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Le cocu se rebiffe

Par Chatperlipopette


Le 28 Janvier 1663 voit être célébré le mariage, union sacrée pour le meilleur et pour le pire, entre Louis-Henri de Pardaillan de Gontrin, plus connu sous le nom de Marquis de Montespan, et Françoise de Rochechouart de Mortemart. Tout est beau et simple sous le soleil des amours conjugales, même dans un appartement pas très cossu! Une petite fille naît, que Françoise fait rire, crier et virevolter en imitant le grand cornu, en la poursuivant de ses facéties maternelles dans les escaliers de leur nid d'amour. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes mais lorsque les fonds viennent à manquer, que les départs à la guerre du Marquis se suivent et se ressemblent par leurs échecs financiers et les dépenses inutiles en frais d'entretien de bataillon (Marsal qui baisse pavillon dès que les troupes royales pointent leurs étendards, Gigeri dont les soldats français sont boutés par les musulmans révoltés), la marquise se laisse tentée par les sirènes de Versailles. D'ailleurs, elle obtient par l'intermédiaire de la duchesse de Montausier, un "poste" de dame d'honneur de la reine et du même coup envoie aux orties son prénom de baptême pour prendre celui, plus original, plus "people", plus "glamour" d'Athenaïs!
Le pauvre Louis-Henri ne peut que s'incliner et rester seul au logis pendant que son épouse, dont il est éperdument amoureux, volette joyeusement au coeur de la faune versaillaise.
Plus le temps passe, plus Athénaïs s'échappe et s'éloigne dans les mirages dangereux de cette cage dorée qu'est Versailles....et plus elle plaît au monarque. Arrive ce qui doit arriver: Françoise/Athénaïs devient la maîtresse en titre de Louis XIV et notre Montespan se voit doté de la plus belle paire de cornes du royaume. Las, mille et une fois las, Louis-Henri ne se rend pas: il aime toujours passionnément son épouse et décide un beau jour de porter grand deuil et d'orner son carosse et ses armes de cornes de cerf. Le Montespan devient le cocu le plus célèbre du royaume et la tête de pioche la plus dure que le Languedoc ait porté. Bien entendu, cette forme ostentatoire de résistance lui vaut les foudres du Roi et l'indifférence dépitée d'Athénaïs. C'est pourquoi, fuyant les représailles royales (après avoir tâté de la geôle), ses enfants sous le bras (en plus d'être un mari fidèle et aimant, Louis-Henri est un excellent père), il se réfugie au château familial où il laisse sa fille avant de passer les Pyrénées en compagnie de son fils (un enfant odieux, imbu de sa personne, méprisant et déjà mûr pour un avenir brillant de veule courtisan) et demander asile au roi d'Espagne.
Après avoir revisité, d'une plume très personnelle, la biographie du poète François Villon et embarqué ses lecteurs au coeur d'un Moyen-Age sordide, brutal et d'une cruauté sans nom, Jean Teulé s'attaque à l'univers faussement chatoyant du règne d'un Roi Soleil, despote s'il en est, jaloux de tout et de tous.
Diantre! que cette cour versaillaise pue tant au propre qu'au figuré: entre le manque d'hygiène hallucinant (dont est exempt notre héros cornu), les immondices ignobles éparpillés aux quatre coins du château et la sordide veulerie des courtisans, rampant dans la fange pour une once du regard royal, il y a de quoi frémir et avoir la nausée. La musique sensuelle des soieries et du ruissellement des pierres précieuses cachent une triste forêt: la soumission pour une obole, le reniement pour une minable place dans le poulailler doré versaillais, un miroir aux alouettes lentement étouffées par les souffles et effluves putrides d'une société qui n'a pas plus le respect d'elle-même que des autres.
Le Montespan apparaît comme celui qui refuse de profiter (au grand désespoir de ses pairs) des largesses du souverain, destinées à acheter son silence et son acceptation des faits, et de s'agenouiller, prémice d'une révolte qui mettra plus d'un siècle à éclater! Louis-Henri nie le pouvoir royal et passe son temps à se demander ce que peut bien trouver de plus Françoise à son royal amant hormis le fait qu'il soit royal, au pouvoir absolu divin! D'autant que ce dernier lui donnera des bâtards aussi difformes que fous....ah! les belles races princières recèlent de sombres rejetons! "Nez trop long et busqué, gras du cou, ses joues sont flasques. Sa cuirasse drapée à la romaine est ridicule. Je n'aime pas du tout sa perruque! Paraît qu'il aurait un charme....exotique. ça ne me saute pas aux yeux, à moi." (p 211)
C'est au fil des anecdotes, plus croutillantes et amusantes les unes que les autres, que le lecteur déambule dans un monde où la féérie le dispute à la noirceur, où la raison recule devant la foi envers l'occultisme (on se souviendra de la fameuse affaire des poisons, affaire qui sonnera le glas de la belle Marquise de Montespan) et où la véracité historique balance plus souvent qu'à son tour avec l'imagination déroutante et rocambolesque du récit. Maniant de manière étrange le style moderne aux tournures désuètes, Jean Teulé offre un roman qui amusera ou énervera son lecteur, mais qui offrira un agréable moment dépaysant et drôle. On ne peut qu'être aux côtés de Louis-Henri de Pardaillan de Gontrin et le soutenir dans toutes les vicissitudes d'une vie maritale pas comme les autres: elle émeut autant qu'elle fait rire!


Les avis de Yspaddaden la liseuse marie virginie nina sentinelle pascal

(Mme de Montespan et ses enfants)


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