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Projet de loi pénitentiaire : une réforme sans réforme ?

Publié le 09 avril 2009 par Ressol

Depuis quelques annжes, la question des prisons est devenue un sujet politique sensible. Alors que les rУgles pжnitentiaires europжennes consacrent les droits fondamentaux des personnes dжtenues, la France devait rattraper son retard au regard de ces normes nouvelles. Mais alors que chaque Gouvernement a voulu s’approprier ce sujet en multipliant les interventions lжgislatives et que plusieurs projets de loi pжnitentiaire ont жtж dжposжs, aucun d’entre eux n’a encore abouti Я la promulgation d’un texte.

Le monde carcжral attendait donc une clarification du droit applicable en prison. C’est dans ce contexte que le 28 juillet 2008, la Garde des Sceaux a prжsentж en Conseil des Ministres un nouveau projet de loi. Bien qu’attendu et rжclamж par les professionnels, ce texte apparaЬt dжcevant Я bien des жgards. Il ne semble en effet garantir ni lisibilitж satisfaisante du droit des prisons, ni effectivitж des droits des personnes dжtenues. Un projet de loi dжcevant

L’un des objectifs du projet de loi est de remettre de l’ordre dans notre systУme normatif.

Aujourd’hui, les rУgles pжnitentiaires sont majoritairement traitжes par voie rжglementaire, c’est-Я-dire par dжcision du Gouvernement, alors que certaines d’entre elles relУvent de la compжtence de la loi et devraient Жtre votжes par le Parlement.

└ la lecture du projet de loi, on constate cependant qu’il est encore procжdж Я de nombreux renvois aux dжcrets. └ titre d’exemple, le rжgime disciplinaire en dжtention sera encore massivement rжgi par voie rжglementaire, l’article 53 du projet de loi se contentant de poser trois principes gжnжraux : classement des fautes selon leur nature et leur gravitж, quantum maximum des sanctions d’encellulement disciplinaire et droit Я l’assistance d’un avocat devant la commission de discipline.

Le Conseil Constitutionnel considУre que les rУgles du droit pжnal doivent жgalement Жtre appliquжes au pouvoir de sanction exercж par l’administration. Parmi elles : le principe de lжgalitж des dжlits et des peines. Celui-ci prжconise qu’on ne peut Жtre condamnж Я une sanction et pour une infraction que si l’une et l’autre sont prжvues par un texte lжgislatif. L’application de ce principe permet d’жviter de laisser une trop grande latitude Я l’administration qui ne peut punir que conformжment Я un texte votж par le Parlement.

De mЖme, ce nouveau texte n’apportera pas de changement dans la confusion des rУgles applicables aux personnes incarcжrжes, qui sont actuellement жparpillжes au sein du code de procжdure pжnale. Il risque au demeurant de les disperser davantage, puisque le Gouvernement a « choisi de ne pas alourdir (le code de procжdure pжnale) avec des dispositions relatives aux droits des dжtenus ». Le titre Ier du projet de loi, relatif au service public pжnitentiaire et Я la condition de la personne dжtenue, n’y sera donc pas insжrж.

Cette dжcision aura pour consжquence d’жparpiller un peu plus les rУgles applicables en prison. Elle laisse жgalement sousentendre la faible importance reconnue aux droits des personnes dжtenues. Une importance toute relative accordжe aux droits des personnes dжtenues

Alors que, conformжment aux rУgles pжnitentiaires europжennes, la loi s’жtait donnж pour objectif de « consacrer le principe selon lequel la personne dжtenue conserve le bжnжfice de ses droits », l’article 10 du projet ne prжvoyait que les restrictions dont pouvaient faire l’objet les droits des dжtenus. GrРce Я un amendement du Sжnat, l’affirmation du principe devrait Жtre rжintroduite et l’administration pжnitentiaire devrait avoir l’obligation de garantir « Я tout dжtenu le respect des droits fondamentaux inhжrents Я la personne », sans toutefois que le texte apporte une reconnaissance effective et concrУte des droits de dжtenus.

