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Jacqueline BREGEAULT-TARIEL au "Mercredi du Poète" le 25/02/09

Par Ananda
Ensoleillée, cette journée semblait marquer le coup d'envoi du printemps.
Au premier étage de la brasserie "Le François-Coppée", à partir de 15 h, une assemblée peu dense mais constituée par de fins connaisseurs était au rendez-vous pour entendre le jeune poète Laurent Desvoux, bien connu des habitués de ces réunions mensuelles du "Mercredi du Poète" présenter l'oeuvre de la poète/critique Jacqueline Brégeault-Tariel.
Tout d'abord, Jean-paul Giraux se charge de présenter brièvement le présentateur : Laurent Desvoux est enseignant, poète et analyste fin et brillant de la poésie des autres. Jacqueline Brégeault-Tariel, quant à elle, est, pour lui, une vieille connaissance, puisqu'elle officie en tant que critique attitrée dans la revue "Poésie sur Seine" dont il est une des chevilles ouvrières.
Ce que nous apprenons par lui de Jacqueline Brégeault-Tariel ?
Qu'elle est "très discrète", qu'elle a vu le jour au Mans et vit à présent à Courbevoie, qu'animatrice de profession, elle a été enseignante en structure carcérale et chargée de formation, qu'elle a à son actif 9 recueils, le premier ayant paru en 1984 et le dernier en date remontant à l'année 2007.
Jean-Paul Giraux, sur ce, s'attarde sur ses talents de chroniqueuse de recueils, qui l'ont conduite à écrire non seulement pour Poésie sur Seine, mais également pour Jointure, Les Hommes sans Epaules et Poésie première.
Après avoir ajouté qu'on peut aussi la lire dans des anthologies, il laisse entrer Laurent Desvoux dans le vif du sujet.
Laurent Desvoux, d'emblée, cerne la poésie de Jacqueline Brégeault-Tariel dans une formule percutante et évocatrice : "Jacqueline Brégeault-Tariel ou l'écriture d'un pays lointain"
Il isole de suite après les thèmes de l'exil et de la distance par rapport à son époque. Il détecte en la poétesse une "discrète présence attentive". Selon lui, il existe indubitablement un fil conducteur entre les recueils de notre écrivaine (dont il cite un à un les titres : "Cromlech", "Verrière le Claudiquant", "L'Homme qui marche" et "Ensorceler une loque").
Il ne fait pas de doute que "les recueils de Jacqueline Brégeault-Tariel naissent les uns des autres" et, à ce propos, Desvoux va jusqu'à parler de "ricochets des recueils". Il pointe également du doigt "les références à Michaux", derrière lequel Jacqueline Brégeault-Tariel "avance masquée".
Les textes de J.Brégeault-Tariel affectionnent la "prolifération des doubles" et, pour elle, le poème a toujours une "identité problématique". D'autre part, l'écrivaine utilise volontiers les ressources du romanesque et du théâtral.
Le "je" de J. Brégeault-Tariel passe, comme on l'a dit, par Michaux et il s'agit bien sûr d'un je-jeu "décalé et complexifié".
Laurent Desvoux parle de "remonter au verbe du premier langage". Il note aussi la surprésence de l'"incommunicabilité". On est frappé, dit-il, par le "foisonnement des personnages". "Beaucoup de il(s), d'elle(s), éclairages indirects sur le "je" de l'auteure".
En commentateur et analyste consciencieux et même scrupuleux qu'il est, Laurent Desvoux aborde ensuite, un par un, les différents recueils de la poétesse.
"Cromlech", tout d'abord, où le créateur, "démiurge de profession, convoque ses personnages, leur donne rendez-vous, les attend". Mais il se trouve que les personnages se font désirer. Mais qui sont-ils, ces personnages ?
Laurent Desvoux en dresse une liste :
1) Une "voix mystérieuse, péremptoire, ironique, qui résulte de la scission de l'auteur, et l'extériorise" et qui, sans nul doute est le fruit d'une "solitude déguisée". Laurent Desvoux, au passage, souligne l'importance de la magie (rendue par le terme récurrent "ensorceler")
2 ) les pierres debout, lesquelles s'animent et se voient gratifiées d'un surnom. Ici, "tout un petit monde défile dans un rituel magique", qui permet la "transmission d'une mission de création".
Laurent Desvoux signale que "nombre de formules se veulent ironiques, parodiques" et qu'il s'agit d'"ironie froide".
"Ces récits, continue-t-il, nous atteignent à plusieurs niveaux; ils sont porteurs d'un décalage". On pourrait, à leur propos, parler de "fantasy poétique de qualité, hors temps, hors lieu", d'un "fantastique de métamorphose
", ou encore, toujours selon Laurent Desvoux, d'une "mystique de projet". Les récits en question ont pour cadre le Moyen-Âge et la Préhistoire. La langue en est "énergique", dénonciatrice de la violence. Les textes, signale Laurent Desvoux, débutent fréquemment par "Il va..." et se complaisent dans l'injonction. On les sent habités par un indéniable "plaisir verbal".
Des citations suivent l'analyse : "Des pas incertains [...] des gués qui se dérobent"; "Déshabille les mots !";"Tout n'est qu'apparence [...]l'apparence, encore un mot !"; "Mots félons" (je trouve, pour ma part, cette notion très intéressante) ; "Décor planté"; "le rugueux et le lisse gardent le secret"; "je m'éloigne du centre sans perdre ma gravité [...] je toise la distance"; "je vous parle de rites [...] d'incantations d'avant le sortilège"; "je vous parle sous la livrée de quelque chose d'autre"; "une écume [...] que la main ne peut retenir"; "un faune aux mollets de sauterelle"; "Ferme les yeux lorsque leur regard traverse le miroir".
Suit une volée de questions, posées par Laurent Desvoux à J.Brégeault-Tariel, que je retranscris ici :
Laurent Desvoux :"quel est le cadre de ton écriture ? Quels sont les rapports entre tes personnages et ta vie ?
J.B-T :
- L'espace et le temps sont autres lorsque j'écris. Le lieu peut être dans un champ de menhirs, un atelier de sculpteur, un bureau d'écrivain [...] N'importe quel lieu. Ce qui compte, c'est le plaisir d'écrire.
La critique me permet d'entrer dans l'espace-temps de ceux que je lis.
Il y a quelque chose de merveilleux dans la poésie et j'aime mes personnages.
Il y a un fil conducteur : l'ambivalence des individus.
La figure de l'homme qui marche, qui claudique, d'autre part, est centrale.

Après "Cromlech" qui évoquait "un Moyen-Âge non circonstancié", Laurent Desvoux aborde un second recueil, "Verrière le Claudiquant" qui, débutant par "Hors du temps", se veut "réécriture de la jeunesse".
Le personnage du Claudiquant fait penser à Héphaïstos et est donc un de ces "êtres des origines" qu'affectionne J.B-T. Il est également désigné, fait révélateur, comme "Hybride-le-Claudiquant". A côté du Claudiquant se dresse le "moine de la verrière". Autour d'eux, "tout un peuple de personnages pittoresques surgit, d'un Moyen-Âge endormi".
Le Claudiquant est un avatar du poète, "être composite". C'est sans doute pour cela qu'il devient "hybride flûtiste et rôdeur". Ce qui est remarquable, chez J.B-T, c'est que "les identités ne sont pas closes" et que "tous les rebuts de la terre ont droit à la rédemption". En ce sens Jacqueline Brégeault-Tariel rejoint le philosophe René Girard.
Ce qui est, aussi, remarquable chez cet auteur, c'est que "comme dans les églises, les sujets profanes du quotidien tutoient les styles élevés, le prosaïque se purifiant à leur contact". Mais à côté de ces références plutôt christianisantes, on note aussi les non moins importantes références païennes
("les dieux") et même modernes,scientifiques (telles l'ADN et "l'homme neuronal". Par l'entremise du personnage de l'aveugle, le narrateur arrive à un "nom" et à un "futur".
J.B-T cultive un "humour qui va jusqu'à un cocasse teinté d'inquiétude". Chez elle, "la rosace symbolise un long chemin initiatique vers le coeur de la floraison". Et Laurent Desvoux de citer : "Ils ont chevauché la licorne sur la croupe du réel".
Dans le premier recueil comme dans le second, la "dénonciation" est présente. Dans le second, "le Claudiquant est transfiguré par la verrière".
Nouvelle question de L.Desvoux : "quelle forme prend la dénonciation dans votre oeuvre ?"
A quoi J.Brégeault-Tariel répond : "Je préfère dire le constat de ce monde qui est le nôtre : insolite et merveilleux. Il y a de la colère, de la révolte.
C'est un partage de la condition de l'être humain, que la poésie magnifie en donnant accès à d'autres mondes. Les personnages ont un message à faire passer".
Vient ensuite le temps pour Laurent Desvoux d'aborder le troisème recueil intitulé "L"Homme qui marche". Il s'agit d'un recueil en trois parties qui s'articule autour d'une "communion d'arts" avec le sculpteur Giacometti et  le poète Jean Cocteau.
Laurent Desvoux fait, à ce propos, allusion à des "expériences-flash".
Le recueil est centré sur "l'intensité de vivre et la marche", ainsi que sur "le constat d'un moment où l'on peut à la fois se sentir éphémère et éternel, nain ou géant", "double sentiment" qui, pour J.B-T, participe de ce qu'elle appelle une "boîterie inhérente à la vie".
On y rencontre nombre de phrases en italique qui "semblent fouailler les secrets du marcheur".
Arrivé à ce stade, l'écriture s'inscrit dans le "pugilat entre soi et le monde" et dans le "combat entre les personnages et le je". On y dénote une incontestable "angoisse de la disparition des choses" et, comme chez Giacometti, "la création est une émergence cernée de néant". De même, d'ailleurs, chez Cocteau où "le bleu et le vide sont associés".
C'est ainsi que "le marcheur géant traverse les miroirs, atteint un nomansland".
"L'Homme qui marche", c'est, d'abord "une sorte d'illumination sur un quai de gare", "au coeur de la densité" ("le temps s'était dilaté, la mie avait absorbé le lait"). Le marcheur est un "officiant" qui se "nourrit d'espace", "s'engouffre dans la brêche", "récolte les mots un à un, danse avec son ombre"; "il voudrait saisir une prise", "il est cet être vorace", "laissons-lui le temps d'un interlude", "Il est ce géant au regard d'aquarium" qui "laissait monter le mugissement de ses entrailles", "sablière des recommencements".
A ce propos, Laurent Desvoux questionne :
- Les passages en italique; quelle voix ?
J.B-T :
- Si je le savais ! Est-ce une voix venue d'ailleurs ?
C'est une voix insolente.
Peut-être y a t il des mondes parallèles.
Il y a des petites voix qui surgissent d'on ne sait où.
L.D :
- Il y a une taquinerie de cette voix, qui ne laisse pas de repos à l'auteur.
Après cette réflexion, Laurent Desvoux se propose d'aborder le dernier recueil de J.B-T sous l'angle de sa filiation avec les précédents.
Dans ce dernier livre, "Ensorceler une loque", nous retrouvons la "multiplication des identités et le foisonnement des personnages".
Laurent Desvoux fait remarquer que "les doubles se gaussent de l'écrivain". Ne sommes-nous pas tous, quelque part, "irisés de tous nos reflets" ?
Ici, il est d'abord question de "la métamorphose (des mots et des personnages, de l'espace et du temps)", de "la coque des mots usés". Le titre renvoie sans aucun doute à la magie, à l'alchimie et "les doubles du poète s'animent et dansent". On a là une sorte de "mise en scène d'un petit théâtre" regorgeant d'"impertinences, d'incongruités, d'obscènités". "C'est encore et toujours un combat de mots", nous dit Laurent Desvoux, qui renchérit en précisant que "le poème s'insurge contre cet espèce de quidam qui prend la plume".
L.D :
- Peut-on connaître la vraie Jacqueline Brégeault-Tariel au travers de tous ces personnages ?
Que penser de ce "cocasse un peu grinçant et fantastique"?
De "tous les Moi de la poète"?
De cette "poésie de prose qui développe la narration" ?
Et Laurent Desvoux de renchérir, fort justement : "Ce qui frappe chez J.B-T, c'est le contraste entre références modernistes et évocation des temps anciens". De même, "l'aspect savant se marie à l'oralité" sans que ça pose le moindre problème.
