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"Veuillez rendre ce que vous avez trouvé..." 2ème partie et fin

Par Sandy458

Devant lui, une feuille d'arbre se pose en silence.  Elle arbore une marge rouge sur son côté gauche et des lignes bleues la traversent horizontalement. L'arbre cahier bruisse doucement sous l'effet d'une brise soufflée par des écoliers.

Un avis de recherche... voilà la solution... si je demande aux autres de me rendre ce que j'ai oublié de prendre et perdu dans la foulée, je serai vite fixé !

L'homme casse une branche de fusain et la mordille lentement en recherche   d'inspiration.

 

Puis, d'une traite, il rédige son annonce :

« Messieurs et Mesdames, ayez pitié !

Oublié, pas pris et enfin perdu, je ne sais pas ce que je cherche.

Si vous le savez, veuillez rendre ce que vous avez trouvé à son humble propriétaire ».

 Il contemple son œuvre à bout de bras - serait-ce déjà un soupçon de presbytie ? - ravi de sa calligraphie.

 Les mots lui sourient, les E rient élégamment, les O s'esclaffent grassement, les V   cherchent à s'envoler.

Il plie sa feuille, le bout de la langue sortie dans l'effort puis il expédie son avion origami dans la stratosphère.

Bon voyage et à la prochaine escale, n'oublie pas de délivrer mon message !

Forcément désœuvré et fatigué après ces travaux de scribe et d'ingénieur en aéronautique, il se frotte les yeux et se demande à quoi consacrer son attente courte moyenne ou longue - rayez la mention inutile.

Devant lui, le bar-tabac-salles-des-espoirs-perdus-et-des-soupirs-d'amoureux-éconduits lui fait de l'œil et la poitrine accueillante de la tenancière exhibe ses globes lumineux sous un corsage transparent.

 
- Que voulez-vous consommer, Monsieur? Espoirs-perdus? Soupirs- d'amoureux-éconduits?
- Vous servez de la recherche-de-mystère-oublié?
- Bien sûr, Monsieur, asseyez-vous par là, on s'occupe de vous tout de suite!

Une serveuse passe à côté de l'homme, de larges traînées de rimmel zèbrent ses joues pâles. Depuis ce matin, elle est de service dans l'espace des soupirs-d'amoureux-éconduits et prenant son rôle bien à cœur brisé, les pourboires s'entassent dans la poche de son tablier.

Un point d'interrogation géant s'approche de l'homme.

Ah, non, ce n'est pas un signe de ponctuation, on constate lorsqu'il se tient de face qu'il s'agit d'un serveur muni de bras et de jambes ligotés.

Il dépose un petit gobelet contenant un liquide ambré devant son client un peu interloqué.

 

- Je vous dois combien?
- Devinez, Monsieur, car c'est un mystère que j'ai oublié.
- Tenez, prenez ces pièces, ça vous va?
- Parfait, c'est tout à fait ça.
- Gardez la monnaie, j'aime les comptes falsifiés.

Tandis que le serveur s'éloigne en sautillant sur l'énorme point qui lui sert de base, l'homme trempe ses lèvres dans le liquide inodore et sans saveur. 

C'est peut-être cela que j'ai oublié et perdu : le sens du goût et de l'odorat... le sens commun, celui de la logique et la raison ...

- Il est à vous l'avion qui a détruit la moitié de ma maison et mon jardin par la même occasion?

L'homme lève les yeux et dévisage l'individu qui le hèle avec une voix de camionneur enroué.

C'est une toute petite vieille aux cheveux blancs rosés, toute de noir vêtue et qui serre contre elle un cabas vert crotale d'où sort des bottes de poireaux turquoises.

Ses petits yeux truculents vont du regard de l'homme, aux légumes à la couleur incongrue.

 

- C'est à la mode, cette année, c'est une teinte obtenue par manipulation génétique qui sied parfaitement aux petites vieilles en bout de course comme moi.
- Oh, désolée de l'apprendre, je suis contre l'acharnement thérapeutique. Vous désirez, Madame?
- Je vous le redemande une dernière fois, il est à vous ce Concorde mal embouché?

Elle lui tend l'avis de recherche précédemment rédigé.

 « Mssiurs t Msdams, ayz piti !

Oubli, pas pris t nfin prdu, j n sais pas c qu j chrch.

Si vous l savz, vuillz rndr c qu vous avz trouv à son humbl propritair ».

Ah, c'est malin songe-t'il. Les E se sont tous fait la malle pendant le crash, comme dans un roman de Pérec. Ça ne veut plus rien dire, comment retrouver quelque chose égaré dans ces conditions ?

Il prend sa tête dans les mains, il se demande s'il ne va pas en pleurer.

 
- Ne vous en faites pas, je sais ce que vous avez omis de prendre et perdu.
- C'est vrai?
- Oui et je l'ai avec moi, bien au chaud dans mon cabas, comme la dernière fois.
- La dernière fois?

La grand-mère soupire et pointe un doigt accusateur vers l'homme.

- Vous m'aviez promis que vous en prendriez le plus grand soin, c'est précieux ces petites choses-là! Ah, si jeunesse savait et si vieillesse pouvait...

Si je possédais un tel trésor, mon bon ami, je peux vous assurer que je le chérirai.

Mais, voyez, mon réservoir personnel est presque à sec, j'ai gaspillé le mien dans l'insouciance de la jeunesse. C'était autrefois et je n'ai pas voulu y faire attention même lorsque j'ai constaté qu'il me filait entre les doigts.

Tenez, le voici...

La vieille femme lui tend une petite boîte en carton.

A l'intérieur, deux petits yeux ronds et brillants fixent l'homme.

 
- Allez, cessez de jouer avec sa patience, il pourrait bien se décider à vous abandonner ...Prenez-le, il ne demande que cela. C'est un amour, vous savez, je l'aurais bien gardé pour moi mais je suis honnête, intègre et un peu folle de ne pas sauter sur cette occasion.

L'homme plonge ses mains dans la boîte et en ressort une boule de fourrure douce et soyeuse. Il l'observe, la regarde sous toutes les coutures, il la retourne, elle ne fait  même pas « meuh ».

Un peu incommodée tout de même, la créature émet un couinement aigu.

Regarder sous la fourrure d'une boule, ça ne se fait pas, un peu de pudeur !

Ils se contemplent longuement et soudainement, ils se reconnaissent dans un même élan du cœur.

Ils se cajolent, ils s'embrassent, tout n'est plus qu'effusion et petits mots veloutés dans l'espace des mystères oubliés puis élucidés.

Dans la fourrure, ça s'agite timidement.

Une petite bouche grenat se dégage et susurre à l'homme, sous le charme :

 
- Tu sais, je ne suis jamais réellement perdu si on prend garde à moi et si on m'utilise à bon escient... Je te pardonne, tu es quand même parti à ma recherche... maladroitement et sans Marcel mais c'est le geste qui compte...

 
- Mon dieu... mais comment ai-je pu oublier de te prendre et accepter de te perdre?

Et l'homme sert la petite chose toute tremblante d'émotion contre son cœur.

Mon temps, toi qui m'a été donné déjà compté et que je ne de cesse de gaspiller imprudemment... que de temps j'ai perdu à vouloir te gagner.


Si tu étais mort ou même juste porté disparu, j'aurais tué l'éternité...


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