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Est-ce ainsi que les femmes meurent? de Didier Decoin

Publié le 12 mars 2009 par Babs

Est-ce ainsi que les femmes meurent? de Didier Decoin
Après quelques jours à Rome, le Zinc réouvre ses portes par une rencontre littéraire passionnante qui a eu lieu la semaine dernière. Mercredi dernier précisément, les Editions Grasset conviaient aux Deux Magots, quelques bloggeurs pour une rencontre avec Didier Decoin, à l'occasion de son dernier ouvrage Est-ce ainsi que les femmes meurent?, premier titre d'une nouvelle collection "Ceci n'est pas un fait divers". Stéphanie et Emmanuel ont eu la gentillesse de m'y convier. Je m'y suis rendue bien entendu, encore toute imprégnée de l'atmosphère si particulière de l'ouvrage que je venais de finir tard dans la nuit...

1964, trois heures du matin, Kitty Genovese, jeune femme de vingt-huit ans est assassinée par un tueur en série en bas de son immeuble dans le Queens à New York.
Pendant plus d'une demi-heure, trente-huit témoins voient et entendent le drame, sans pour autant porter secours.
Ce fait divers ne fait que quelques lignes dans le journal avant une enquête plus approfondie du New York Times, qui révèle l'apathie et la lâcheté des témoins, couvrant de honte une Amérique déjà traumatisée par l'assassinat récent de Kennedy. Il conduira à la création du 911, le numéro d'appel d'urgence aux Etats-Unis.
Quarante ans plus tard, Didier Decoin décide de prendre la plume et d'écrire tel le conteur et le cinéaste qu'il est, sa propre vision de l'histoire rendant hommage à Kitty, qui devient sous sa plume une héroïne tragique des temps modernes.
Le talent du romancier est dans sa façon d'"autopsier" tout en retenue ce fait divers en se mettant tour à tour dans la peau du narrateur, du tueur, des témoins ou de la victime, Kitty Génovèse. Le ton est sobre, parfois d'une distance froide. L'histoire est entrecoupée par des flashbacks du procès qui glacent tout en étant des espaces de respiration, une reprise de souffle dans l'avancée du récit. L'auteur joue et "coud" son histoire comme il dit, pour nous amener habilement au-delà du simple fait divers, à la fiction, rendant floues volontairement les lignes de démarcation entre les faits réels et l'imaginaire.
L'écriture est cinématographique. Dès les premières pages, le décor est planté, l'atmosphère installée. Les rideaux s'ouvrent et se ferment, les portes claquent, le fond sonore est désarmant de silence et entrecoupée de hurlement et de cris de plus en plus sourds, étouffés dont certains s'imagineront que ce sont des miaulements de chats...La rue est déserte, il fait froid, on est en plein hiver. Le Queens insalubre, modeste des années 60 est restitué et New York redevient sous sa plume, sa "patrie romanesque", sa source intarissable d'inspiration qui l'amène à la choisir elle, plutôt qu'une autre, pour la plupart de ces histoires. New York, la seule ville qui me rend moi aussi dans un état électrique à chaque fois que j'y vais...
A la lecture du livre, j'imagine un film, un casting... Sean Penn vieillissant incarnant le narrateur qui n'était pas présent au moment du drame mais qui témoigne malgré tout. Un narrateur dont Didier Decoin dit se cacher derrière...
J'imagine un Denzel Washington jouant le rôle complexe de Winston Moseley, le meurtrier. Celui qui ne reconnaîtra jamais une pointe de regret ou de culpabilité, celui qui reprendra la voiture après trente minutes de torture affligée à sa victime et qui s'arrêtera calmement à un feu, réveiller un conducteur endormi au volant. Un psychopathe habillé en bon père de famille...Une sorte de "loup garou" qui a fasciné l'auteur.
Mais c'est surtout pour Kitty Genovese que l'auteur semble avoir une infinie tendresse; il retrouve dans Kitty Genovese la personnalité forte et entreprenante, un coté "bagarreur" qu'il aime façonner chez ses personnages féminins. J'imagine une Naomi Watts, une Jennifer Connolly ou une Cécile de France dont la force et la fragilité, l’ambigu charisme sexuel magnifieraient celle qui s'est battue jusqu'à son dernier souffle.
Validez-vous ce casting, monsieur Decoin?
J'imagine une pellicule en noir et blanc, révélant les contrastes de noir et de lumière, j'imagine une fin moins tragique, après tout, tout est permis au cinéma...
Est-ce ainsi que les femmes meurent?, un titre dénonciateur, interrogateur qui nous alpague d'entrée de jeu, car au-delà de ce fait divers tragique sobrement conté, au-delà de l'atmosphère si cinématographique de ce New York insalubre et modeste, ce livre donne à réfléchir sur la part sombre qui germe en chacun de nous. Et il fait soudainement beaucoup plus froid... 


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