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Le patriarche de Venise a fait un rêve: le métissage de civilisations

Publié le 01 avril 2009 par Walterman

L'un de ses amis, philosophe, indique dans un livre comment y arriver. Mais la route est accidentée entre les religions, surtout entre le christianisme et l'islam. L'archevêque Teissier raconte ce qui se passe dans son Algérie, partagée entre répression et respect de la liberté religieuse


par Sandro Magister

 


ROME, le 1er avril 2009 – Sur la couverture du livre, une question et une photo. La photo est celle du confluent de l’Amazone et du Rio Negro: des eaux de couleurs différentes coulent l’une à côté de l’autre puis elles se mêlent. La question est dans le titre: "Métissage: coexistence ou confusion?".
En effet, dans le langage courant, le mot "métissage" n’a pas bonne réputation. Né avec le brassage des Espagnols et des Indiens après la découverte des Amériques, il fait penser à la conquête et à l’assujettissement. Ou bien, associé au multiculturalisme moderne, il évoque une confusion, un fouillis de personnes et de civilisations juxtaposées qui ne se comprennent pas.
Mais c’est justement sur le "métissage de civilisations" qu’a parié l’un des hommes d’Eglise les plus actifs dans l'interprétation et l’orientation des rapports entre peuples, religions et cultures: le cardinal Angelo Scola, patriarche de Venise.
Le livre est une étape importante de ce programme. Il est publié par Marcianum Press, éditeur du patriarcat de Venise. L'auteur, Paolo Gomarasca, est professeur de philosophie et d’anthropologie à l'Université Catholique de Milan.
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Le cardinal Scola a lancé pour la première fois l'idée du métissage en 2004, quand il a créé à Venise une fondation internationale ayant pour objet la connaissance mutuelle et la rencontre de l'Occident et de l'islam. Cette fondation, appelée "Oasis", publie une revue portant le même nom, en 4 versions distinctes: italien, français-arabe, anglais-arabe, anglais-ourdou.
Selon le patriarche de Venise, le métissage des civilisations est un processus qui est sous les yeux de tous. Il touche le monde entier et s’accélère sans cesse, comme jamais dans le passé. "Il ne demande pas la permission de se produire", il existe, tout simplement. Croire qu’on peut l’arrêter est une illusion: il faut plutôt le juger de façon critique et "l’orienter vers des façons de vivre droites, au niveau personnel et social". A plus forte raison "pour nous, hommes des religions, convaincus que tous les peuples font partie d’une seule famille humaine et que Dieu conduit l’histoire".
De là l'idée de mettre de l’ordre dans ce processus, surtout conceptuellement. Le livre du professeur Gomarasca reconstruit l’histoire du métissage de civilisations, depuis la découverte des Amériques jusqu’à aujourd’hui, une histoire qui est aussi celle de ses interprétations plus ou moins insatisfaisantes, du point de vue colonial au multiculturalisme.
Mais Gomarasca ne fait pas qu’observer et décrire. Il indique une direction de réflexion. La catégorie clé qu’il met en œuvre est celle de la filiation:
"Le métissage est une nouveauté née de la relation de l'un avec l'autre, mais il ne peut être réduit ni à l’un ni à l’autre: c’est un effet qui les dépasse tous les deux. Voyons par exemple ce qui arrive dans le Nouveau Monde: que sont les 'mestizos' sinon des enfants - dont l’identité mixte interroge la conscience de leurs parents blancs - qui comprennent tout à coup qu’ils ne peuvent pas être les seuls? Comme reconnaissance d’une origine commune, la filiation est une condition nécessaire de la vie droite".
La famille et la société civile libre sont de manière naturelle les "lieux de reconnaissance" et de mise en œuvre de cette communauté entre les hommes, les peuples, les cultures. Et aussi les religions:
"Si l’on admet que les religions sont capables de donner des raisons publiques de leur foi, il est essentiel de valoriser l’apport de vérité qu’elles peuvent fournir à l’idée de la relationnalité constitutive de l'être humain".
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Au moment même du lancement du livre de Gomarasca sur le métissage – le cardinal Scola l’a présenté le 25 mars à Rome, à l'ambassade d'Italie près le Saint-Siège – paraissait aussi le dernier numéro de la revue semestrielle "Oasis".
Un numéro d’"Oasis" qui met en lumière, plus que les vertus du métissage, ses limites et ses risques.
Les articles réunis dans la revue portent surtout sur le monde islamique. Dans un numéro précédent de la Newsletter qui accompagne la revue "Oasis", l’évêque de Tunis, Maroun Elias Lahham, avait mis en garde contre les illusions:
"En tant que religion et culture, l’islam est sûr de lui et n’éprouve pas le besoin d’être enrichi par d’autres apports. Dans l’univers culturel arabe qui est le mien, je n’arrive même pas à traduire le mot ‘métissage’ sans lui donner un sens négatif: tahjin, hybride, ou khalt, mélange. Si l’on entend par métissage le lieu où deux identités donnent ensemble vie à une troisième, il y a un risque que les deux identités perdent en s’unissant une partie d’elles-mêmes. Selon moi, le dialogue interculturel et interreligieux ne doit pas permettre qu’on perde même une partie de son identité et de sa foi".
L'article reproduit ci-dessous est tiré du dernier numéro d’"Oasis" et concerne l'Algérie. Il est d’Henri Teissier, archevêque d’Alger pendant vingt ans, de 1988 à 2008.
L'Algérie est un pays où 19 religieux de la toute petite minorité chrétienne ont été martyrisés entre 1994 et 1996.
Aujourd’hui la vie des communautés chrétiennes d’Algérie est à nouveau en grand danger. L'activité missionnaire audacieuse de groupes "evangelical" a amené un durcissement de la répression.
Mais parallèlement on note que des musulmans algériens portent une attention croissante à la liberté de conscience et de religion. On écrit à ce sujet, on en discute, on lance des appels pour que la liberté de se convertir à une autre foi soit garantie.
L'article de l’archevêque Teissier décrit ce double processus contrasté dont la partie positive, dit-il, n’a aujourd’hui d’équivalent dans aucun autre pays arabe.
On trouvera ci-dessous, après le texte de Teissier, un extrait du discours adressé par Benoît XVI à une délégation des musulmans du Cameroun, le 19 mars 2009 à Yaoundé. Le pape n’a pas employé le mot "métissage" mais, conceptuellement, il s’en est approché. Sous l’angle de la coexistence et sûrement pas de la confusion.
Islam d'Algérie. Certains défendent la liberté de conversion
par Henri Teissier
En Algérie la relation islamo-chrétienne connaît un temps de crise depuis la publication par l’État, le 28 février 2006, d’une ordonnance réglant l’exercice des cultes non musulmans. [...] Ce document a été complété, en mai 2007, par deux décrets d’application qui définissent les conditions imposées aux "manifestations religieuses" des cultes autres que l’Islam.
L’ordonnance de 2006, dans son préambule, présente des déclarations de principe positives. Elle affirme avoir pour but d’assurer la protection des cultes non musulmans. Elle garantit la liberté de culte et invite au respect des religions autres que l’Islam.
Toutefois les dispositions énumérées par la suite laissent place à des interprétations maximalistes très préjudiciables à la paix interreligieuse. En effet, toute attitude ou tout document susceptible d’inciter un musulman à quitter sa religion sont punis de peines sévères de prison (un à trois ans) et d’amendes relativement considérables. Par ailleurs, non seulement les cultes non musulmans ne sont autorisés que dans des lieux publics reconnus pour cet usage et clairement désignés aux autorités responsables, mais, plus grave, toute activité autre que cultuelle est interdite dans ces lieux de culte (ce serait la fin des accompagnements humanitaires de l’Église: crèches, dispensaires, soutien scolaire, conférences, etc.).
Ainsi cette disposition rend suspecte toute prière entre chrétiens dans un cadre autre qu’une église, tout comme l’assistance religieuse aux chantiers de travailleurs chrétiens étrangers, aux groupes de pèlerins en marche vers Tamanrasset, ainsi que les célébrations auprès des migrants qui vivent dans les périphéries des villes. Mais surtout, plus généralement, toute rencontre de prière chrétienne ou toute eucharistie domestique dans les quartiers et les villes où il n’existe pas de structures ecclésiales reconnues. [...]
