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Du fossé des générations aux générations faussées

Publié le 03 avril 2009 par Soseki

On nous parle souvent de « fossé des générations » : des générations qui ne se comprendraient pas, n’auraient pas la même vision du passé, du présent et de l’avenir. Cette expression, on l’a notamment connue dans les années 1970’s et 1980’s. Les jeunes, pleins d’ambitions et de soif de vivre voulant se faire une « place au soleil » et trouvant leurs anciens « archaïques ». Je préférerais parler aujourd’hui de « générations faussées » : l’évolution économique et sociale a brisé le ressort même de la jeunesse et inversé la dynamique.

Avoir 20 ans en 1950 : après avoir passé une enfance dans une France de l’Occupation, de l’humiliation, et de la régression, vivre des temps nouveaux remplis des promesses du progrès. On travaillera pour une société plus généreuse, avec le temps l’on pourra devenir propriétaire, et on aura une retraite.
C’était dur pour nos anciens, ce sera mieux pour nous.

Avoir 20 ans en 1960 : le progrès constant, la France qui se reconstruit, une place pour chacun et la récompense des efforts. Gagner toujours plus, plus d’espoirs et d’envies, consommer, devenir propriétaire, s’élever dans la société, et une retraite qui sera épanouissante.
Ce n’était pas facile pour nos anciens mais c’est mieux parti pour nous.

Avoir 20 ans en 1970 : enfance heureuse, avenir sûr, qui doit remplir ses promesses, avoir toujours plus. Avoir plus, d’ailleurs, n’est plus la seule question existentielle, parce que l’on a des questions existentielles : vivre sa jeunesse, vivre libre, vivre des sensations. Place aux jeunes : le monde nous appartient… On peut de plus en plus faire des études. Plus tard, il faudra apprendre à protéger les acquis…
C’était moyen pour nos anciens, c’est mieux pour nous, et ça ne peut qu’aller mieux.

Avoir 20 ans en 1980 : jeunesse facile, l’avenir doit être radieux. Il y a bien eut les chocs pétroliers, mais c’est la faute au capitalisme. L’avenir s’écrit à gauche, car la jeunesse, c’est la gauche ! Malgré les études accessibles pour tous, plus tard, les désillusions viendront. Faudra bien se protéger pour la retraite…
C’était pas mal pour nos anciens, faudrait pas que ça change.

Avoir 20 ans en 1990 : enfance aisée mais pour une jeunesse pleine d’obligations : faire des études pour ne pas être au chômage, gaffe au sida, Le Pen est le nouvel opium des peuples… Le temps est fait de crises, c’était mieux avant… non ?
C’était mieux pour nos anciens, ça ne va pas être facile pour nous.

Avoir 20 ans en 2000 : enfance facile mais pas tranquille. Faire des études pour être au chômage ? Travailler plus pour gagner moins ? Faudrait déjà pouvoir travailler, les plus nombreux au chômage sont les jeunes ! Et dès qu’on bosse, faut payer les charges de la dette pour les générations passées, et se créer sa propre retraite…
Etrangement, les gouvernements cherchent systématiquement à créer un statut spécial pour les jeunes : s’ils travaillent, ce doit être pour gagner moins et être virable plus facilement.
Politique, économie, médias, culture : tout appartient aux anciens : place aux vieux et protégeons-nous du péril jeune ! Heureusement que ce sont les jeunes les nihilistes, qu’est ce que ce serait sinon…
C’est mieux pour nos anciens, pour nous, c’est déjà dur mais ce sera pire demain.

Avoir 20 ans en 2010, est-ce que cela signifiera quelque chose ?

On pourrait se dire que tout cela relève d’une vision subjective, donc restreinte.

Or, le Conseil économique et social s’inquiète, dans un rapport tout récent, du risque d’une « guerre des générations » entre les jeunes, durement affectés par la crise, et les vieux, considérés par certains comme les détenteurs d’un « pouvoir gris ».
Comme l’indiquait un article du journal Le Monde en référence à ce rapport, la génération des « seniors », ayant 58 ans en moyenne, dont le nombre devrait croître dans les prochaines années, représente 5,78 millions de personnes, selon le Conseil. Ils s’apprêtent à quitter la vie professionnelle et ont « le niveau de vie le plus élevé, suscitant l’idée qu’ils exerceraient un véritable pouvoir gris ».
50 % des dirigeants du monde associatif, par exemple, sont des retraités, 59 % des députés ont plus de 55 ans, 58 % des sénateurs plus de 60 ans, près de 40 % des maires élus en 2008 plus de 60 ans et la moyenne d’âge des membres du Conseil est supérieure à… 60 ans, énumère l’étude. En parallèle, le nombre de jeunes entrant dans la vie active reste inférieur à celui des personnes s’apprêtant à la quitter. Et cette nouvelle génération est frappée par le chômage, indique le document.
« On peut redouter une certaine tendance au communautarisme, qui conduirait à développer en France des cités fermées, à l’exemple de celles créées aux Etats-Unis sous le nom de ‘gated communities’ », souligne le rapport, évoquant des « programmes résidentiels clôturés dans le sud de Paris ou près de Toulouse ».

Dernier chiffre que j’ai souvent rappelé su ce blog : 70 % de la richesse nationale appartient aux 65 ans et plus…

Ajoutez à cela une fracture au sein des classes moyennes entre ceux qui peuvent recevoir un patrimoine et ceux qui doivent le créer, un abaissement des charges sur la transmission de patrimoine, le « bouclier fiscal », et la dépénalisation de la délinquance financière permettant aux patrons-voyous (rarement jeunes) d’être à l’abri du risque pénitencier, et vous avez tous les ingrédients du grave crise d’implosion sociale et politique.

Les « gris » et « non-gris » se retrouvent sur des berges sociales opposées, des intérêts économiques divergeant et par la même des positions politiques contradictoires. Or, ceux qui peuvent résoudre ce problème, c.à.d. les politiques, appartiennent pour la plupart, notamment les décideurs, au « pouvoir gris »

Pourvu que ça dure…


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