Magazine Humeur

Baisse d’impôts, belle affaire

Publié le 05 mars 2009 par Vogelsong @Vogelsong

Un griffonnage sur une nappe entre deux renvois gastriques. C’est sur ces fondements que tient la doctrine fiscale des libéraux. Elle irrigue la pensée économique “moderne” depuis le début des années 80. S’y mélangent allègrement effort supposé, maximisation fiscale, approche partisane pour le plus grand service des fortunes. La droite et la gauche françaises ont largement puisé dans ces oracles idéologiques venus d’outre-Atlantique. On en paie encore les conséquences.

L’incitation à l’effort comme prétexte

42-21294860
Il n’est pas une discussion sur la fiscalité sans que la courbe d’A.Laffer soit mise sur le tapis. C’est l’alpha fiscal du bréviaire de droite. Il s’agit d’un graphique cintré qui met en corrélation le taux d’imposition et les rentrées fiscales. Bâti sur un présupposé simpliste qui stipule qu’au-delà d’un taux d’imposition optimum les recettes tendent à baisser. Un taux qui démobiliserait le contribuable. Cette approche trouve parfaitement ses racines dans les années 80, celles des managers, de l’effort, de la réussite en brushing et cravate. P.Salin propagandiste libéral fervent partisan de la privatisation des baleines*, se réfère sans cesse à ce hochet fiscal, pondu lors d’une bacchanale républicaine des années 70 entre A.Laffer et le pacifiste D.Rumsfeld.
Il s’agit d’une double imposture. De cette hypothèse, on ne peut avoir que deux certitudes. A 0% de fiscalisation, les recettes sont nulles (pas d’État) ; au point 100% se dessine nettement le communisme. Entre, c’est de la spéculation économétrique a posteriori ; les économistes excellent dans la prévision du passé.
D’abord, personne n’est capable d’augurer du taux idoine à un moment donné et dans un environnement précis. La finalité idéologique du raisonnement s’impose alors, c’est-à-dire une diminution des prélèvements. Puis on l’agrémente d’une démonstration relevant plus de la sensation et du bon sens que de la preuve. Le tour est joué.
Ensuite, les partisans de l’offre (supply-side) prêchent, c’est la doctrine, un désengagement massif de l’état dans les affaires économiques. Dans un habillage argumentaire qui relève essentiellement de la posture, les disciples de l’état minimum invoquent plus de rentrées fiscales (état maximum théorique) pour instaurer une baisse massive des impôts (état minimum). Contradictoire et insensé.

Résonance actuelle
Les mesures sectaires (TEPA) du début de mandat de N.Sarkozy s’inscrivent dans la logique de baisse des taxes. Favoriser l’effort, l’exonérer de contribution. Le montant des niches fiscales avant l’ère Sarkozy s’élevait à plus de 50 milliards d’euros, en 2008 il atteint 73 milliards. Néanmoins, il est trop aisé de se focaliser sur ce président faussement pragmatique. La gauche et la droite se sont alignées sur une politique de défiscalisation massive depuis plus de deux décennies. Bien arrimés à la politique de l’offre, L.Fabius et D.Strauss-Khan sont à l’initiative de multiples dispositions fiscales favorables aux plus hauts revenus. Imprégnés par la pensée conservatrice et opérant un paresseux recentrage, ils n’ont rien à envier à leurs concurrents de l’UMP. Certes, un tantinet plus complexés sur le sujet, mais pratiquement égaux sur les dossiers.

Un déséquilibre général du système
On veut ruiner le consentement à l’impôt. Cela marche excellemment comme le prouve le slogan victorieux “travailler plus pour gagner plus”. Jouant sur la thématique du servage, les oligarques prétendent libérer le citoyen de son asservissement à l’État par l’effort et le contournement des taxes. On perd la notion de bien commun et de juste contribution. Le consensus de l’Art.13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen** qui pose comme principe la répartition de l’effort selon ses moyens est battu en brèche. Les prélèvements sont alors un fardeau dont il faut se délester. Ce jeu est dangereux. On dépouille sciemment la République de ses prérogatives de redistribution et d’équilibrage social. Ce qui est perdu d’un côté devra être récupéré d’un autre. Soit par la mise en place d’une taxe supplémentaire moins égalitaire, soit par l’ablation d’un service public. Dans un cas comme dans l’autre, les plus pauvres se trouveront floués en particulier en période de crise. Hypothèse fataliste qui mise sur l’assentiment résigné des plus nécessiteux.

L’économie mondiale a survécu à des taux d’imposition avoisinant les 80% jusqu’au milieu des années 70. Considérés astronomiques aujourd’hui, ils n’ont nullement handicapé la croissance et le développement. Selon T.Piketty, les transferts sociaux ont été un facteur dynamisant bridant la rente de situation. La contre-révolution libérale impose une nouvelle donne, favorisant l’accumulation de richesses. Elle vise au pire à établir une flat-tax, au mieux à éradiquer les prélèvements pour le profit d’une minorité. Elle se drape de vertus émancipatrices et universelles, la liberté et la jouissance. Un mirage pour classes moyennes. Ils en paient aujourd’hui un lourd tribut. Les libéraux exhortent à la baisse frénétique et inconditionnelle des prélèvements, une attitude qui relève de l’onanisme fiscal. Il est vital d’en sortir.

*non, ce n’est pas un canular !
** «Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.»

Vogelsong - 2 mars 2009 - Paris


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Vogelsong 2657 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte