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En première ligne, 2ème partie et fin

Par Sandy458

Arrivée sur le terrain, c'était toujours le même rituel.

Je posais un genou au sol, je ramassais un peu de terre que je malaxais entre le pouce et l'index, je la humais, je l'inspectais soigneusement.

Si elle collait aux doigts, la journée s'annonçait difficile d'entrée de jeu : c'était le bourbier, le terrain trop lourd qui allait rajouter une pénible charge de fatigue physique à la souffrance morale.

Si la terre s'effritait, cela signifiait qu'elle était sèche, légère : j'avais toutes mes chances, Mars le dieu de la guerre était avec moi et me permettrait de progresser avec moins de peine.

Même si la sécheresse signifiait la poussière à respirer à plein nez.

Ce n'était pas très grave, on prenait vite l'habitude de suffoquer !

Immuablement, je conjurais le sort en jetant une poignée de terre par dessus mon épaule gauche.

C'est fou comme on développe des superstitions étranges quand la trouille vous tord les boyaux.

Le Chef ne faisait pas que me donner mon ordre de mission, il m'accompagnait aussi au bord du champ de bataille.

Il vérifiait que je faisais mon devoir, il était prêt à me coller une balle si je ne mettais pas du cœur à l'ouvrage.

Enfin, lui, il restait toujours à l'arrière, il comptait les points de loin, satisfait d'avoir un brave petit soldat dévoué à Sa Cause, prêt à se faire canarder pour réussir sa satanée opération.

Ce qu'on attendait de moi ? C'était d'une simplicité et d'une bêtise confondantes !

Je devais avancer jusqu'aux lignes ennemies, saper le moral adverse en mettant en exergue ses contradictions et ses erreurs de stratégie qui conduisaient à nous opposer une ligne de défense défaillante dont le Chef pourrait tirer un quelconque avantage.

Après ?

Je repartais en arrière, je devais regagner mon camp sous un feu nourri et vengeur.

C'était tout. C'était pour cela que je vivais depuis trois ans en enfer.

Cette guerre n'était pas la mienne, c'était celle de deux grands pontes égocentriques et belliqueux qui s'affrontaient au-dessus de moi.

Sauf que contrairement à eux, je n'avais pas le choix.

En première ligne, gentil petit soldat docile ! Il faut y aller avec entrain et avancer.

Je devrais dire ramper, ce serait plus explicite...

A la seconde où je débarquais sur le terrain, j'entendais le cliquetis des armes adverses.

Les rafales qu'elles vomissaient sans discontinuer m'obligeaient à me jeter au sol pour ne pas me faire faucher.

Alors, je rampais, je me tortillais, je me collais au sol, j'épousais les courbes du terrain, je me fondais dans la glaise.  C'étaient les vers qui allaient finir par m'aimer car si dans l'immédiat je tentais de leur ressembler pour sauver ma peau, ils pouvaient déjà songer au moment où ils se délecteraient.

Un jour, ma tête exploserait dans la terre, touchée par un tir un peu trop précis. Mon casque sauterait en l'air, arraché par la puissance d'une explosion et ce serait fini.

Injustement mais incontestablement.

C'étaient les Autres qui me l'avaient appris.

Pendant que j'avançais et que je tirais avec fureur pour me couvrir, les Autres, les victimes qui m'avaient précédée, s'agglutinaient sur mon passage.

Leurs corps fantomatiques portaient les stigmates de leurs morts : chaires évanescentes mais criblées d'impacts, cervelles à nues, orbites vidées me fixant avec insistance...

Leur haie d'honneur macabre me faisait horreur. Je n'appréciais pas spécialement qu'on me rappelle qu'il y en avait eu d'autres avant moi : ça signifiait qu'il y en aurait d'autres encore, après moi.

Ces petits soldats avaient tenu un temps plus ou moins longs, de quelques jours à un peu plus de 2 années mais tous avaient fini par se faire happés par la savante machine de destruction.

Jusqu'à présent, j'étais toujours revenue à mon point de départ saine et sauve, terrifiée mais heureuse d'avoir triomphée.

Le temps jouant sur mes nerfs, je revenais de plus en plus souvent épouvantée et excédée.

Maintenant qu'une chape de lassitude s'ajoutait à mon ressentiment, je craignais que la défaite ne s'approchât inexorablement.

En fait, je m'imaginais bien hisser le drapeau blanc à bout de bras : victoire de l'ennemi par forfait.

A la limite, ce serait plus propre, plus rapide, plus précis de se faire dégommer par les siens... plus facile ?... je n'irai pas jusque là mais je me demandais s'il n'était pas temps de laisser la main à une meilleure chaire à canon, plus fraîche, plus agile et plus dévouée.

Par ce que ça devait arriver, ce dimanche, je suis passée à deux doigts du désastre.

Je n'ai pas compris pourquoi j'ai fait cela, c'était un acte stupide de se relever et de regarder les deux adversaires, tour à tour, et de les défier.

La riposte ne s'était pas fait attendre, provenant des deux camps.

Oui, même du mien, celui qui était sensé me protéger, pas m'envoyer ad patres.

Ça avait explosé de tous les côtés, je n'avais jamais vu de telles gerbes de terre montées à l'assaut des nuages. Le ciel était obscurci, l'air vibrait du vacarme de déflagrations abominables, même les fantômes des Autres s'enfuyaient, épouvantés.

Et là, j'ai fais une découverte déroutante... les grenades utilises étaient les mêmes des deux cotés.

Un projectile, bien ajusté, avait traversé mon casque de part en part laissant deux beaux trous, bien ronds, bien nets, en guise de témoignage de leur barbarie.

Sur le moment, j'avais porté la main à ma tête, sûre de la retrouver ensanglantée.

Rien, pas la plus petite goutte, j'ai poussé un soupir de soulagement et je suis rentrée, honteuse, à mon camp.

Le Chef est arrivé sur moi, il m'a empoignée violemment par le bras, le regard furieux et la bouche mauvaise. J'ai même cru qu'il allait me descendre sur l'instant.

Il m'a jetée sans ménagement dans son véhicule, il a démarré, les traits contractés.

Nous avons roulé en silence un long moment jusqu'à ce qu'il explose.

-         Ça t'amuse de jouer à l'imbécile ?

-   Pardon ? Tu crois que ça me plait de m'en prendre plein la tête tous les dimanches ?

-   Oui, je commence à le croire...tes provocations, tu vas te les garder !

-   Non mais... je rêve ! C'est bien toi qui insiste pour ce sale rituel, qui me supplie de m'y plier depuis 3 années et qui prend un malin plaisir à me regarder me faire massacrer ? Et il faudrait que je laisse faire sans broncher ?

-   J'ai peut-être mes tords, elle aussi, mais ce n'est pas une raison pour te comporter comme cela...

-  Alors, je te le dis tout net, je refuse de continuer à jouer un rôle dans cette guerre qui ne vous regarde qu'elle et toi et où je suis juste votre marionnette ! Écoute-moi bien : c'est la dernière fois que j'accepte de déjeuner chez ta mère ! »

Dans ses yeux, j'ai lu que c'était terminé et qu'il ne pourrait supporter mon désengagement dans son combat œdipien, quasi incestueux.

La semaine suivante il m'a sèchement démobilisée.

Rien, pas la plus petite médaille, pas la plus petite citation au tableau de bravoure pour ces 3 années exemplaires.

Même pas un merci...ingrat gradé !


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