En fait, les premières mesures prises par l’État algérien le furent contre l’Église catholique. [...] Entre le 7 et le 15 mai 2007, toutes les communautés de religieux et religieuses catholiques de tous les départements du Nord du pays ont été convoquées et invitées à quitter l’Algérie pour des raisons sécuritaires. À partir du mois d’octobre 2007, il est devenu presque impossible d’obtenir des visas pour accueillir de nouveaux religieux et religieuses ou des volontaires laïcs.
Ces premières mesures [...] furent ensuite suivies de bien d’autres décisions: expulsion, le 20 novembre 2007, de quatre volontaires brésiliens chrétiens invités en Algérie par l’Archevêque pour servir les étudiants boursiers chrétiens venant des pays lusophones (Mozambique, Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau, etc.); interdiction par le Wali de Ouargla de célébrer la messe de Pâques dans un camp pétrolier italien en raison des dispositions de l’ordonnance sur les lieux de culte; refus de visa de visite à plusieurs des responsables de congrégations religieuses travaillant en Algérie; refus de visa à une laïque pour le motif expressément déclaré au consulat à Paris qu’elle travaillait à la délégation "catholique" à la coopération, etc.
Par la suite, des interprétations maximalistes de l’ordonnance réglant la vie des cultes non musulmans n’ont pas manqué d’être prises, en divers lieux et en diverses occasions. Un prêtre catholique, du diocèse d’Oran, le P. Pierre Wallez, fut gardé pendant trente heures à la gendarmerie de Maghnia, le 9 janvier 2008, pour avoir prié deux jours après Noël, avec des camerounais chrétiens qui vivaient dans une forêt près de la frontière algéro-marocaine. En principe, l’ordonnance interdisait uniquement le "culte" en dehors d’une église. Or ce prêtre avait seulement rendu une visite pastorale à des chrétiens auprès desquels aucun "culte" n’avait été célébré, mais juste une prière partagée dans le contexte de la grande fête chrétienne de Noël. Ce prêtre fut condamné en première instance à six mois de prison avec sursis, puis le 9 avril 2008, en deuxième instance, à deux mois de prison avec sursis, alors que ces visites à des migrants avaient lieu depuis plus d’une dizaine d’années et que les autorités algériennes responsables en avaient été informées par l’évêque du lieu. Le médecin algérien qui accompagnait bénévolement le prêtre dans ses visites fut d’abord condamné à deux ans de prison ferme, peine finalement commuée en six mois avec sursis, mais avec l’interdiction d’exercer dorénavant la médecine dans la fonction publique.
Dans la vie quotidienne, il arrive que la gendarmerie arrête des prêtres qui circulent sur la route et les accuse de prosélytisme parce qu’ils ont sur eux leur Bible et leur bréviaire (cf. la gendarmerie de Sidi Akacha, près de Ténès). Des catholiques arrivant en avion se voient confisquer leurs livres chrétiens personnels (par exemple à l’aéroport de Batna, en juin 2008). Une enseignante algérienne chrétienne qui avait sur elle un chapelet est retenue à la police et doit subir un interrogatoire serré, etc. Plus récemment, en juin dernier, la police a fait saisir par la douane tous les exemplaires reçus individuellement par la poste des "Prions en Église" et des "Magnificat", malgré une lettre de protestation de l’Archevêque adressée au ministre des Affaires religieuses qui est restée sans réponse, etc. Dans plusieurs villes, on déplore désormais la fermeture des activités éducatives animées par l’Église.
Mais toutes ces mesures relèvent, le plus souvent, de la tracasserie de certains responsables et n’auraient pas eu de grandes conséquences sans un fait qui, lui, a touché largement l’opinion publique. [...]
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Depuis une dizaine d’années, la presse algérienne a régulièrement présenté des études sur le phénomène, nouveau dans un pays musulman, de la conversion de groupes de personnes d’origine musulmane, surtout dans la région de Kabylie. [...] Dans un de ces nombreux articles des années passées repris à titre d’exemple par le journal francophone d’Alger "Le Soir d’Algérie" du 19 mars 2000, on pouvait lire:
"Fait significatif, la quasi totalité des membres de ces communautés n’est pas apparentée à l’entité catholique, traditionnellement présente en Algérie. Ils sont algériens de confession chrétienne, mais de rite protestant. Beaucoup disent avoir eu une aventure spirituelle et religieuse suite à laquelle ils ont changé de trajectoire, d’autres font pour la première fois l’expérience de la foi, mais tous convergent sur la voie du Christ, affirmant avoir reçu sa grâce. Mais d’où vient que tous ces hommes et ces femmes aient éprouvé un vif engouement pour la spiritualité en embrassant la religion chrétienne? [...] Serait-il l’expression d’une recherche identitaire? [...] S’agit-il d’une tentative de réappropriation de l’héritage augustinien qui se cache sous la cendre des siècles? Le phénomène a-t-il un lien avec l’actualité immédiate de l’Algérie où l’islamisme affole le pays sur fond de violences meurtrières? Ou exprime-t-il tout simplement une coquetterie de mode, palliatif à un besoin passager d’identification? Y a-t-il encore derrière cette expérience spirituelle une envie de transcender la matérialité de l’existence, une quête thérapeutique devant une angoisse existentielle où la quête du sens de la vie s’est déplacée de la terre vers le ciel? ".
On aura donc vu, à travers la citation de presse proposée ci-dessus, que, déjà avant la crise actuelle, certains journalistes algériens s’étaient exprimés positivement sur ce thème de la liberté de conscience, y compris sur le droit de changer de religion pour un musulman. Mais ce qui va devenir vraiment nouveau pour un pays arabe, c’est que l’aggravation de la situation provoquée par les décrets du 28 février 2006 va susciter, dans l’opinion musulmane libérale en Algérie, une réaction collective de défense des droits des nouveaux chrétiens venus de l’Islam.
En effet, après la mise en accusation par la justice d’une jeune éducatrice algérienne de Tiaret, "Habiba", en avril-mai 2007, qui s’était convertie au christianisme évangélique, un vrai débat public s’est exprimé, dans lequel une partie des interlocuteurs a publiquement défendu le droit à la liberté de conscience "de Habiba" et de tous les Algériens. Le journal algérien francophone "El Watan" a même pris l’initiative de publier le 18 mars 2008 une pétition signée ensuite par plus de deux milliers d’intellectuels algériens et dont le texte déclare:
"Des journalistes condamnés à des peines de prison ferme et menacés d’incarcération. Des syndicalistes licenciés pour avoir revendiqué des salaires décents. Des chrétiens harcelés pour délit de prière. Les signataires vivement inquiets de cette escalade contre les libertés démocratiques: expriment leur solidarité avec les journalistes libres, les syndicats autonomes et la communauté chrétienne d’Algérie, cibles de mesures aussi brutales qu’injustifiées; réaffirment leur attachement à la liberté d’expression, au pluralisme syndical et à la liberté de conscience, synonyme du droit de chacun de pratiquer la religion de son choix, ou de ne pas pratiquer; appellent à la tolérance et au respect des libertés et de la diversité, valeurs cardinales de toute société démocratique".
Dans le même sens va la déclaration faite par le "Rassemblement pour la Culture et la Démocratie", l’un des principaux partis d’opposition algériens et par son président le Dr Saïd Saadi, dans la présentation faite par le journal "El Watan" du 28 février 2008:
"La liberté de culte est atteinte! Le RCD réagit. Le parti de Saïd Sadi dénonce en effet des faiseurs d’opinions en mission qui ont lancé une campagne inquisitoriale pour dénoncer l’évangélisation du pays. […] Le RCD estime, dans un communiqué rendu public hier, que cela porte atteinte à la Constitution et aux pactes internationaux signés par l’Algérie garantissant respectivement la liberté de culte et la liberté de conscience. Pour lui, il n’y a pas l’ombre d’un doute qu’il s’agit là d’une véritable opération de persécution menée contre les chrétiens d’Algérie. Cette campagne, exécutée à grands renforts de publicité, a une apparence – la défense de l’Islam – mais une réalité: sceller de nouveau l’alliance entre le président Bouteflika et le courant islamiste radical".
On trouvera des positions semblables dans une déclaration publiée par "La Maison des droits de l’homme et du citoyen de Tizi Ouzou":
"Nous appelons tous ceux qui […] peuvent influer sur les évènements à faire preuve de sagesse et de sens des responsabilités: l’Algérie […] n’a pas besoin de se lancer dans une fausse guerre de religions. Pour les militants des droits de l’homme, la liberté de culte et de conscience est un principe intangible. Les pouvoirs publics doivent veiller au strict respect des obligations contenues dans les traités et les conventions que l’Algérie a ratifiés".
