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Politique fiction ? (2)

Publié le 24 mars 2009 par Sylvainrakotoarison
 Imaginons. Seconde partie.


Suite du premier article.
On en arriva à des faits d’une extrême gravité. D’un côté, un Président impopulaire qui campait sur sa légitimité constitutionnelle, Nicolas Sarkozy. D’un autre côté, un maire de Paris, Bertrand Delanoë, devenu quasiment le Messie, populaire et rassemblant les foules, encourageant l’exilé Lionel Jospin à appeler au renversement du gouvernement actuel.
Les premiers morts
Imaginons donc encore (puisque ce n’est qu’imagination ici) qu’au moment où l’armée se mit en place du côté de la Maison de la Radio, sur le bord de Seine, pas loin d’Auteuil, des opposants se ruèrent vers la maison ronde et cassèrent ce qu’ils pouvaient casser. Un incendie eut lieu dans les locaux mêmes de la Maison de la Radio. Les archives radiophoniques d’une quarantaine d’années furent complètement détruites (elles n’avaient pas encore fait le transfert vers l’INA). De nombreux magasins de la rue d’Auteuil (souvent, des boutiques chic) furent dévastés.
Le bilan fut très lourd : plus d’une cinquantaine de corps furent retrouvés. Des casseurs, des forces de police, des malheureux prisonniers et calcinés dans le brasier de la radio… L’armée qui s’était mise en place avait cependant reçu l’ordre de ne pas s’impliquer dans ce malheureux épisode pour réduire les effusions de sang.
« C’est moi le nouveau Président ! »
Dès le week-end qui suivit, Bertrand Delanoë, encouragé par la foule, du haut de l’Hôtel de Ville, se proclama "en charge de la République française".
Si Nicolas Sarkozy ricana au cours d’une conférence de presse en disant que les trente-six mille maires de France ne pouvaient s’autoproclamer Présidents de la République, cette autoproclamation sans réalité constitutionnelle fut cependant approuvée par une large partie de la population.
Au lieu d’arrêter Bertrand Delanoë devenu chef d’une insurrection, Nicolas Sarkozy le destitua et supprima la fonction de maire de Paris en la remplaçant par une sorte de super-préfecture dirigée par le gouvernement.
Mais les jours suivants, loin d’être impressionné par le pouvoir en place, Bertrand Delanoë franchit un nouveau pas et nomma un véritable gouvernement dont le Premier Ministre ne fut autre que Martine Aubry, chef du principal parti d’opposition (celui de Bertrand Delanoë), maire de Lille et fille de Jacques Delors, l’un des principaux barons d’un pouvoir passé.
Marche sanglante vers l’Élysée
En rassemblant ses partisans au Louvre puis le long de la rue de Rivoli, Bertrand Delanoë les fit marcher jusqu’à la place de la Concorde puis vers le Palais de l’Élysée. Son objectif était tout simplement d’occuper le bureau du chef de l’État.
Hélas, les gardes du palais ont tiré. D’autres aussi d’ailleurs. Plusieurs fusillades, beaucoup de confusion. Une trentaine de morts furent à déplorer, plus de deux cents blessés évacués à l’hôpital Pompidou, dans le 15e arrondissement. Des témoins ont pu prouver, caméras à l’appui, que Bertrand Delanoë s’était défilé dans sa grosse automobile vers les Champs-Élysées pour éviter tout risque personnel.
Nicolas Sarkozy fit le soir même une allocution télévisée en déplorant ces morts et demanda à Bertrand Delanoë de stopper ce mouvement stupide contre la légalité républicaine.
Mais ces morts confortèrent l’opposition qui commença aussi à remuer la province et principalement Grenoble, Toulouse, Marseille, Lille, Metz. La Bretagne et l’Alsace furent épargnées par ces agitations mais tout le pays s’installa dans une grande confusion institutionnelle (quelques nouveaux morts furent encore à déplorer). Censure, répression sanglante, crise économique, pauvreté, impopularité du pouvoir… beaucoup de raisons de protester.
Giscard et Bayrou dans le camp de Delanoë
Lors de l’hommage aux morts devant l’Élysée, se trouvaient côte à côte Bertrand Delanoë et Valéry Giscard d’Estaing, vieil ancien Président qui avait pourtant soutenu en 2007 Nicolas Sarkozy mais n’appréciait plus sa manière de gouverner.
Le Ministre de la Défense Hervé Morin, dans un sursaut d’humanisme, donna sa démission pour marquer sa profonde désapprobation contre la répression. Étrangement, François Bayrou l’encouragea à le rejoindre et à le renforcer dans ses négociations avec Bertrand Delanoë pour rendre collégiale une opposition trop exclusivement incarnée par le maire déchu de Paris et lui apporter une équipe plus dynamique et plus étoffée.
Cependant, la confusion restait totale car Nicolas Sarkozy mobilisait lui aussi ses propres troupes UMP sur l’esplanade des Invalides et recevait un soutien populaire de même ampleur que les foules derrière Bertrand Delanoë. Chaque camp évoquait alors le trucage des rassemblements des adversaires par l’emploi de faux manifestants payés et mobilisés éventuellement même de l’étranger, comme au lointain temps des meetings d’Olivier Stirn.
L’échec des médiations extérieures
Pendant un mois, quelques émissaires tentèrent de trouver une entente pour débloquer la situation politique. Des émissaires de l’Union Européenne conduits par Romano Prodi n’aboutirent pas. Des émissaires américains envoyés par Barack Obama échouèrent piteusement. Même le Vatican chercha à apaiser la situation tendue. Sans succès non plus.
La sécurité de Bertrand Delanoë était d’ailleurs si incertaine qu’il se mit sous la protection de l’ambassade américaine pendant quelques jours, puis le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, le prit sous la protection de l’Église catholique de France au presbytère même de Notre Dame.
Prise des sites stratégiques
Politiquement, tous les pro-gouvernementaux avaient la trouille. Un samedi, les opposants réussirent à s’emparer de l’hôtel Matignon, rue de Varenne, à deux pas de l’Assemblée Nationale. Le Premier Ministre François Fillon avait prudemment déserté son bureau pendant le week-end. Aucun coup de feu ne fut tiré. Des rumeurs laissaient entendre qu’il était à la Lanterne, résidence du Premier Ministre à Versailles mais qui avait été annexée par Nicolas Sarkozy depuis 2007 pour ses week-ends.
Dominique De Villepin, ancien Premier Ministre, jusqu’alors silencieux, se retrouvait aux côtés de Bertrand Delanoë pour apporter son soutien et réclamer lui aussi la démission de Nicolas Sarkozy.
Alors que Martine Aubry s’installa à Matignon, Bertrand Delanoë proclama la destitution de Nicolas Sarkozy, sa mise en état d’arrestation et la dissolution de l’Assemblée Nationale et du Sénat.
Le lendemain, Nicolas Sarkozy annonça aux Invalides, au cours d’un autre meeting UMP, qu’il proposerait un référendum sur la poursuite de son mandat, pour se relégitimer au yeux du peuple. Mais Bertrand Delanoë continua toujours à refuser tout compromis tant que Nicolas Sarkozy ne démissionnait pas.
L’armée contre son chef
Hélas pour ce dernier, après bien des hésitations, l’état-major des armées se mutina. Le nouveau commandant s’engagea aux côtés des insurrectionnels et donna l’ultime assaut au Palais de l’Élysée. Les grilles donnant sur la rue du Faubourg Saint-Honoré furent écrasées par des chars d’assaut.
Nicolas Sarkozy était toutefois absent des lieux et s’était réfugié au château de Rambouillet avec l’ensemble de son gouvernement.
La victoire posthume du général Boulanger
Le lendemain, Bertrand Delanoë marcha sur l’Élysée, prit possession des lieux entourés de plusieurs milliers de partisans en joie, et réussit ce que n’avait même pas osé faire le général Georges Boulanger le 27 janvier 1889 qui avait été acclamé place de la Madeleine par cinquante mille partisans (à l’époque, il avait refusé de marcher vers l’Élysée malgré la sympathie de la foule et de l’armée).
Le même jour, isolé, abandonné de l’armée, Nicolas Sarkozy se rendit à l’évidence et annonça sa démission. Au lieu de transmettre le pouvoir à Gérard Larcher, le Président du Sénat, comme le stipulait la Constitution, Nicolas Sarkozy le laissa à un quarteron de généraux qui mirent à peine une heure pour repasser le pouvoir à Bertrand Delanoë.
Jean-Louis Debré, Président du Conseil Constitutionnel qui comptait deux anciens Présidents, Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing, apporta sa caution pour tenter de donner un semblant de légalité à la prise de pouvoir militaire du nouveau Président Bertrand Delanoë.
Parmi les premières mesures, le retour en grâce de Lionel Jospin et les conditions juridiques de son retour physique en France.
Politique fiction ?
Quelle drôle d’imagination, me direz-vous. Un peu, effectivement…
Aux lecteurs francocentrés qui penseraient que je voulais parler de la situation française, n’y voyez aucune analyse de la politique française ni des différents éléphants socialistes. Ce n’était pas le but de cet article.
Ce que je viens de raconter, évidemment qu’en France, cela paraît impensable. Que la Constitution, les lois, l’armée, toutes les institutions sont là pour garantir un État de droit. Et cela fonctionne depuis plus d’un demi-siècle sans discontinuité. Depuis 1958 ou 1944, selon que l'on considère que mai 1958 est un vrai ou un faux coup d'État.
Eh bien, c’est pourtant ce qu’il vient de se passer dans les trois derniers mois à Madagascar, indépendant depuis quarante-huit ans et demi mais hélas coutumier de ce type de prise de pouvoir.
Avec Marc Ravalomanana dans le rôle de Nicolas Sarkozy, Andry Rajoelina dans le rôle de Bertrand Delanoë, Martine Aubry dans le rôle de Monja Roindefo, François Fillon dans le rôle de Charles Rabemananjara, Albert Zafy dans le rôle de Valéry Giscard d’Estaing, Didier Ratsiraka dans le rôle de Lionel Jospin, Jacques Sylla dans le rôle de Dominique de Villepin, Hervé Morin dans le rôle de Cécile Manorohanta.
Et encore, il faudrait en plus rappeler que Andry Rajoelina serait plus proche d’un Bernard Tapie de trente-quatre ans que d’un Bertrand Delanoë pour lequel la mairie de Paris est la consécration d’une longue carrière.
Il serait temps de ne plus considérer Madagascar comme une terre incapable de s’autoréguler de manière démocratique.
Un coup d’État reste un coup d’État, et la communauté internationale commence à ouvrir les yeux.
Bonne chance quand même à Madagascar…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 mars 2009)
Pour aller plus loin :
Le putsch malgache du 17 mars 2009.
Andry Rajoelina s’empare du pouvoir grâce à l’armée.
Reconnaissance internationale d’Andry Rajoelina ?
La révolution orange voit rouge 1 (11 février 2009).
La révolution orange voit rouge 2 (11 février 2009).
Les prises de pouvoir sont rarement démocratiques à Madagascar.
Informations sur Madagascar.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=53477


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