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Xavier Veilhan, artiste polymorphe

Publié le 10 avril 2009 par R0udy

Ce plasticien est une sorte d'anti-Andrew Barton. Là où elle politisait, ou du moins confrontait moralement le témoin à l'objet, il n'y pense même pas ; mieux, il fait en sorte de ne pas y penser.

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Le premier attribut révélateur de ses intentions est bien entendu la forme de ses réalisations. Saillantes, basiques, polygonales, elles semblent issues d'un logiciel de modélisation—il n'intervint par exemple que très peu dans le côté technique de son exposition Sculptures automatiques de 2006, dont les pièces furent taillées par une machine reproduisant au réel des modèles informatisés, eux-mêmes simples scans de ses proches. Malgré cela, Veilhan se définit “artiste classique.”

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Cette appellation peut a priori surprendre, or une observation rapide de ses œuvres et de leurs noms permet de comprendre : Xavier se joue de l'histoire de l'art. Cette femme affichée ci-dessus se nomme Débora et revient à maintes reprises dans son ouvrage, contrairement à toutes ses autres pièces dont les appellations varient constamment. Dès lors nous pouvons supposer qu'elle représente une sorte de canon, de muse pour son auteur. Lorsqu'on se déplace autour de Débora, quelqu'en soit le modèle, ou plutôt la version, son aspect change ; aucun doute possible quant à une tentative d'actualisation (le point central de sa pensée, comme nous l'esquissons déjà et le détermineront par la suite) de la figure vénusienne. 

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C'est là que nous saisissons en quoi Veilhan poursuit les travaux des sculpteurs classiques : absolument tout ce qu'il taille n'a qu'un but, la recherche de l'idéal. Parfois ironiquement, prenons l'exemple de David (à gauche) : le monument de Michel-Ange mesurait plus de cinq mètres, était grandiose, beau, puissant, nu. Ephèbe et androgyne, aussi. Celui-ci mesure 66 centimètres, est un collage de lamelles de bois et tient une pose des plus génériques ; mais est clairement un homme. Lambda et chauve (un clin d'œil au crâne inachevé de l'original également ?), aussi. Il est déposé à même le sol, sans plinthe ni support, et devient donc une icône à plusieurs niveaux de lecture, drôle ou conscient à l'envi. Cette façon de laisser naturellement l'observateur tirer ses propres conclusions constitue une autre de ses qualités ; voyons comment il aborde les figures plus profondes du psyché humain. 

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“Je pense que dans la statuaire, en éliminant toute tentative de portrait psychologique, et en s'en tenant à un strict relevé corporel, on atteint une représentation plus universelle.”

Vous l'avez peut-être deviné à l'évocation des dimensions de David, Veilhan aime perturber la perception physique des objets. Le rhinocéros rouge miroitant ci-dessus n'est plus qu'un concept, qu'un objet fictif, qu'un moule à bonbon dirait-on. Toute sa puissance prédatrice a disparu, et le rapport de force avec le spectateur s'en retrouve totalement altéré ;

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c'est une vision que l'on croise souvent dans ses sculptures qui visitent d'ailleurs souvent le monde animalier, c.f. le requin en tête d'article ou le Lion de Bordeaux, réinterprétant la bête qui fit les armoiries de nombreux hauts-lieux au cours de l'Histoire. Notez toutefois que tous sont des animaux puissants, chargés de connotation, et qu'ils demeurent représentés à échelle réelle—leur noblesse restant ainsi sauve ; je pense qu'au final c'est ce contraste qui crée la fascination. Cette épuration atteint également des choses plus abstraites ou plus communes, comme un carrosse réduit à la perception d'un mouvement, un résidu de monstre concentré en une posture plutôt qu'une pleine constitution, en fait jusque dans ses installations : La Forêt est un enchevêtrement de couvertures, Le Feu, la projection de l'enregistrement d'une cheminée en activité à la base d'un tuyau en métal. “J’aime l’idée de concevoir des œuvres qui puissent fonctionner comme des souvenirs - comme des images qui, à la manière des icônes sur un écran d’ordinateur, transportent intellectuellement ceux qui les activent.”

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L'artiste tend également à employer l'allégorie afin de rappeler à l'Homme sa nature réelle, humblement. Il plaça par exemple à la tête d'une file de penseurs, un chien : Laïka, le premier être vivant à quitter la Terre pour l'espace en 1957 et qui n'en revint jamais. “Pour compléter la série des Grands Hommes, j’avais d’abord envisagé de célébrer les Grands Hommes Français du siècle dernier (Boulez, Deleuze, Duchamp, de Gaulle, Lacan…), puis je me suis intéressé à des représentants de disciplines récemment apparues : sportifs, cinéastes, astronautes. La conquête spatiale m’est apparue comme le domaine le plus symbolique, l’aventure du siècle. Mais plutôt que représenter Youri Gagarine ou Neil Armstrong, il est plus légitime de célébrer aujourd’hui l’animal envoyé par les hommes à leur place. Les hommes sont des animaux même les Grands Hommes.”

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Il s'affaire également à la photographie, point sur lequel nous allons conclure et où se perpétue cette réflexion anthropomorphique. Plutôt que de tenter moi-même de discerner ses intentions, je vais citer quelques extraits d'un entretien consultable chez Bulbe. “Ce tableau (ndRudy : celui ci-dessous) est issu d'une série de quatre dans laquelle ce même personnage de pingouin se trouve successivement au tribunal, sur la plage, volant au-dessus de la ville. […] En montrant un animal comme un homme (debout sur ses pattes arrières et confronté aux mêmes situations que l'homme), on touche à ce qui définit l'homme social et non au portrait psychologique. C'est paradoxal mais pragmatique. […] Le supermarché est un lieu de promenade, un paysage de produits rendus accessibles. On y est toujours un peu chancelant, ébloui et étourdi. Je pense que l'amour pour la consommation s'explique par l'amour de la vie : entretenir le cycle de l'approvisionnement, c'est entretenir une idée de cycle de la vie. Je me considère comme un producteur, un constructeur, mais avant cela un consommateur. Comme les musées, les églises et les boîtes de nuit, les supermarchés sont des non lieux du monde occidental, des endroits interchangeables et des trous noirs sociaux.”

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De nombreuses photos de ses créations sont répartis entre son site personnel et celui de la galerie Emmanuel Perrotin.


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