Magazine

Chassez le livre, il revient au galop

Publié le 27 mars 2009 par Dalyna

bourdieu-dalynawordpresscom

Quand j’étais plus jeune, j’avais un rituel chaque été. A défaut de pouvoir lire sur la plage de Juans-les-Pins, je reproduisais la scène… dans ma chambre. Pour faire le plein de bouquins, chaque semaine, ma mission consistait donc à dévaliser les bibliothèques de ma ville. Si je n’aimais pas cette ville où on avait déménagé et où je ne connaissais personne, en revanche ses bibliothèques… j’a-do-rais. Il n’y avait jamais personne, donc on est tranquille pour flâner, et puis rien que pour le nom, c’est la classe : la bibliothèque (biiiip). Je viens de regarder sur Google et merde, c’est la seule de France, donc je ne peux pas dire son nom. Ce n’est pas que je veuille faire ma star du web ni que je vous soupçonne d’aller camper devant chez mes parents pour avoir un autographe, non, non, vous allez vite comprendre.

Je lisais de tout, et ça m’aidait à tuer le temps des longues journées d’été. On avait le droit d’emprunter 7 livres, donc j’en prenais 7 à chaque fois : BD, romans, autobiographies et livres scientifiques. Et puis, un jour, je ne sais pas pourquoi, je n’y suis plus retournée. Je ne sais pas, j’ai dû penser que j’étais suffisamment intelligente comme ça, ou alors, j’avais enfin assez d’argent pour aller à Juans-les-pins. Comme ça, d’un coup, pouf, j’ai déserté la biblio. Le problème, c’est que j’avais encore mes 7 derniers livres à rendre. Tous les jours, quand je les voyais traîner sur le bureau, je me disais « faut que t’ailles les rendre, tu fais chier ».

Plusieurs années ont passé, et du bureau, les livres se sont retrouvés dans ma propre bibliothèque. Je sais, c’est honteux. Mais c’est de la faute de l’administration aussi : tant que tu n’as pas rendu les livres, tu n’as juste plus le droit d’en emprunter d’autres, il n’y a pas d’amendes ni rien. Et mon cerveau, si on ne lui parle pas plus franchement, c’est-à-dire en termes d’amende, ben le pauvre, il oublie.

Parmi ces 7 bouquins, il y en a un écrit par le grand Pierre Bourdieu « Sur la télévision ». Je l’avais commencé à l’époque, et après être retombée dessus il y a peu, j’ai enfin décidé de le finir. Et il s’avère mon oxygène du moment. Dans ce livre, le sociologue démonte les mécanismes de la censure qui s’exercent sur la télévision, et explique comment elle a profondément altéré le fonctionnement d’autres univers comme la politique, les arts, la justice et la science. C’est un régal de lire ce livre, parce qu’il accompagne mon humeur du moment, mes questionnements sur mon métier, et mon avenir en son sein. Quand j’ai commencé ce livre, j’étais au lycée, et j’avais une certaine vision du journalisme, avec son éthique, sa conscientisation, sa dénonciation, qui est à des années lumière de ce que j’ai découvert par la suite sur le terrain. Bourdieu m’avait bien déniaisée quelque peu, mais je pense aujourd’hui que ce n’est pas un hasard si je n’ai pas été jusque bout de ma lecture à l’époque. Il aura fallu 10 ans pour que j’accepte enfin de l’achever. A 18 ans, je ne voulais pas lire ça. Je ne voulais pas accepter cette réalité, qui, en dix ans, a eu tout le loisir de s’imposer à moi dans toute sa splendeur. Aujourd’hui, je comprends mieux beaucoup de choses. Ma différence notamment. Ce qui sera ma différence, en tout cas. Et je comprends mieux aussi, pourquoi il y a 10 ans, j’ai été incapable inconsciemment de rendre ce livre.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Dalyna 59 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte