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L'Amérique du Sud tente de relever le défi de la défense

Publié le 31 mars 2009 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Les ministres de la défense des 12 pays d'Amérique du Sud se sont réunis pour la première fois, le 10 mars à Santiago du Chili, dans le cadre du Conseil de défense sud-américain, créé en mai 2008, à l'initiative du Brésil. "Le Conseil ne constitue pas une alliance militaire au sens classique, nous n'avons pas d'ennemis extérieurs identifiés", a précisé le ministre chilien, José Goñi. "Il ne s'agit pas de créer une force sud-américaine", a renchéri le ministre brésilien Nelson Jobim, écartant l'analogie avec l'Alliance atlantique (OTAN).

L'objectif, plus modeste, n'en est pas moins inédit. Le Conseil est une instance de dialogue, où les ministres de la défense de la région peuvent réfléchir, partager des expériences et développer des activités conjointes. A l'instar des troupes du Chili, du Brésil, d'Argentine et d'Uruguay, qui ont déjà travaillé ensemble dans des missions de paix, notamment en Haïti. Chiliens et Argentins ont même créé une unité binationale, alors qu'ils avaient été au bord d'une guerre en 1978.


Le Conseil entend aussi promouvoir l'intégration et la coopération en matière d'armements. "L'industrie de la défense stimule le développement de l'industrie en général", a justifié M. Goñi. Principaux fabricants d'Amérique du Sud, les Brésiliens sont soupçonnés de chercher à s'assurer de nouveaux marchés pour leurs industries aéronautique et navale.

L'Institut international d'études stratégiques de Londres a enregistré, depuis cinq ans, une augmentation de 91% des dépenses en armement en Amérique latine, passées de 24,7 milliards de dollars en 2003 à 47,2 milliards en 2008. Le Venezuela, qui a acheté à la Russie des avions Soukhoï, des fusils Kalachnikov et des sous-marins, est le premier responsable de cette hausse, suivi par la Colombie, le Brésil et le Chili. Difficile néanmoins de parler d'une "course aux armements", car l'Amérique latine reste la région au monde qui consacre le moins de crédits à la défense. En tout cas, pour désamorcer les suspicions, les pays sud-américains ont décidé d'harmoniser leurs indicateurs.

Région dénucléarisée, sans conflits bilatéraux depuis longtemps, l'Amérique du Sud connaît néanmoins des tensions, comme celle provoquée par le raid colombien contre un camp de la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, extrême gauche) situé en Equateur, en mars 2008. Un an après, Quito et Bogota n'ont toujours pas rétabli leurs relations diplomatiques. La controverse a d'ailleurs rebondi récemment, lorsque le ministre colombien de la défense, Juan Manuel Santos, a souligné le succès du raid en termes de réduction de la capacité de nuisance des FARC. Le président vénézuélien, le lieutenant-colonel Hugo Chavez, a promis de riposter à une éventuelle incursion colombienne avec ses Soukhoï.

La tension entre ces trois pays andins (Colombie, Equateur et Venezuela) contraste avec la collaboration qui règne sur la frontière amazonienne. Le 12 mars, la Colombie et le Brésil ont décidé de partager leurs informations d'origine satellitaire sur une frange de 50 kilomètres de chaque côté de leurs frontières et d'organiser des patrouilles communes sur les fleuves, les véritables autoroutes de l'Amazonie. Les trafiquants de drogue sont visés, mais les FARC aussi. Alors que Bogota se plaint de la complaisance qui règne dans les zones frontalières de l'Equateur et du Venezuela à l'égard des FARC, le ministre Nelson Jobim a été très clair sur la manière dont serait reçue la guérilla au Brésil : avec un feu nourri.

"La création du Conseil ne suppose pas que toutes les différences ou les tensions régionales ont été surmontées, a admis M. Goñi. Le Conseil va travailler sur la base du consensus, sur les points qui unissent les pays membres." Le Venezuela n'a jamais approuvé la mission des casques bleus de l'ONU en Haïti. Faute de consensus sur la participation des militaires à des missions de sécurité publique, le trafic de drogue a été renvoyé dans une annexe de la déclaration de Santiago, regrette Alfredo Valladao, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris. "Avoir un organisme de prévention ou de solution des crises bilatérales et régionales est positif, mais laisser de côté le narcotrafic est mauvais signe", juge-t-il.

Lors de son entretien avec le président américain Barack Obama, le 14 mars, son homologue brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, a dû reconnaître l'importance du défi représenté par les stupéfiants. Il a proposé à cette occasion la création d'un conseil sud-américain pour lutter contre le trafic de drogue. Or la menace des cartels concerne également le Mexique, l'Amérique centrale et les Caraïbes. D'où l'inanité de la démarche séparant l'Amérique du Sud du reste de l'Amérique latine, imputable à la diplomatie brésilienne.

L'Amérique du Sud n'est pas non plus d'accord à propos des Etats-Unis. La majorité des pays conçoivent leurs relations en termes de partenariat et participent régulièrement à des manœuvres conjointes avec les forces américaines. En revanche, le Venezuela et la Bolivie préfèrent miser sur l'antiaméricanisme. M. Obama a toutefois la possibilité de changer la donne au prochain sommet des Amériques, à Trinité-et-Tobago, le 17 avril.

Source du texte : LE MONDE.FR


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