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Yaoundé #3 : Témoignage

Publié le 16 avril 2009 par Arthurdev

Permettez-moi de m’éloigner quelque peu du sujet de ce blog pour vous reproduire un article, écrit par moi-même et Stéphanie Fer (étudiante en Géographie à Paris 1) et initialement publié sur Agoravox, à propos d’une rafle policière que nous avons subie à Yaoundé lors de notre séjour sur place…

A quelques jours de la venue du Pape qui devait y effectuer, du 17 au 20 mars 2009, sa première visite sur « la terre africaine », Yaoundé - capitale politique et administrative du Cameroun -, fut le théâtre de nombreuses opérations violentes d’« assainissement » et de « maintien de l’ordre ».

 Ainsi, après la destruction, sous l’ordre du « super maire » le Délégué du Gouvernement Gilbert Tsimi Evouna - surnommé par la population « Jack Bauer » -, de nombreuses constructions précaires situées en bord de route (des petits commerces avant tout), les forces de l’ordre ont procédé, dans les quartiers « chauds » de la ville (Essos, la Briqueterie), à des « rafles » (selon la terminologie employée par elles) consistant à vider des rues entières de leur population et d’emmener manu militari les personnes dans ses installations.

Cet article, fondé sur l’expérience vécue des deux auteurs, et avec toute la subjectivité que cela implique, vise à présenter, sous la forme du récit, le déroulement d’une telle manifestation.

« Et vous là-bas, venez ici ! »

Il est minuit passé quand, le 15 mars, accompagné de deux amis camerounais dont l’un d’eux doit nous quitter le dimanche soir pour retourner à ses études en France, nous décidons d’aller boire un dernier verre ensemble en ville. 

Notre première destination est le quartier Omnisports. Toutefois, la faible fréquentation de l’établissement ciblé amène notre groupe à se diriger vers Essos, endroit réputé pour l’importance de son activité nocturne. Sur place, nous nous asseyons à la terrasse du bar « Le Printemps » où l’ambiance est festive.

Vers 1h45, un convoi de véhicules de la police et de l’armée passe devant nous pour s’arrêter plus haut dans la rue, hors de notre champ de vision direct. Comme par habitude, et en à peine quelques secondes, tous les bars se vident de leur clientèle, laquelle se précipite dans la rue le plus vite possible, dans la direction opposée à celle des forces de l’ordre. Les quelques taxis alors présents sont pris d’assaut. Notre établissement n’est quant à lui que peu touché par ce mouvement de foule, les gérants assurant qu’ « ici, ils ne viendront pas ».

Quand l’apaisement semble revenir, un camion militaire prend la route avec à son bord une centaine de personnes n’ayant, a priori, rien à se reprocher. En effet, à notre connaissance, aucun incident ne s’y était déclaré. Assis à notre table, nous nous interrogeons sur le pourquoi d’une telle opération. 

« Ici on est au Cameroun, on fait ce qu’on veut »

Quinze minutes après le premier convoi, nous pensons la rafle terminée et décidons de poursuivre la soirée dans un autre « couloir » du quartier. A peine sommes-nous sorti qu’un militaire nous interpelle :« Et vous là bas, venez ici ! » - « Quoi ?… Comment ? » - « Venez ici, ne discutez pas ! » Nous le rejoignons au milieu de la chaussée. « Qu’est-ce que vous faites là ? ». Nous lui expliquons alors le programme de notre soirée. « Suivez moi » - « Pourquoi, qu’est-ce qu’on a fait ? » - « Suivez moi, ne discutez pas ». Nous nous exécutons donc, et le suivons. 

Plus bas dans la rue, s’organise une autre rafle. Des militaires viennent à notre rencontre et nous demandent d’éteindre nos cigarettes. « On n’a pas le droit de fumer ici ? » - « Ici on est au Cameroun, on fait ce qu’on veut ». Ces mêmes militaires nous donnent ensuite l’ordre de nous asseoir parmi les autres personnes arrêtées surprises de voir des « blancs » en leur compagnie. Toutefois, hésitants quant à la suite à donner à notre arrestation, les militaires reviennent à notre niveau, contrôlent nos papiers d’identité et nous « libèrent ».

Soulagés de pouvoir continuer la soirée, le plaisir fut cependant de très courte durée. A peine avons-nous fait quelques pas qu’un autre militaire, isolé, nous ordonne de retourner au camion sans prêter attention à nos explications : « c’est pour tout le monde pareil ! ». Nous faisons donc demi-tour. Quelques instants plus tard, alors que Stéphanie et les autres continuent à négocier leur libération, Arthur est invité à monter dans le camion. Quelques instants plus tard, on demande à ce dernier de redescendre ; au même moment Stéphanie est isolée du groupe. Toute une série d’ordres et de contre-ordres s’enchaîne ainsi en l’espace d’un court laps de temps. Finalement, les militaires décident de tous nous faire monter dans le camion. Mais ce dernier étant jugé « plein », nos amis sont débarqués et feront parti du convoi suivant où sera pratiqué, nous l’apprendrons plus tard, le rançonnement. Rappelant à un militaire que nous sommes ensemble, celui-ci nous rétorque : « ne me dites pas ce que je dois faire ».

Le voyage commence sauf pour une jeune fille qui est vite libérée par un homme en tenue. Nous entendons ce dernier déclarer à un de ses collègues : « c’est ma cousine »

« C’est à cause du Pape ! »

Dans le camion, nous sommes serrés les uns aux autres, avec cette désagréable impression d’être traité comme du bétail. Certains profitent alors de cette proximité pour « faire les poches » des autres raflés ou avoir les « mains baladeuses ». Entre eux, les gens parlent de leur soirée et expriment leur lassitude vis-à-vis de ces opérations : « c’est ça, le Cameroun » ; opérations dont la fréquence augmente, selon eux, à chaque fois qu’un hôte prestigieux est attendu au pays : « c’est à cause du Pape ! ».

Notre destination qui au départ nous est inconnue se voit préciser au fur et à mesure des interrogations. Finalement, ce sera la brigade d’Ekounou, quartier situé en périphérie de la ville (sud-est). La gendarmerie n’ayant pas, à Yaoundé, ses propres bâtiments, elle doit en louer auprès de l’Etat. A Ekounou, elle est donc installée au sein du « Laboratoire national du génie civil ».

Après dix minutes de trajet nous arrivons sur place où nous retrouvons les raflés d’un convoi précédent. Tout le monde est assis dans la cour du bâtiment, clôturé. Une vingtaine de minutes plus tard, une queue commence à se former pour procéder au contrôle des papiers d’identité. Trois personnes effectuent cette tâche. Le premier regarde les papiers et dicte au second les noms et prénoms. La troisième personne récupère les papiers et les conserve : « on vous les rendra au moment opportun »

A nouveau, nous devons nous asseoir, en compagnie des autres personnes déjà contrôlées. C’est à ce moment là que quelques esprits « rebelles » reçoivent coups de pied et coups de poing de la part d’un militaire ; pour certains, ce sera même la « cellule ». Sans doute attiré par l’animation du lieu, un homme saoul vient depuis la rue s’agripper aux barrières et s’adresse à nous, plusieurs fois : « vous êtes prisonniers et pas moi ! ». La foule réplique : « Hé, qu’est-ce que tu fous dehors ?! Chef ! Attrapez le ! ». Aussitôt le militaire s’approche de la barrière et frappe d’un coup de poing l’individu avant d’aller le poursuivre dans la rue, soutenu par une partie des raflés.

« Si on ne peut rien changer à la situation, vaut mieux en rire »

Un quart d’heure après, les militaires nous demandent de nous lever pour nous rendre à l’intérieur du bâtiment. Dans la salle, nous devons nous rasseoir. Les femmes, moins nombreuses, sont séparées des hommes ; toutefois la séparation devient de plus en plus fictive au fur et à mesure que la salle se remplit. L’ambiance est alors à la rigolade, certains demandent café, télé et pain. « Si on peut rien changer à la situation, mieux vaut en rire » déclare un raflé. En face le militaire répond lui aussi sur le ton de la plaisanterie et allume un poste de radio, tout en rappelant à l’ordre, parfois violemment, ceux restés debout. Toutefois, à mesure que l’heure avance, un certain énervement des raflés se fait sentir, accompagnant leur fatigue. Ainsi des personnes arrachent les affiches du Guide de procédure pénal en français facile et un individu se met à lire à haute voix la Déclaration des droits de l’homme collée au mur.

Il est quatre heure du matin quand nous sommes appelés, les premiers, à rejoindre le bureau du « chef ». Assis derrière son bureau, avec le portrait de Paul Biya, le Président de la République, au-dessus de la tête, ce dernier nous reçoit en nous demandant de nous présenter et de justifier notre présence à cette« heure tardive » dans la rue. Il tente ensuite d’expliquer l’opération en invoquant « la recherche d’un suspect ». A ce moment là, un militaire non gradé entre dans le bureau et réclame une pause : « je vous en supplie chef, peut-on faire la relève ? ». Nous récupérons nos papiers et sommes invités à quitter les lieux.

Nous passons dans la cour encore remplie de monde, traversons la chaussée et attendons un taxi. Une fois installés dans le véhicule, le militaire qui distribuait auparavant les coups interpelle le chauffeur :« Ramenez les en toute sécurité ! »

Notes :

1 - Du nom du héros de la série télévisée “24 heures”.

2 - Selon les rumeurs, une personne sans papiers d’identité est considérée par les policiers comme évadée de prison. Encore faudrait-il savoir comment les prisonniers arrivent à s’évader…

3 - Beaucoup de personnes raflées l’ont été sur leur lieu de travail. C’est le cas notamment des serveurs et également des prostituées.

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