Le 26 mai 2008, le chef du gouvernement de l’époque, M. Belkhadem, est mis directement en cause par "Le Soir d’Algérie", dans un article de Nawel Imès intitulé "Le temps de l’Inquisition" qui porte toujours sur le thème du respect de la liberté de conscience:
"À intervalles réguliers, l’Islam sert de fond de commerce et les concessions faites aux islamistes sont présentées comme un mal nécessaire. La mise en œuvre de la réconciliation nationale n’a pas arrangé les choses. Pis encore, on assiste à un retour en force du religieux. […] En annonçant que 'la société algérienne s’est attachée au Saint Coran depuis qu’elle a embrassé l’Islam et le Coran représente sa constitution qu’elle n’acceptera point de changer', le chef du gouvernement, en plus de violer le principe de la liberté de conscience, ne fait que légitimer la chasse aux non-musulmans menée tambour battant par le ministre des Affaires religieuses. En moins d’un mois, 25 communautés chrétiennes se sont vues notifier l’ordre de cesser toute activité. Des Algériens convertis au christianisme sont poursuivis en justice et des responsables d’églises sont sommés de quitter l’Algérie car présentant 'une menace pour la sécurité de la nation'. Plus grave encore, une jeune femme risque trois ans de prison à Tiaret. Elle a été arrêtée en possession de plusieurs exemplaires de la Bible, ce qui a suffit à son inculpation".
L’un des penseurs contemporains algériens les plus en vue, résidant en France mais venu en Algérie pour une conférence, Soheib Bencheikh, tient des propos allant dans le même sens, que le journal "El Watan" du 22 mai 2008 reproduit:
"Le législateur ou le moralisateur ne peut pas pénétrer dans la conscience des gens, a ainsi commencé M. Soheib Bencheikh, ancien mufti de Marseille […] Écœuré par la tournure prise par les évènements, il joint sa voix à celle de ceux qui dénoncent la chasse aux sorcières tout en relevant les paradoxes de l’Algérie moderne. En effet, au moment où se tient un colloque international sur la conception des droits de l’homme chez l’émir Abdelkader, avec la mise en exergue de sa défense des chrétiens au Moyen-Orient, le tribunal de Tiaret juge une femme pour pratique illégale d’une religion autre que l’Islam. 'La foi ne se décrète pas' dit-il, tout en rejetant 'la manière de faire de l’administration' ainsi que 'ces agissements en complète contradiction avec notre religion qui favorise les confessions et les protège'. Et d’asséner des sourates pour appuyer ses déclarations, notamment les versets sur la tolérance, la diversité religieuse et la non-contrainte".
Au-delà de ces prises de position de l’opinion publique libérale en Algérie, il est tout à fait significatif que le ministre des Affaires religieuses, M. Ghoulamallah, ait déclaré à plusieurs reprises qu’il soutenait la liberté de conscience, y compris la possibilité pour un musulman de changer de religion, ajoutant que ce que l’État algérien redoutait, ce serait la constitution de minorités religieuses qui chercheraient ensuite à faire appel à l’étranger pour défendre leurs droits.
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On sait que le débat en Islam sur le statut du musulman quittant l’Islam pour se convertir à une autre religion (le "murtadd") est un débat ancien et aujourd’hui très actuel. Le Coran ne menace l’apostat que des peines de l’autre monde (par ex. 16,108). Mais le hadîth prévoit la mise à mort de l’apostat. Les fuqahâ’, ou spécialistes de la sharî’a, se disputent pour savoir comment interpréter cette tradition. Certains exégètes contemporains disent qu’il faut tenir compte du fait que les versets radicaux ont été prononcés dans un contexte où se profilait la menace d’une révolte générale des tribus de la péninsule arabique qui aurait mis en péril l’existence même du jeune état musulman, ce qui eut lieu effectivement sous le califat d’Abou Bakr. Par conséquent, il faudrait comprendre ces versets comme une condamnation de la trahison en cas de péril de la nation. Le principe "qu’il n’y a pas de contrainte en religion" demeurant sauf.