Le projet de loi a ainsi gardж le silence sur l’absence de recours dont disposent les dжtenus contre certaines dжcisions prises Я leur encontre. Jusqu’au milieu des annжes 1990, les dжcisions de l’administration pжnitentiaire жtaient par nature insusceptibles de recours, privant ainsi le dжtenu d’une possibilitж de contrЗle de ces dжcisions par le juge.

Peu Я peu, le juge administratif a acceptж de les examiner en prenant en considжration la nature et l’importance des consжquences qu’elles entraЬnent sur la situation personnelle des dжtenus. A ce jour cependant, certaines dжcisions ne sont toujours pas susceptibles de recours. Laisser au juge administratif le soin de dжcider des possibilitжs de recours place le dжtenu face Я une insжcuritж juridique. Cet жtat de fait ne garantissant pas le droit au recours effectif consacrж par la Convention Europжenne des Droits de l’Homme, il semblait essentiel que la loi pжnitentiaire comble cette lacune juridique. Pourtant, aucune disposition en ce sens n’a жtж soumise au Parlement.

Des interrogations sur l’accУs au droit en prison

Pourtant, la personne dжtenue doit pouvoir Жtre informжe de ses droits et de ses obligations, Жtre accompagnжe dans ses dжmarches juridiques, ou Жtre orientжe vers les structures qui l’aideront Я faire valoir ses droits. La commission d’enquЖte du Parlement demandait d’ailleurs, dУs 2000, que soit facilitж l’accУs au droit en prison.

Cependant, alors que l’article 7 de l’avant-projet de loi pжnitentiaire consacrait l’aide Я l’accУs au droit des personnes dжtenues, le projet de loi soumis au Parlement reste silencieux Я ce sujet. La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a donc recommandж que soit rжintroduit « le droit de toute personne dжtenue de bжnжficier de consultation et d’assistance juridiques en vue notamment de l’informer de ses droits et de l’aider Я les faire valoir ». Elle prжconise жgalement le renforcement des « structures d’accУs au droit dans les жtablissements pжnitentiaires existants ou futurs ».

Par consжquent, le projet de loi pжnitentiaire dжуoit. On attendait un texte gжnжraliste sur le droit des prisons, garantissant une vжritable reconnaissance du statut juridique du dжtenu et une clarification des rУgles qui lui sont applicables. Mais le texte proposж n’apporte pas de rжelles modifications sur ces points. On est donc en droit de se poser la question de la pertinence d’une loi pжnitentiaire qui ne rжforme pas rжellement le droit des prisons alors que ce texte, dжjЯ partiellement amendж par les sжnateurs, sera soumis au dжbat du Sжnat dУs le courant du mois de mars.


- 1 Dжcision du Conseil Constitutionnel n°89-260 du 28 juillet 1989
- 2 Rжponse du Gouvernement Я l’avis de la CNCDH du 6 novembre 2008 sur le projet de loi pжnitentiaire, p. 1
- 3 Rжponse du Gouvernement Я l’avis de la CNCDH du 6 novembre 2008 sur le projet de loi pжnitentiaire, p. 1
- 4 Article 10 du projet de loi pжnitentiaire : « Les droits des dжtenus ne peuvent faire l’objet d’autres restrictions que celles rжsultant des contraintes inhжrentes Я leur dжtention, du maintien de a sжcuritж et du bon ordre des жtablissements, de la prжvention des infractions et de la protection des intжrЖts des victimes. (…) »
- 5 A titre d’exemple : Conseil d’Etat, Assemblжe, 17 fжvrier 1995, Hardouin et Marie (sur le rжgime disciplinaire et le placement Я l’isolement) ; Conseil d’Etat, Assemblжe du Contentieux, 14 dжcembre 2007, n°290730, M. Boussaour
- 6 Rapport de commission d’enquЖte n°449 (1999-2000) de Messieurs Hyest et Cabanel sur les conditions de dжtention dans les жtablissements pжnitentiaires en France (tome 1), dжposж le 29 juin 2000
- 7 Recommandation n°38 de l’avis de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme sur le projet de loi pжnitentiaire


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