la SNCF.
Une de mes bonnes résolutions 2009 étant de « profiter de tout ce à quoi j’ai encore droit avant qu’il soit trop tard » - dans la limite du raisonnable évidemment – j’ai étrenné ma carte flambant neuve le 6 Janvier lors de la représentation de l’opéra Orphée de Telemann, en compagnie de Finette, incomparable débusqueuse de bons plans.

Ma culture musicale ressemblant à un chétif enfant souffreteux, je ferai court : Georg Philip Telemann mérite d’être (davantage) connu.
Contemporain de JS Bach, Telemann (1681-1767) incarne le « style galant », fait de mélodies plus gracieuses que savantes, qui occupe le devant de la scène quand le Baroque jette ses derniers feux, avant que la période classique ne prenne son envol.
Orphée, avec ses grands airs en italien, ses chœurs de nymphes en français et ses récitatifs* en allemand (afin que tout le monde suive l’action), illustre bien la capacité de Telemann à tirer son inspiration de sources diverses. Les mélodies aériennes extrêmement séduisantes n’y manquent pas.
Afin de donner davantage de saveur au mythe, les auteurs de la tragédie dont Telemann s’inspire, Michel du Boulay et Lully fils, rendent la reine de Thrace amoureuse d’Orphée. On doit à cette Orasie de nombreux airs colériques accompagnés d’accords dissonants et de cordes rageuses.
Le thème du triangle amoureux éclipse quelque peu celui du pouvoir de la musique, même si l’amour qu’Orphée inspire découle des charmes de sa lyre.
Cette relecture du mythe insiste notamment sur le caractère bienfaisant d’une nature idyllique où l’homme trouve le repos et vit en paix. La cour en revanche, qu’Orphée tient en horreur, est présentée comme le lieu des complots et de l’hypocrisie.
Ces accents rousseauistes avant la lettre sont absents du mythe grec, où deux façons de communiquer avec la divinité s’opposent : le lyrisme orphique et l’enthousiasme dionysiaque. A la transe lors de laquelle « la créature humaine joue le dieu, et aussi bien le dieu, au-dedans du fidèle, joue l’homme »**, l’orphisme oppose un homme qui en se purifiant par son refus du sacrifice sanglant, gomme le fossé qui le sépare des dieux.
Alors que la musique d’Orphée est suffisamment divine pour charmer Pluton et Proserpine, les Bacchantes qui déchirent son corps comme des bêtes sauvages quand Dionysos prend possession d’elles, vivent dans les bois, se nourrissant de chair crue comme les animaux.
Dans les deux cas, la frontière entre les hommes et les dieux est abolie : Orphée, tel un dieu, peut aller et venir aux Enfers et en ressortir vivant ; Bacchus, en chevauchant les ménades, foule de ses propres pieds la terre des forêts.

Orasie est d’ailleurs semblable à ces femmes, quand elle s’écrie vouloir la mort d’Orphée, fût-ce de ses propres mains. Il existe une sorte de gradation de l’animal au divin, d’Orasie, que sa passion emporte, au détriment du gouvernement de son royaume, à Orphée, mortel doté d’un don particulier qui l’élève au-dessus de ses semblables, et à Eurydice la nymphe.
Le geste d’Orphée se retournant pour vérifier qu’Eurydice le suit peut être lu comme une preuve de la force de sa passion, exact opposé de l’amour à sens unique d’Orasie, prête à sacrifier l’autre plutôt qu’elle-même. Mais c’est également la manifestation de la condition humaine d’Orphée, qui ne parvient finalement pas à infléchir le destin de celle qu’il aime.
*Morceau musical pour voix dont la ligne mélodique suit le rythme de la parole.
**J.-P. Vernant, Mythe et religion dans la Grèce Ancienne, la Librairie du Xxème siècle, seuil, p. 100. Un petit livre savant et agréable à lire.

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