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De l’évidence amoureuse et de la magie triste des étreintes d’aéroport

Publié le 24 mars 2009 par Junkofrantic

La veille, j’étais surtout anxieuse, au point de repousser jusqu’au dernier moment la préparation de mon sac, comme si je ne voulais pas de ces retrouvailles. J’ai tenté de (me) l’expliquer car j’essaie toujours de trouver des causes à mes sensations, pourtant je savais que mes raisons n’étaient que des prétextes. J’avais peur comme on peut craindre une catastrophe naturelle, un événement auquel personne n’est complètement préparé.

Je suis arrivée à l’aéroport avec trois heures d’avance. A chaque clope que j’allumais, l’employé vêtu d’un gilet jaune qui balayait la route devant moi s’exclamait “encore une cigarette ?” J’avais envie de lui répondre “je t’emmerde”, mais je suis bien élevée. Ensuite, j’ai dû faire des kilomètres sous les néons dans la galerie marchande, à contempler des objets que je n’avais aucune intention d’acheter, avant de me résigner à m’asseoir sur une chaise métallique inconfortable face au ciel. Dans l’avion – une demi-heure de retard – j’ai gardé les yeux fermés sans trouver le sommeil. Le rythme des battements de mon cœur dominait la musique que j’écoutais. A l’atterrissage, j’ai encore dû franchir trois escaliers et de nombreux couloirs, alors je marchais de plus en plus vite en me demandant combien de pancartes “Exit” allaient encore m’accompagner jusqu’à l’issue du labyrinthe.

En sortant de la zone réservée aux passagers, j’ai eu une réminiscence de l’époque où je faisais des trajets France-Afrique avec une pancarte autour du cou “mineure accompagnée”, aux côtés d’une hôtesse de l’air, une grande dame mince très gentille qui me prenait parfois en photo avec un polaroïd (il paraît que j’étais mignonne autrefois). Ces jeunes femmes vantaient mon calme malgré des vols d’une journée et me prenaient en exemple (en réalité, quand j’ai peur je me tais). A l’arrivée, remplie d’angoisse (”et s’ils m’avaient abandonnée ?”), je mettais toujours longtemps à repérer mon père ou ma mère.

Mon amoureux, en revanche, je l’ai vu immédiatement. Il a couru vers moi, et l’évidence renaissait déjà. “Do you have a lighter please?” ai-je demandé à un fumeur en franchissant les portes automatiques. La première inspiration m’a tourné la tête, ou alors c’était ses bras autour de mes épaules… En tout cas je suis entrée dans la navette en titubant légèrement, avec un sentiment d’irréalité qui a mis longtemps à s’estomper. Dans le bus, nous avons parlé tout le long du trajet, mais sans rien dire d’important… C’était du quotidien, des vies parallèles à recroiser.
Ensuite, je suis entrée dans un hôtel quatre étoiles pour la première fois de ma vie. J’avais un peu honte à cause de mes Docs sales et de mon jean troué. Moue dubitative en miroir, nous avons exprimé notre désaccord commun face aux croûtes vertes et cacateuses qui ornaient les murs, et notre satisfaction quant à la qualité du matelas, avant d’aller errer dans les rues dublinoises, et l’évidence était flagrante.

L’évidence est bizarre et inracontable, c’est un sentiment qui pourrait faire croire à cet idéal absurde de l’âme sœur, y compris pour quelqu’un comme moi, qui ne crois qu’en l’éphémère et en la putréfaction intégrale de l’être humain. C’est un dialogue, un emboîtement parfait, une complicité… Y compris dans “la lose, notre spécialité” comme il dit : quelqu’un me rattrape en me criant que j’ai oublié mon argent dans le distributeur – je suis souvent involontairement généreuse – et le patron d’un Pub lui rend son portefeuille abandonné sur un comptoir… “Pas un pour sauver l’autre”, avouons-nous en cœur, mi-affligés mi-soulagés. C’est aussi cet émerveillement réciproque face à la carcasse noircie d’une voiture en plein milieu de la route : “qu’elle est belle dans cette rue là, avec cette perspective !”, ce regard qui signifie “tu sais hein - oui je sais” lors de ce concert, ses mains qui enserrent ma taille exactement au bon moment quand les guitares résonnent et que les lumières stroboscopiques gravent des étoiles sous mes paupières, ce sourire amusé devant les jeunes filles de Dublin qui se gèlent avec des robes fines et étriquées alors qu’il fait -5 degrés, une réaction identique face à tout ce qui entre dans nos yeux, nos oreilles, etc.

L’évidence n’avait pas vraiment disparu avec son absence, mais elle s’était atténuée. Comme un ancien croyant dont la foi s’était délitée et qui a soudain une révélation, comme cette nostalgie vis-à-vis d’un lieu passé où sont contenus des souvenirs – celle que j’ai souvent vue dans le regard des autres – comme ce plaisir de retrouver la mer chaque année alors qu’elle ne me manque pas réellement dans la ville aux deux rivières, tant que je ne la vois pas… L’évidence ne disparaît jamais totalement, mais elle peut être ensevelie sous le temps, les jours, les doutes…

J’avais en tête la dernière phrase que j’ai lue d’elle : “tu vas connaître la magie des bisous d’aéroport” et elle avait raison, mais en passant mes doigts sous le tissu rêche de son pull pour sentir sa peau, pendant que mes lèvres s’accrochaient aux siennes, à l’intérieur de la foule et entre les valises, je pensais : “la magie triste des étreintes d’aéroport”, quand tu te serres contre l’autre comme si c’était la dernière fois que tu le percevais. Il a murmuré “c’était la période difficile : deux mois sans se voir, maintenant on va se retrouver tous les quinze jours” ; j’ai acquiescé parce que les mots se pressaient trop pour être prononcés les uns après les autres. Comme à l’accoutumée – pudeur oblige – nous nous sommes dit au revoir en langage imaginaire… peu importe, la pression de nos corps remplaçait les discours.

De mon week-end à Dublin, il me reste un pull à capuche noir estampillé “Mogwaï”, un crayon “The Burlington Hotel” pour contenir mes cheveux emmêlés par le vent irlandais, un ticket d’embarquement “Dublin Airport Terminal 1″, et deux photos floues sur un téléphone portable, mais dans mes sens j’ai tout gravé, et si c’était possible je tatouerais sa voix, ses phrases, ces situations… Néanmoins la marque du ressenti est suffisamment profonde pour tenir jusqu’à la prochaine fois, je crois, j’espère…

Ce matin, quand je suis entrée dans le hall de l’endroit où je travaille, deux personnes parlaient après m’avoir vue arriver, en me fixant. Je n’ai entendu que la seconde : “c’est peut-être le printemps qui lui fait ça”. Alors j’ai demandé : “quoi ?” La première m’a expliqué “on se disait que tu étais rayonnante aujourd’hui, et je pensais que c’était le printemps qui te faisait cet effet”. J’ai souris – ce serait trop long à expliquer et ce n’est pas comme si ma vie vous concernait – avant de rejoindre mon sous-sol quotidien. Je rayonne et tout ira bien.


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