Magazine France

« La Mosquée Notre-Dame de Paris, année 2048 », d'Elena Tchoudinova

Publié le 22 avril 2009 par Roman Bernard
« La Mosquée Notre-Dame de Paris, année 2048 », d'Elena Tchoudinova« Nous sommes en 2048 après Jésus-Christ. Toute la France est islamisée. Toute ? Non ! Car un maquis peuplé d'irréductibles chrétiens et athées résiste encore et toujours à l'envahisseur... »
La citation précédente n'en est pas une, puisqu'elle n'est pas extraite du roman de la Russe Elena Tchoudinova. Mais le sombre décor planté par la romancière n'est pas sans rappeler la Gaule d'Astérix. En 2048 donc, année qu'Elena Tchoudinova a choisie car elle représentait « 84 » (en référence à 1984 de George Orwell bien sûr...) à l'envers, Paris, la France, l'ancienne Union européenne sont soumis à la charia.
Le cauchemar de Daniel Pipes
Confirmant le cauchemar de Daniel Pipes*, la cathédrale Notre-Dame de Paris n'est plus, transformée en mosquée, que la Mosquée Al-Franconi. Les chrétiens, qui étaient sortis des catacombes de Rome à mesure qu'ils évangélisaient l'Empire romain, sont rentrés dans celles de Paris - où ils continuent de célébrer la messe clandestinement - à mesure que la France s'islamisait. Ils y côtoient leurs ennemis d'avant l'islamisation de la France, les athées qui, fidèles à leurs principes, refusent la domination d'une nouvelle religion. En dépit de leurs dissensions, tous veulent reprendre l'ancienne cathédrale profanée, les uns pour y célébrer une dernière messe, les autres pour détruire cette nouvelle mosquée. L'occasion leur en sera donnée par l'intention du pouvoir islamique d'exterminer la population non-musulmane du ghetto de Paris, une information que leur aura transmise Slobodan, un espion serbe travaillant pour la Russie, demeurée orthodoxe et libre.
Difficile débat
Il y a beaucoup à dire et à écrire sur La Mosquée Notre-Dame de Paris, année 2048, en mal comme en bien. Le roman, publié en 2005 en Russie et vendu depuis à 100 000 exemplaires, a mis plus de trois ans à trouver une maison d'édition en France.
Avant que les Éditions Tatamis ne le publient, le 18 avril dernier, le livre, traduit du russe, avait été diffusé gratuitement sur Internet. On peut s'étonner de cette réticence des maisons d'édition à publier un livre qui a pour objet principal la France, écrit par une fine connaisseuse de notre pays. Si la thèse centrale du livre est critiquable, cette critique salutaire n'aurait pas dû être contrainte à devoir se réfugier sur le Net, comme souvent.
Car il y a des réserves à émettre sur le roman d'Elena Tchoudinova. Le récit étant relaté par un narrateur omniscient, la romancière ne saurait par exemple se dédouaner d'un passage manifestement raciste (chap. 8, p. 206), qui tend à desservir son propos :
Longeant la rue, ils dépassèrent un pâté de maisons et s'engouffrèrent dans la station Bastille en se mêlant à la foule bigarrée des travailleurs du ghetto, des chômeurs, parmi lesquels une majorité de Noirs - grands amateurs d'aides sociales -, d'ouvriers turcs, les plus laborieux des habitants de la zone soumise à la charia.

