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L’étiquette, Monseigneur

Publié le 01 avril 2009 par Magda

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Nos Ipod sont faits dans des sweatshops.

Mercredi, le jour des enfants. Là où je travaille aujourd’hui, dans un spectacle pour un grand parc de loisirs, les bambins se promènent avec  des serre-tête Mickey, des Winnie l’Ourson démesurés, des casquettes Hannah Montana. Ecoeurement pastel, qui sent la frite.

J’enfile mon costume de scène (un vilain truc taillé pour un adolescent obèse de l’Iowa, alors que j’ai plutôt le format Barbie). En retirant mon T-Shirt, ma jupe, mon pull, mon collant, les étiquettes de mes propres vêtements me sautent aux yeux. Diesel. H&M. Gap. Il est vraiment très tôt ce matin, et j’ai soudain la vue qui se brouille. Comme s’il y avait du sang sur mes fringues… De sales taches indélébiles. Du sang de gosse Sri-Lankais de huit ans, de la sueur de femme enceinte Haïtienne, qui n’a pas dormi depuis 24 heures.

Un peu plus tard, en sortant du spectacle, je tente de faire les courses. Je ressors bredouille du supermarché, agressée par les marques qui me racolent à coup de couleur criarde et de publicité mensongère : de l’eau Taillefine à 0% de matière grasse! Wow! De l’eau grasse, voilà qui eût été nouveau, pourtant. Du pain complet Harry’s, à la farine de blé… blanche comme neige. Du shampoing Garnier à base de plantes, mais surtout… de produits chimiques polluants pour ma peau, et pour les égouts du voisin.

Et toute ma trousse de maquillage pue étrangement le pétrole testé sur des lapins, qui du fond de leur cage, me regardent comme si j’étais Hitler.

J’ai faim, je suis pas maquillée, j’ai les cheveux sales, et je me promène virtuellement nue dans un supermarché. Voilà où j’en suis arrivée, avec ma prise de conscience récente. C’était une vraie claque, je ne m’en remets pas.

Depuis un mois, je décortique No logo, le brûlot de Naomi Klein, dans tous les sens. Ce livre, écrit il y a dix ans, entre en résonance avec la crise financière actuelle, évidemment. Klein, la croisée américaine de l’altermondialisme, a pondu là un bouquin qui n’a pas pris une ride. Et si je le lis, et le relis sans cesse en ce moment, c’est pour en éprouver la qualité intrinsèquement révoltante.

Croyez-moi : après plusieurs lectures, on est toujours bouleversé par cette analyse du mécanisme du branding (omniprésence de la marque), des sweatshops (ateliers où des travailleurs du Tiers-Monde touchent 1,20 dollars pour 16 heures de labeur quotidien, sans couverture sociale) et des McJobs (les petits boulots pourris et mal payés que nous avons tous faits étudiants, et que certains diplômés Bac+5 continuent d’exercer, faute d’emploi). On croit savoir. On a tous vu les reportages, les docus, les photos chocs. Mais pourquoi oublie-t-on si vite, alors? Le livre de Klein, lui, fait office d’injection de conscience de longue durée.

C’est un livre important, un témoignage simple à comprendre et toutefois très bien documenté sur l’invasion du marketing dans nos vies, et la disparition de l’éthique dans les mentalités du business. Mais aussi, et surtout, voilà un livre qui fait mûrir les ferments de la colère, de la grogne et de la faim de justice sociale. Qu’on soit cadre sup’ ou employé chez Starbucks, nous sommes touchés par une inégalité flagrante : une poignée de gens gagne l’équivalent du PNB d’un pays d’Europe de l’Est, tandis que les autres se contentent des miettes pailletées de Disney, Gap, Nike et autres H&M.

Naomi Klein n’est pas une excitée aux cheveux verts qui joue du pipeau sur des plages nudistes, ou ressemble à un bûcheron à force de bûcher. Comme moi, elle est coquette, comme moi, c’est une jeune femme occidentale, comme moi, elle a fait des études de manière assez privilégiée. Comme moi, comme vous aussi, sûrement. Quand Naomi Klein dit que le capitalisme n’est sans doute pas d’une telle évidence, plus personne ne la prend pour une communiste.

Amis lecteurs : loin de moi l’envie de vous faire la leçon. J’ai plutôt envie d’aller au front. Démocratiquement, intelligemment. Je ne pourrai pas vivre plus longtemps sans shampoing, sans minijupe, sans crème dessert au chocolat ni mascara. Pour qu’elles me rendent mes produits purs et blancs - comme ils tentent de les maquiller chez Apple - il faut que j’aille faire pression sur ces multinationales qui me volent ma tranquillité d’esprit.

Et qui volent votre boulot (parce que vous êtes trop cher pour votre employeur, méchant assuré social!).

Et la vie de milliers d’ouvriers du Tiers-Monde.

Et je n’y arriverai pas toute seule…


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