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Valse de la mémoire

Par Chatperlipopette
Valse de la mémoire
L'histoire commence par une scène saisissante où une meute de chiens féroces traverse en grondant une ville. Est-ce un cauchemar ou la réalité? Toujours est-il que d'emblée l'angoisse est présente et on tremble dans son canapé: on attend la morsure puis la dévoration....de qui, de quoi? Du mauvais rêve ou des mauvais souvenirs?
Très vite, le spectateur se rend compte que cette scène est celle d'un rêve récurrent qui devient obsessionnel chez Ari, le narrateur. Ce dernier effectuait son service militaire au Liban, en plein conflit israëlo-arabe et depuis sa vie n'est plus un long fleuve tranquille. Le cauchemar revient lancinant et il décide de retrouver ses anciens compagnons d'armes pour éclaircir quelques points et chercher une explication à son malaise incessant: il ne souvient plus d'un intense moment de son passage à Beyrouth.
"J'ai été enrôlé dans l'armée avant mes 17 ans. En Septembre 1982, j'arrivais à Beyrouth ouest avec l'armée israëlienne, après l'assassinat du président Bachir Gemayel, le jour de sa nomination. Je quittais Beyrouth Ouest trois jours plus tard, j'étais une toute autre personne...Cette histoire est mon histoire que j'ai décidé de raconter après plus de vingt ans." "Le film retrace ce qui s'est passé en moi à partir du jour où j'ai réalisé que certaines parties de ma vie s'étaient complètement effacées de ma mémoire." Une histoire qui est celle du réalisateur, une histoire qu'il exorcise avec ce film d'animation. Peu à peu Ari se replonge dans ce passé douloureux, celui de cette guerre au Liban, le Vietnam de l'armée d'Israël: lentement, l'histoire se retrace, les patrouilles, la peur au ventre, les permissions un peu folles où l'alcool coule à flot, les embuscades dans les plantations, le bateau dans lequel une jeunesse armée danse, hurle, se soule, pour oublier la peur, pour se donner un courage toujours fuyant. Une scène, clef, revient tel un leitmotiv: il fait nuit, le narrateur et son groupe se baignent, sur la plage déserte leurs vêtements sont en tas. Soudain, ils sortent, nus, de l'eau, prennent leurs armes et se mettent à marcher.... Cette scène est une sorte de refrain dans le récit, une répétition émotionnelle d'un vécu lourd à porter.
Le parti pris du cinéma d'animation est plus qu'intéressant pour relater un pan d'histoire contemporaine, une tragédie humaine et politique: cela aide à entrer dans un récit difficile, oppressant et douloureux, cela permet une distanciation qui n'est que provisoire: les dernières images laissent le spectateur littéralement scotché dans son canapé...un coup de poing qui réveille et qui oblige à regarder la réalité en face, non ce n'est pas de la fiction, oui cela s'est réellement passé!
Le spectateur assiste à une valse, une valse étrange, sombre, où le tempo se répète (la scène de la baignade nocturne) jusqu'à ce que le déclic salvateur délivre le narrateur de son oubli, libérant le cerveau de ses souvenirs enfouis, libérant le corps de ses chaînes invisibles.
Le réalisateur truffe son animation de références historiques et politiques, un clin d'oeil, à la fin du film, juste avant les ultimes images choc, empreint d'un parti pris idéologique qui tranche avec ce que l'on peut lire ou voir, habituellement, aux informations, au sujet d'Israël et de sa politique: des hommes, femmes et enfants palestiniens qui sortent les bras levés rappellent la sortie d'un certain ghetto de Varsovie...une mise en abyme très parlante, très émouvante et très glaçante. Une voix israëlienne discordante s'élève pour mettre le doigt sur des actes qui ne font pas forcément l'unanimité au sein du pays. Peu à peu, certains intellectuels osent dire leur différence et faire entendre, subtilement,sur un autre diapason: l'expression, presque iconoclaste, du sentiment de culpabilité qui ronge ceux qui ont participé à des conflits qui ne font pas l'unanimité. Certains s'expriment par le roman comme Ron Barkaï, d'autres, comme Ari Folman, par le cinéma, un cinéma d'animation dans lequel la tension est toujours en filigrane.
"Valse avec Bachir" est à placer dans le sillage de "Persépolis" de Marjane Satrapi: du cinéma d'animation pour mettre de la distance entre le vécu difficile et la relation de ce dernier, une distance qui ne masque pas l'horreur de ce qui se déroule, en vrai.
On sort de ce film dans un état bizarre: on frissonne, on a perdu ses mots pour verbaliser les émotions intenses éprouvées pendant le film, on flotte encore dans cette recherche d'une vérité enfouie dans l'inconscient, lui qui "oublie" lorsqu'il ne veut plus voir ce qui est traumatisant, on a envie d'en parler et en même temps on ne peut dire un seul mot.
J'ai trouvé ce film d'une force extraordinaire, osant exposer les doutes, certes a postériori mais présents malgré tout, de soldats, tout jeunes, embarqués dans un conflit qui les dépasse, qu'ils ne saisissent pas parce qu'on ne leur en a pas expliqué la raison: Vous y allez, vous obéissez, c'est tout. "Valse avec Bachir" montre combien les séquelles d'une situation traumatisante sont présentes dans l'esprit de ces vétérans qui ont honte de ce qu'a fait leur armée (là il s'agit de Sabra et Chatila, camps de réfugiés palestiniens)....et que la parole, la quête du souvenir sont nécessaires pour tuer les fantômes qui les hantent.
Un film à voir et à revoir....pour ne jamais oublier que toute guerre est une horreur absolue aux innombrables dégâts invisibles.

Valse de la mémoire
Merci à Suzanne de Chez les fille et aux Editions Montparnasse pour ce beau visionnage! D'autant que l'édition dvd apporte des plus très intéressants. Il m'a fallu du temps pour ce billet mais la "digestion" a été difficile!
Valse de la mémoire
Les avis de liliba aifelle (qui donne plusieurs autres liens) leiloona
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