Passé cette considération formelle, la thèse du livre - l'islamisation, c'est-à-dire l'imposition de la charia en France et en Europe - semble contestable.
Scénario-catastrophe
Ce qu'imagine Elena Tchoudinova, c'est un scénario-catastrophe, celui dans lequel la culture occidentale, gréco-romaine et judéo-chrétienne, démocratique et libérale, serait totalement remplacée par la culture arabo-musulmane. Même sur le plan linguistique, l'auteur anticipe qu'un sabir arabisé se substituera graduellement à la langue vernaculaire de chaque pays européen. Si le livre présente l'avantage d'être écrit depuis une perspective russe, et donc extra-occidentale, il révèle la même sous-estimation de l'Europe et de l'Occident que celle qui prévaut à Moscou, où l'ancien Président et actuel Premier ministre de la Fédération de Russie avait le front d'affirmer, en 1995 : « La France deviendra dans moins de 20 ans la colonie de ses anciennes colonies... »
En 2009, six ans seulement, donc, avant l'échéance poutinienne, les anciennes colonies françaises sont pourtant à l'évidence toujours dominées politiquement, économiquement, militairement, culturellement et linguistiquement par l'ancienne puissance coloniale.
Et si les flux migratoires se font unilatéralement de ces anciennes colonies du Maghreb et d'Afrique noire vers la France, c'est d'abord parce que le modèle français, en fait occidental, demeure attrayant. C'est aussi le moyen pour la France de continuer à propager à distance ses valeurs et sa culture dans ses anciennes colonies.
Comment expliquer que le français soit autant parlé au Maroc alors que le Royaume chérifien n'a pas été colonisé stricto sensu, et pendant 45 ans à peine ?
Comment l'expliquer, sinon par la persistance de l'influence française sur ses anciennes colonies, comme celle du Royaume-Uni sur le Commonwealth ?
La force méconnue de l'Occident
La première faille du raisonnement d'Elena Tchoudinova est qu'elle ne voit l'influence qu'à sens unique, et qu'elle conclut des échanges, notamment migratoires, entre les pays européens et musulmans l'islamisation des premiers, alors que l'on assiste partout à une occidentalisation des seconds. C'est qu'Elena Tchoudinova, comme Vladimir Poutine, méconnaît la caractéristique majeure de la civilisation occidentale, qui la rend si perméable et à la fois dominatrice : sa capacité à s'approprier ce qui lui est étranger, à faire siens les apports d'autres civilisations, à synthétiser plusieurs influences pour leur imprimer sa marque, ce que Rémi Brague a mis en lumière dans Europe, la voie romaine. Même au plan religieux, il est notable que les musulmans prosélytes mettent en avant des valeurs chrétiennes : amour, tolérance, paix.
Contrairement à ce qu'estiment Elena Tchoudinova et la préfacière Anne-Marie Delcambre, il ne semble pas évident qu'il faille refuser le dialogue islamo-chrétien, sous prétexte que les musulmans connaîtraient bien mieux la Bible, le christianisme, la culture et les langues occidentales que les chrétiens ne connaissent l'islam, le Coran, la langue et la culture arabes. Le remède à l'islamisation de l'Europe réside plus sûrement, ce que prouve Anne-Marie Delcambre, arabisante et spécialiste de l'islam, dans une meilleure connaissance du Coran et de sa langue par les Européens.
L'impossible retour du catholicisme pré-Vatican II
La deuxième faille du raisonnement de la romancière russe est qu'elle interprète l'islamisation de l'Europe comme la lointaine conséquence de l'Humanisme, de la Réforme, des Lumières et du Concile œcuménique de Vatican II. Il semble pourtant, dans le contexte français actuel, que cette dénonciation de l'islamisation puisse être aussi le fait d'athées.
En tout état de cause, le retour à un catholicisme pré-Vatican II est non seulement illusoire en 2009, il constituerait également davantage une régression qu'une conservation : les récents propos négationnistes de l'« évêque » Richard Wiliamson l'ont prouvé. Difficile d'imaginer la civilisation occidentale défendue par un mouvement aussi rétrograde que la Fraternité Saint-Pie X, comme le fait Tchoudinova.
La nécessaire réaffirmation des valeurs de la civilisation occidentale
Il n'en reste pas moins, malgré les deux failles majeures du roman, que ce scénario catastrophique peut advenir, si toutefois les Occidentaux, et notamment les Européens, cessent d'affirmer ce qui fait l'identité de la civilisation occidentale, à savoir son quadruple héritage juif, grec, romain et chrétien, et toutes les valeurs qui en découlent, qui sont « l'État de droit, la démocratie, les libertés intellectuelles, la rationalité critique, la science, une économie de liberté fondée sur la propriété privée »**. Car la capacité d'absorption, d'assimilation, de phagocytose même, de l'Occident, n'est possible que si les apports étrangers sont soumis au crible des valeurs précitées. Et c'est probablement le problème de l'Occident contemporain, dont les historiens diront peut-être qu'il est à son apogée aujourd'hui, lequel précède toujours le déclin, puis la décadence. Au faîte de sa puissance, l'Occident continue dans son ensemble à être dominé par l'idéologie mondialiste, alors même qu'une réaffirmation de ce qui fait à la fois sa singularité et son universalité serait nécessaire pour répondre au défi posé par une religion aussi globalisante que l'islam.
Le scénario d'Elena Tchoudinova correspond à ce qui arrivera si les Occidentaux ne réaffirment pas, et ne refondent pas pour une part, les valeurs qui le définissent.
Des initiatives comme la publication de ce livre par les Éditions Tatamis, le débat qu'elle va susciter sur Internet, sont, parmi tant d'autres, les signes avant-coureurs d'un mouvement qui va contribuer à démentir les sinistres prophéties de ce roman.
Gageons qu'il se déclenchera suffisamment à temps. Car il est vrai que le temps presse.
Roman Bernard
À lire, le compte-rendu de la conférence de lancement du livre à Paris, chez Lomig.
« Sometimes, in my more provocatively pessimistic moments, I can see Notre-Dame being turned into a mosque, or even blown up as a vestige of the jahiliya (age of ignorance). »
** Philippe Nemo, Qu'est-ce que l'Occident ?.
Message de l'éditeur : afin d'aider notre jeune maison d'édition indépendante, n'hésitez pas à acheter le livre sur notre site ( www.tatamis.fr ). Un cadeau est offert.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Roman Bernard 428 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte