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Un ange passe…

Publié le 18 avril 2009 par Perce-Neige
Un ange passe…Je n’avais pas spécialement cherché à la revoir même si, bien sûr, je ne m’interdisais pas d’y songer. Car j’hésitais, parfois, vaguement, entre le désir régulièrement répété d’une fugitive et improbable rencontre et l’espoir franchement revendiqué, quelque part aux tréfonds de ma conscience, de parvenir à oublier définitivement son visage, l’intensité de son regard quand elle s’était, soudain, adressée à moi, et l’imperceptible tremblement de ses lèvres qui s’étaient aventurées à me susurrer ce que je n’imaginais pouvoir entendre, ce jour-là. Je soupçonnais en effet qu’il y aurait toujours entre nous comme une ombre terrifiante dont je n’osais prononcer le nom et que nous serions, par conséquent, éternellement condamnés à ne cesser d’en repousser l’emprise. Je croyais sincèrement qu’il y avait infiniment plus sérieux que ces gémissements qui resteraient à jamais inassouvis et qu’il me serait donc facile de venir à bout de ces enfantillages. Les circonstances en décidèrent autrement, naturellement, comme il est trop fréquemment le cas, hélas, dès lors que l’on s’efforce d’effacer le souvenir, prégnant, d’images qui se sont enracinées dans notre mémoire à la faveur d’une joie soudaine et immense ou d’un grand chagrin qui nous vient à l’annonce d’une terrible catastrophe que rien ne laissait présager. On connaît ça. Il faisait excessivement chaud, cet été là, et comme tant d’autres je profitais de ces deux ou trois semaines studieuses à Paris, - à cette époque-là, je travaillais comme un dingue à préparer le rapport sur la situation sanitaire au Rwanda que les types du Cabinet m’avaient commandé en catastrophe, deux mois peu plus tôt - pour trouver, le soir venu, quelque réconfort éphémère et, surtout, un peu de fraîcheur aux terrasses bondées des cafés où je m’enfilais, sans doute de manière déraisonnable, diverses boissons un peu trop alcoolisées qui me détournaient, un temps, de mes préoccupations du moment. Je n’avais d’autre souci, en vérité, que de terminer mon ouvrage au plus vite, histoire de pouvoir rejoindre Hélène qui commençait à pas mal s’impatienter dans la villa aux volets fleuris, perdue au bout d’une impasse qui cheminait dans les pins et que nous avions, depuis quelques années déjà, pour tradition de coloniser avec bonheur dès la fin du mois de juin et jusqu’aux premiers jours de septembre. Même les garçons semblaient réclamer ma présence alors qu’ils passaient pourtant le plus clair de leur temps sur la plage à rivaliser d’ingéniosité pour ériger de fragiles constructions de sable censées repousser éternellement les assauts de l’océan. Paris me pesait. Mais aussi la difficulté de parvenir à rédiger un document suffisamment mesuré pour éviter de me faire passer, aux yeux de Saulnier, pour la tête brûlée que je n’étais pas. Sans pour autant masquer la vérité. Un équilibre affreusement compliqué auquel, de toutes mes forces, j’aspirais durant la journée… Mais qui me devenait délicieusement indifférent, dès la nuit tombée, sous le prétexte futile de divers cocktails caraïbes et autres Daiquiris ingurgités sans avoir l’air d’y toucher. J’avais mes habitudes et connaissais par cœur les établissements les plus accueillants, les mains les plus expertes dans l’art de doser le rhum, le citron et divers autres ingrédients moins communs, les oreilles les plus indulgentes, pour ne pas dire les plus indifférentes, propres à recueillir d’innombrables confidences au cours desquelles je me gardais bien de trahir le moindre secret. Il m’arrivait de me faire passer pour un écrivain. Parfois pour un navigateur solitaire. Jamais je ne révélais ma véritable identité. « L’Ange du boulevard », un rade sans prétention dont, pour m’y vautrer parfois deux ou trois heures d’affilée, j’appréciais à leur juste valeur les quelques fauteuils en rotin jetés sur le trottoir, figurait alors, incontestablement, parmi mes stations préférées. Et c’est exactement là, avachi sur l’un de ces fauteuil, juste après avoir réglé l’addition assortie d’un pourboire généreux, et alors que je m’apprêtais à larguer les amarres, que nos regards, une nouvelle fois, se sont croisés. Durant quelques secondes, je ne l’ai pas reconnue. Elle était aux bras d’un jeune type assez vulgaire qui lui caressait la croupe tout en lui parlant. Le genre à s’éclater comme un malade à gérer votre pognon en le dilapidant sans vergogne en moins de temps qu’il ne faut pour le dire et non sans s’en être, tout de même, mis largement plein les poches au passage. Ils venaient juste de s’extraire d’une décapotable ayant fière allure, il faut bien le dire, et dont tous les clients avaient suivi la manœuvre quand son conducteur avait brusquement freiné à mort sur le boulevard avant de lorgner, en notre direction, sur la seule place de parking restée libre, des kilomètres à la ronde. Je crois bien que je n’aurais rien dit du tout, et que je ne me serais pas levé, brusquement, pour aller la saluer, et que je n’aurais pas fait le moindre effort pour lui rafraîchir la mémoire, si je n’avais pas, immédiatement, perçu dans ses yeux cette infinie tristesse que j’avais déjà décelé, quand nous nous étions parlé, juste après la cérémonie, et qui m’avait laissé entrevoir bien plus que l’espoir d’une fugitive connivence. Une correspondance secrète. La vibration intime de deux êtres qui, sans jamais s’être dit quoique ce soit d’un peu sérieux, savent que l’horizon qu’ils espèrent portent le même nom. Je ne savais pas ce que je faisais. Je n’imaginais pas à quel point longtemps j’allais le regretter.

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