Magazine France

Messaline ou la folle nuitée d’une femme

Publié le 08 mars 2009 par Philippe Thomas

Le Dimanche de la Vie, 4

La Journée des Femmes, c’est aujourd’hui. Mais hier je languissais seulabre à la litanie des numéros d’une vente aux enchères, après avoir été frustré par plus fortuné que moi de l’acquisition de l’objet de ma principale convoitise, une belle édition des Réflexions sur les grands hommes qui sont morts en plaisantant. Le crieur annonçait des Cicéron, des César, des Virgile et je m’assoupissais en songeant mollement au texte de circonstance que je pourrais bien dénicher pour ce Dimanche de la Vie coïncidant avec la Journée des Femmes. J’en étais à me remémorer le blason du Tétin et autres suavités de Louise Labé, quand le crieur annonça : « Juvénal, Les Satires, dans la traduction de Dusaulx, 1782… ». Mû par de vagues souvenirs de mes laborieuses humanités, je levai la main par jeu et, l’instant d’après, je vérifiai en zappant du texte à la traduction à quel point j’avais perdu mon latin…

 
C’est alors qu’à la Satire 6, je tombais sur ELLE. La Femme. La « The Nana » de l’Antiquité romaine, la cruelle Messaline … La traduction de Dusaulx me semblant un peu édulcorée (il « oublie » ainsi de traduire adhuc ardens rigidae tentigine vulvae…) j’en ai trouvé une autre plus vingtième siècle mais à la fois plus décomplexée et plus fidèle au réalisme fort imagé de Juvénal . Mais d’abord, pour les amateurs éclairés, en latin dans le texte : 

Quid privata domus, quid fecerit Hippia, curas?
Respice rivales Divorum Claudius audi
Quae tulerit. Domire virum quum senserat tuxor,
Ausa Palatino tegetem praeferre cubili,
Sumere nocturnos meretrix augusta cucullos,
Linquebat, comite ancilla non amplius una:
Sed, nigrum flavo crinem abscondente galero,
Intravit calidum veteri centone lupanar,
Et cellam vacuam atque suam. Tunc nuda papillis
Prostitit auratis, titulum mentita Lyciscae,
Ostenditque tuum, generose Britannice, ventrem.
Excepit blanda intrantes, atque aera poposcit,
Et resupina jacens multorum absorbuit ictus.
Mox lenone suas jam dimittente puellas,
Tristis abit: sed, quod potuit, tamen ultima cellam
Clausit, adhuc ardens rigidœ tentigine vulvae,
Et lassata viris, sed non satiata, recessit;
Obscurisque genis turpis, fumoque lucernae
Foeda, lupanaris tulit ad pulvinar odorem.

L’adultère-maison d’une Hippia t’inquiète ?

Songe aux rivaux des Dieux, songe aux cormes de Claude !

Quand sa femme voyait le bonhomme endormi,

laissant pour un grabat son lit du Palatin,

sous sa cape de nuit la princesse-catin,

avec une servante au plus pour tout cortège,

ses cheveux noirs cachés sous un chaperon fauve,

soulève le haillon à l’entrée du bordel,

gagne sa niche et là, nue dans son soutien-gorge,

exhibe à ses clients, sous le nom de Garcette

(Lycisca devrait plutôt se lire « petite louve » ou chienne)

le ventre de ta mère, ô grand Britannicus !

Elle fait la sucrée, réclame son écu,

se couche sur le dos, y va de mainte passe,

et quand le taulier renvoie enfin ces dames,

part à regret, ferme boutique la dernière

et toujours en chaleur, la vulve encore tendue,

éreintée par le mâle et non encore repue, la joue

hideusement plombée et noire de fumée,

porte au chevet princier l’odeur du lupanar.

Juvénal (circa 60 – circa 130 après JC) Satire VI , v 114-132, traduction de René Gouast, Seghers 1972. La version d’Alain Canu n’est pas mal non plus, à préférer au fade pensum de Clouard chez Budé.

Cruelle, nymphomane, criminelle… que n’a-t-on dit de Messaline  ! Non sans raison d’ailleurs, tant il est certain que cette femme-là n’était certes pas un ange… Mais il convient de noter que tous les textes anciens qui nous en parlent sont écrits par des hommes (Juvénal, Tacite et aussi Suétone, je crois) qui tous étaient fortement impliqués dans la politique romaine et du côté le plus conservateur, pour faire bref. Juvénal était ainsi le « Michel Droit de l’époque » selon le juste mon d’un de mes anciens profs de latin, mais qui connaît encore Michel Droit… Tous étaient des conservateurs, de raides romains que traduisent d’habitude des universitaires aussi austères que leur auteur latin (le désopilant Xavier Darcos fut ainsi un éminent spécialiste de Tacite, par exemple, avant de faire ministre).

Tant il semble évident que ces auteurs parlent d’elle à charge, je me refuse pour ma part à ne voir en Messaline (25-48 ap JC) qu’un archétype de salope ou de perverse. Il faut d’abord noter sa grande jeunesse lorsqu’elle est mariée avec ce bêta de Claude, tout futur empereur qu’il allait être. Elle n’avait alors que 14 ans et ses deux enfants, Octavie et Britannicus, semblent bien avoir été de Claude. Mais cette adolescente, selon nos catégories modernes, pourrait avoir été d’abord et surtout une femme de pouvoir. Et singulièrement, une femme puissante comme bien peu alors pouvaient l’être. Manipulatrice et dominatrice, fille offerte pour s’offrir tous les hommes qu’elle voulait et le pouvoir en prime, elle pourrait aussi être un fabuleux cas d’amour fou, une amoureuse romantique selon la lecture de Paul Veyne (à moins qu’il n’ait voulu écrire Rome antique comme on dirait vieille France…) qui me semble tout de même y aller fort dans sa tentative de réhabilitation.

Messaline semble effectivement bien plus avide de pouvoir que de stupre et il est avéré qu’elle a eu la peau de pas mal de types à défaut d’en avoir eu les faveurs… Divorçant unilatéralement d’avec son empereur de mari par amour pour un autre homme, une démesure qui précipitera sa perte, elle s’avère ainsi femme libérée. La possible exemplarité de son cas ne pouvait en faire au mieux qu’une impériale catin pour les réactionnaires chroniqueurs du temps qui l’enfermèrent dans ce personnage de nymphomane cruelle. Impériale catin, ai-je dit ? N’avons-nous pas eu récemment une autoproclamée « putain de la République » ? Cependant, je ne veux pas voir pour ma part d’équivalent à Messaline dans notre beau pays la France. Messaline avait beau secouer  tant qu’elle pouvait tous les cocotiers d’un pouvoir machiste dans la Rome impériale, son émancipation n’eût été que celle d’un ego monstrueux (et non de la cause des femmes) et sa tyrannie n’aurait pas été plus éclairée parce que féminisée. Et sur ces bonnes paroles, bonne journée mesdames !


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Philippe Thomas 103 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte