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Festival de piano Martial Solal au Duc des Lombards

Publié le 07 avril 2009 par Assurbanipal

Martial Solal : piano
Paris. Le Duc des Lombards. Samedi 28 mars 2009. 22h.
Après avoir sorti un album Live en solo enregistré au Village Vanguard, à New York, en 2007, un album studio en solo en 2008 « Solitude », Martial Solal a joué en solo du mercredi 25 au samedi 28 mars 2009 à raison de deux concerts par soir, à 20h et à 22h. Pour un homme né en 1927, la performance physique est à saluer. Je suis venu au dernier concert celui où il devait tout lâcher, comme un coureur de fond dans la dernière ligne droite.
Martial Solal monte sur scène, s'asseoit et attaque sans rien dire. Est ce qu'il s'échauffe ou est ce qu'il joue un morceau ? Martial joue du Solal. Il entame un standard des années 1930 « They can't get that away from me ». Il le joue comme lui seul sait le jouer. Il y du De Chirico chez ce pianiste : classicisme, surréalisme, humour, goût de la variation sur un thème.
Après ce premier morceau, Martial Solal présente son projet pour ce concert. « On ne peut pas m'enlever mon piano. En plus je l'ai loué et j'ai réservé ma place. Je vais jouer des standards et montrer qu'on peut encore s'en servir alors qu'ils sont très usés.Une sorte d'entreprise de remise à neuf. »
« Tea for two ». Un thé fort, du rapide au lent. A des instants de pure virtuosité succèdent des moments de pure grâce.
Il poursuit avec « Sophisticated lady » de Duke Ellington. Il avait d'abord caché le thème avec sophistication. La Lady marche, danse, se pavane, trottine. Mme G note que ce sont des anamorphoses musicales, que le son qui sort du piano est incroyablement coloré. C'est chatoyant comme une robe de soirée de grand couturier. En 1963, Duke Ellington appréciait la fraîcheur de Martial Solal en concert à Newport. En 2009, à Paris, cette fraîcheur est toujours là.
Martial passe à un autre thème de Duke Ellington que je n'identifie pas. Le piano, un vrai « crocodile » de plus de 2,5m de long prend toute la scène. Martial Solal, lui, remplit l'espace de sons chauds ; froids, en arc-en-ciel.
« Round about midnight ». Il n'est que 23h08. Pas grave, nous sommes dans l'ambiance. Pieds, mains, poignets, doigts, tout est sous contrôle au service de la Musique. Contrairement à ce qu'affirment quelques sourds et mal-entendants, il y a de l'émotion dans le jeu de Martial Solal mais il n'y a jamais de pathos ou de guimauve. Il a trop de pudeur et d'élégance pour cela. Vu ma place, je dois regarder un écran pour voir ses mains sur le clavier. Même vu ainsi c'est impressionant. Martial Solal fait partie des très rares pianistes, tous genres confondus, qui gardent la maîtrise de leur art passé 80 ans. Il défie le temps. Pas d'arthrose ! Pour finir, une petite citation de « Salt peanuts ».
Un standard mais lequel ? Il joue la mélodie mais semble la dédoubler voire plus si affinités. Solal pousse le piano dans ses retranchements. C'est un feu d'artifice musical.
« Caravan » de Duke Ellington. Le désert devient multicolore comme les tapis d'Orient. Nous sommes sur un tapis volant.Avec Martial Solal aux commandes, impossible de savoir dans quelle direction nous allons. Ce qui est sûr c'est que nous arriverons à bon port. Cet homme est un festival de piano à lui seul. Cette musique impose l'écoute et la concentration à l'auditeur. Je n'ai jamais entendu le public du Duc des Lombards si sage. Il est vrai qu'à 80€ la place il faut être passionné et fortuné pour venir. Tout autre pianiste me semblera bien fade après ce concert.
« Darn that dream, vous connaissez ? Moi non mais je vais essayer. » Vu ce qu'il en fait, il connaît. Il ne cherche pas à faire joli alors c'est plus que joli, c'est beau. Il fait gronder le piano en vague, en roulis mais pas en roue libre . Ca élève l'âme et ne soulève pas le cœur. C'est tout de même un grand privilège que d'assister au spectacle. de la beauté créée en direct. Martial sort en saluant le piano et revient sous les applaudissements.
Que joue t-il ensuite ? Une sorte de ballade quoique... Encore un air que je connais mais dont le titre m'échappe tant Martial le cache bien.
« Vous avez de la chance. Il en reste un sur la liste ». C'est une blague classique de Martial. Vous pouvez l'entendre en anglais dans son enregistrement en solo au Village Vanguard. C'est un standard du bebop « Night in Tunisia ». Martial l'a joué avec son créateur Dizzy Gillespie à Cannes en 1957. Il y trouve encore du neuf en 2009. Ce qu'il en fait est au delà de mes capacités à expliquer la musique.Les doigts bougent, pas les poignets. Mano de piedra disent les Espagnols. Eric Le Lann est dans la salle, sa trompette posée au vestiaire. Dommage qu'il n'ait pas joué ce morceau là ce soir. Martial Solal referme le couvercle du piano, se lève.
Il revient jouer « My funny Valentine ». La Valentine est habillée pour le printemps. Un vieux fan à côté de moi chantonne et je n'ose briser son enthousiasme. Tout en restant brillant, scintillant, Martial se fait plus émouvant. Là où Keith Jarrett trouve un truc et y reste, Martial Solal en trouve dix car il aime surprendre, se surprendre, varier les émotions et les plaisirs. Il peut même transformer cette ballade en comptine, en morceau hitchkokien.
Sous la pression du public, il revient encore. « Je n'ai plus rien à vous jouer. Je vais être obligé d'improviser maintenant » nous dit-il. « Tant pis, ce n'est pas grave » lui répond le public. Ce n'est plus un standard c'est Martial Solal « Compositeur de l'instant » comme le titre du beau livre sur lui. Martial Solal ne joue pas de block chords. Il a horreur d'être coincé. Pourquoi se bloquerait-il lui-même ? Il finit en jouant en se relevant, ferme le couvercle qu'il fait mine de fermer à clef.
Cette fois c'est vraiment fini. Merci pour tout Monsieur Solal.

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