Mais le fait nouveau auquel doit faire face l’État algérien est la conversion de plusieurs centaines, peut-être de plusieurs milliers de personnes nées dans des familles musulmanes et qui choisissent publiquement d’adhérer au christianisme. En fait le débat, dans la presse algérienne, ne s’est pas engagé à partir des critères propres à l’exégèse musulmane. Pour la presse francophone, généralement plus ouverte au respect des convictions personnelles, il s’agit d’un débat sur la liberté de conscience, à partir d’une perspective des droits de l’homme.
Une évolution très importante s’est donc produite en Algérie à l’occasion de ce mouvement de conversions. Il ne s’agit plus, en effet, d’une opinion particulière exprimée par un spécialiste, mais bien d’une réaction de conscience exprimée par des centaines de journalistes et des milliers d’intellectuels musulmans défendant la liberté de conscience de ceux de leurs compatriotes qui ont choisi de quitter l’Islam pour embrasser une autre confession.
À ma connaissance, aucun pays arabe et musulman n’a déjà connu un débat de cette ampleur sur la liberté de conscience entendue comme la liberté pour des musulmans de quitter leur religion de naissance pour choisir d’adhérer librement à une autre confession.
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Le lien vers la fondation internationale "Oasis", en italien, anglais, français, arabe et ourdou, avec la revue, la newsletter d’informations et de commentaires, les livres:
> Oasis
Parmi ses nombreuses activités, "Oasis" diffuse en ligne, chaque lundi, la catéchèse de Benoît XVI à l'audience générale du mercredi précédent, traduite intégralement en langue arabe.
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Et le pape, au Cameroun, a dit aux musulmans...
Extrait du discours de Benoît XVI à une délégation de musulmans du Cameroun, le 19 mars 2009, à Yaoundé:
Mes amis, je crois qu’aujourd’hui une tâche particulièrement urgente de la religion est de dévoiler l’immense potentiel de la raison humaine, qui est elle-même un don de Dieu et que la révélation et la foi fortifient. Loin de réprimer notre capacité de nous comprendre nous-mêmes et de comprendre le monde, la foi dans le Dieu unique l’élargit. Loin de nous dresser contre le monde, elle nous lie à lui. Nous sommes appelés à aider les autres à voir les indices subtils et mystérieux de la présence de Dieu dans le monde qu’il a créé d’une manière merveilleuse et qu’il continue de soutenir par son amour ineffable et universel. Bien qu’en cette vie nos pensées finies ne puissent jamais saisir directement sa gloire infinie, nous discernons néanmoins des aperçus de celle-ci dans la beauté de ce qui nous entoure. Lorsque des hommes et des femmes laissent le magnifique ordre du monde et la splendeur de la dignité humaine éclairer leurs pensées, ils découvrent que ce qui est « raisonnable » va bien au-delà de ce que les mathématiques peuvent calculer, de ce que la logique peut déduire et de ce que l’expérimentation scientifique peut démontrer; ce qui est "raisonnable" comprend aussi la bonté et l’attrait inné pour une vie morale droite qui nous est donnée à connaître à travers le langage même de la création.
Cette perception nous incite à chercher tout ce qui est droit et juste, à sortir de la sphère étroite de notre propre intérêt personnel et à agir pour le bien des autres. C’est ainsi qu’une religion authentique élargit l’horizon de la compréhension humaine et est à la base de toute culture humaine authentique. Elle rejette toute forme de violence et de totalitarisme, non seulement à cause des principes de la foi mais aussi d’une raison droite. En effet, religion et raison se renforcent mutuellement car, d’une part, la religion est purifiée et structurée par la raison et, d’autre part, tout le potentiel de la raison est libéré par la révélation et par la foi.
Je vous encourage donc, chers amis musulmans, à faire pénétrer dans la société les valeurs qui ressortent de cette perspective et qui élèvent la culture humaine, et aussi à inviter d’autres personnes à participer à la construction d’une civilisation de l’amour. Puisse la coopération enthousiaste des musulmans, des catholiques et des autres chrétiens, au Cameroun, être pour les autres nations africaines un indicateur lumineux de l’énorme potentiel de l’engagement interreligieux pour la paix, la justice et le bien commun!


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