Ainsi, Jacqueline Brégeault-Tariel fait-elle figure de "jeteuse de ponts entre les époques".
En conclusion Laurent Desvoux revient sur le "pays lointain" sous les trois aspects que celui-ci revêt chez Jacqueline Brégeault-Tariel : l'"exil intérieur", l'"élévation artistique" et l'"accueil des rejetés".
Un débat s'ensuit, au début duquel Jacqueline Brégeault-Tariel parle de l'enrichissement qu'elle doit au travail qu'elle fit en milieu carcéral (toujours, les réprouvés !)
Chacun y va de son commentaire.
Eliane Demazet :"cette écriture gagne beaucoup à être lue. Dedans, je trouve qu'il y a beaucoup de souffrance. On sent qu'elle est hantée, habitée par des personnages en souffrance, des Quasimodo. Laurent m'a fait entrer dans ce monde".
Jean-Paul Giraux voit, lui, dans cette oeuvre, une "voix de souffrance", "une vision ironique et peu optimiste, l'image d'un monde assimilé à un sombre tripot, d'un monde forcément boiteux".
Patricia Laranco, quant à elle, insiste sur la violence de l'oeuvre.
Passons à Rebecca Gruel : "oeuvre dense, complexe, diffuse", "métaphore de la Cour des Miracles". Présence salvatrice du vitrail.
"Il y a, juge Rebeca Gruel, une trascendance dans ce groupe d'infirmes; après, la science intervient; cela me ramène à la Marguerite Yourcenar de "L'Oeuvre au noir". Rebecca Gruel enchaîne : "L'être a le regard vers l'exclusion; on traverse le point d'interrogation. Ce monde n'est pas figé puisque la société et la nature sont boiteuses.
Cette oeuvre mérite d'être mieux connue. Elle a pour elle du sensitif, du regard et un mental".
Monique Labidoire : "L'homme retrouve sa défaite : le quotidien". Donc, question : "quel rapport entre ta poésie et ton quotidien ? Ton intrusion dans le Pavillon d'Or de Mishima n'est autre que la beauté même. Ainsi, quels sont tes rapports avec la beauté ?"
Réponse de J.B-T :
- La beauté et la laideur se répondent. Elles participent de la complexité et de la richesse de tout individu.
Sur ce elle ajoute :"je suis bien accrochée au sol", "on est porteur de tas de connaissances", "la matière est très présente".
A quoi Laurent Desvoux répond en faisant remarquer avec raison que "le quotidien peut être aussi celui de la création. Dans la matière des mots".
Quelqu'un d'autre, dans l'assistance (dont je ne connais pas le nom) commente à propos de cette oeuvre : c'est un "univers très cohérent, qui a un certain mystère mais n'est pas si lointain. C'est une vraie bagarre.
Jacqueline Brégeault-Tariel est une femme de contradictions chez qui l'ensorcellement est un émerveillement".
Au tour de Jean-paul Giraux, qui s'exprime à nouveau pour affirmer, avec force : "elle est portée par les mots", ce qui permet à Jacqueline Brégeault-Tariel de nous confier au passage que "l'amour des mots et des dictionnaires" fut présent dès sa jeunesse.
Pour Francine Caron, qui se déclare très touchée par les titres choisis ("Cromlech est très beau"), l'oeuvre de J.B-T serait une "synthèse entre le féminin (représenté dans le recueil "Cromlech" par le "cercle de pierres") et le masculin qui résiderait dans les "pierres verticales". Quant à la "verrière", elle lui évoque fortement Brindeau. Concernant le recueil "Ensorceler une loque", elle s'adresse directement à son auteur pour lui dire "tu a créé un langage vêtu de haillons"; "il y a quelque chose en toi d'un peu Flamand, d'un peu Breughélien", "les personnages sont archétypiques, mythiques" et "certaines poètes ont le privilège d'être originales et originelles".
Le tout dernier mot, comme toujours, reviendra à Jean-Paul Giraux, qui se félicitera d'"une salle de très grande qualité".
Mais Jacqueline Brégeault-Tariel, avec son oeuvre fascinante car si personnelle ne le mérite-t-elle pas ?


Patricia Laranco.

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