Voiture vole !

C’est un fantasme récurrent : l’avion-auto. Nouvelle tentative.
On se croirait revenu au bon vieux temps du journal ŤLes Ailesť de Georges Houard, infatigable promoteur des stations Ťair-routeť, point de rencontre ręvé de la sacro-sainte bagnole et de l’avion de loisirs. Mais cela en portant l’idée ŕ son paroxysme avec un appareil capable de replier ses ailes de géant qui l’empęchaient de rouler pour prendre la route, comme la plus banale des 4 ch.
Un prototype américain répondant ŕ cette formule, élégamment baptisé Transition, vient d’effectuer son premier vol, prélude, dit-on, ŕ une version de série livrable ŕ partir de 2011 au prix de 194.000 dollars. Officiellement et réglementairement, il s’agit d’un avion inscrit dans la nouvelle catégorie des LSA, Light Sport Aircraft, et qui devient automobile dčs l’instant oů les ailes sont repliées, ŕ la maničre des chasseurs embarqués. Transition se mue alors en 4-roues, laid ŕ souhait, mais un 4-roues quand męme, capable de voguer ŕ 100 km/h chrono sur routes et autoroutes.
Son constructeur, inconnu au bataillon, porte le doux nom italianisant de Terrafugia. Au cas oů les bons Américains auraient du mal ŕ le prononcer, l’appellation euphonique est indiquée : terra-foo-gee-ah. Les Européens comprennent sans cela !
Comme son nom le l’indique pas, Terrafugia est dirigée par une bande de copains ŕ la tęte bien faite, issus du MIT, et d’ascendance allemande : Carl Dietrich, Anna Mracek, Samuel Schweighart, Richard Geresh. Le pilote d’essais, un ancien de l’USAF (3.000 heures de vol sur F-4, F-16, etc.) s’appelle Phil Meteer. Tous sont intimement convaincus qu’ils vont ouvrir une nouvelle čre de l’aviation légčre.
Le Transition, doté d’un moteur Rotax de 100 ch, vole en croisičre ŕ 180 km/h et, dans les airs, consomme modestement 19 litres ŕ l’heure. La distance franchissable annoncée est de 740 km. Sur route, c’est une petite voiture qui ferait penser ŕ une Smart tout ŕ fait ratée et biscornue. Mais une Smart capable de survoler les embouteillages.
Les jeunes gens qui ont imaginé la voiture qui vole, pour autant qu’ils se soient renseignés, n’ignorent sans doute pas qu’ils ne sont pas les premiers ŕ se lancer dans une telle aventure. La tentative la plus connue fut celle de l’Aerocar, apparu en 1949, propulsé par un Lycoming de 135 ch, monoplace aux performances similaires, ce qui permet de constater que les progrčs accomplis en un demi-sičcle, dans cette discipline trčs particuličre tout a u moins, sont tout simplement nuls.
L’Aerocar fit beaucoup parler de lui. On imagine volontiers qu’il enthousiasma le bon Georges Houard, mais n’alla pas au-delŕ d’une modeste pré-série de six exemplaires. On entend dire, outre-Atlantique, qu’une version modernisée serait ŕ l’étude, dotée d’un puissant V8 de 350 ch qui permettrait d’espérer 270 km/h en croisičre. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Théoriquement, et théoriquement seulement, le nouveau venu devrait inquiéter les industriels de l’aviation légčre et sportive. Tout bien réfléchi, le Transition fait aussi bien que le nouveau Cessna SkyCatcher, le prix mis ŕ part. Et il roule.
Quoi qu’il en soit, il convient d’applaudir. Terrafugia nous offre une respiration au cœur d’une actualité aéronautique pesante, envahie par les mauvaises nouvelles. Carl Dietrich et ses acolytes, qui méritent de connaître le succčs, nous font envie. Nous sommes nombreux ŕ espérer vainement (en męme temps que les mânes de Georges Houard) que de tels entrepreneurs, dans l’acception anglo-saxonne du terme, viennent s’installer chez nous, par exemple ŕ Dijon, et lancent de nouveaux avions légers résolument novateurs. Des avions tout simples nous suffiraient, nous ne leur demanderions męme pas de rouler ailleurs que sur les pistes en herbe de nos petits terrains d’aéro-clubs.
Cela s’annonce hautement improbable. Et, en plus, ŤLes Ailesť ont cessé de paraître en 1963…
Pierre Sparaco - AeroMorning