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Respecte mon genre

Publié le 15 juin 2007 par Pierre Mounier

Ceux qui s'attendaient à quelque chose de scabreux à la lecture du titre de ce billet en seront pour leurs frais. Ce dont il s'agit ici, c'est de genre éditorial. Depuis ses débuts, Homo Numericus est passé par de multiples phases et, un peu comme Protée, a pris de multiples formes. Simple page perso à ses débuts, il est devenu un webzine, puis maintenant un portail, avec les blogs apparentés que sont Blogo Numericus et LPDV et la syndication d'information en provenance de ces sites et d'autres « amis ».

Or donc, je suis frappé des méprises de genre éditorial que ces différentes formes engendrent. Nombre de personnes par exemple, me parlent aujourd'hui de mon « blog » Homo-Numericus, qui est en fait un portail. Pourtant, aucun des signes de reconnaissance qui permettent de parler d'un blog ne sont présent : pas de billet, des actualités rédigées avec un style non personnel, pas de blogroll, etc. De la même manière, il y a quelques années, lorsque je proposais une lettre d'information qui permettait d'avoir le récapitulatif une fois par semaine des parutions sur le site, on me parlait de ma « lettre d'information » comme s'il s'agissait de la publication principale dont le site web n'était qu'une porte d'entrée par le moyen du formulaire d'abonnement. Et ainsi de suite à l'infini.

Je veux bien croire que mes talents de concepteur de site soient limités (pour le moins !) et que j'embrouille mes lecteurs en leur envoyant des signaux contradictoires, mais il me semble tout de même que la capacité de la plupart d'entre eux à détecter le genre de site sur lequel ils se trouvent, ou même à être tout simplement sensibles à cette question de genre est elle aussi assez limitée. Car ce genre d'erreur, qui consiste en fait à mal identifier l'énonciation d'un site est monnaie courante et je l'entends à tout bout de champ dans les conversations sur tel ou tel site, pris pour un forum quand il s'agit d'un blog, pour un magazine quand il s'agit d'un forum, etc.

On peut tenter de trouver une explication à ce phénomène par un manque de compétence du webmestre (première partie du paragraphe précédent) ou des lecteurs (deuxième partie). Mais on peut aussi se demander si on n'est pas ici victime d'un manque de stucturation et de cohérence de ce qu'on peut appeler le genre éditorial des sites web, du fait d'une absence de tradition en la matière. Comme il n'y pas de genre connu, reconnu, constitué et stabilisé, le lecteur régresse dans son analyse vers l'identité de celui qui en est l'auteur pour tenter d'identifier la situation d'énonciation. Pas mal de méprises peuvent s'expliquer ainsi : Homo Numericus est forcément un blog, parce qu'il s'agit d'une initiative personnelle, non institutionnelle et assez peu collective (malgré mes efforts), un site ou un grand nombre de personnes débattent est forcément un forum, un portail ne peut être qu'institutionnel...

Cette situation est loin d'être satisfaisante parce qu'elle n'autorise aucun jeu d'énonciation (dans les deux sens du terme). Interpréter un discours sur la base d'une adhérence absolue entre l'identité civile du locuteur et le sujet d'énonociation est problématique car cela revient à nier ce qui fait l'essence même de l'écriture. Un roman, un journal, une biographie ou mieux, une étude scientifique seraient illisibles si les genres auxquels ils appartiennent n'étaient pas reconnus, parce qu'on se demanderait qui parle, sans trouver de réponse (qui est cet Honoré de Balzac qui raconte des choses étranges et farfelues ?) et ce qui l'autorise à parler ainsi. Je suis persuadé que pour les sites web nous sommes à peu près dans une situation similaire : nous n'avons pas encore véritablement construit cette zone opaque, tampon, articulaire entre le scripteur et son discours qu'est le genre éditorial, et qui permet justement l'émergence de la notion d'auteur. La reconnaissance des genres est quelque chose que l'on apprend à l'école : qu'est-ce que la poésie, le roman, l'autobiographie, l'essai historique, le pamphlet ? Il y a quelques années que je n'y enseigne plus, mais il me semble qu'on devrait, si ce n'est déjà fait, y ajouter les genres, encore en construction d'ailleurs, de l'écriture web. Peut-être que quelques professeurs de français sur ce blog (donc), confirmeront que c'est déjà le cas. L'école ne fait pas tout bien sûr. Les prix et récompenses sont aussi des éléments structurants pour faire émerger ces catégories. Il me semble qu'on en est encore loin, avec des catégorisations qui ne reposent pas, dans la plupart des concours, sur des notions proprement éditoriales, mais relèvent davantage des objets du discours (sport, politique, vente) ou du statut des candidats (professionnels, amateurs, associations). Il nous manque aussi, très certainement, un véritable travail de critique littéraire qui fasse émerger ces genres, à travers la description de sites. Cette activité dont la valeur n'est pas toujours reconnue, cherche d'ailleurs toujours sa méthodologie.

Bref, beaucoup de pistes à explorer, mais ce travail semble indispensable. Qu'en pensez-vous ? (confirmation : vous lisez bien un blog)


Crédit Photo : Chotda, Coconut jewel cupcakes 1, en cc by-nc-sa sur Flickr


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