Buter Belle-Maman

Nuisible, adjectif, nom masculin:
"Qui nuit, qui porte dommage."

C’est le Dictionnaire de l’Académie Française qui le dit.

Le Dictionnaire Médical pour les régions tropicales, quant à lui, propose cette poétique et touchante définition:

Nuisible: "Qui nuit, qui fait du tort. Le rat est un animal nuisible."

D’où j’en conclus que nos vénérables académiciens grabataires ont au moins un point commun avec nos vaillants médecins sans frontières (ces infatigables porteurs de sacs de riz au brushing toujours impeccable):
Ils ont tous une belle-mère.
D’ailleurs, le Dictionnaire de l’Académie nous le précise généreusement: "Le renard, le blaireau, la belette, le ragondin sont déclarés animaux nuisibles".

En règle générale, la belle-mère moyenne est un croisement fascinant de tous les adorables petits mammifère sus-cités, mâtiné de chromosomes indéfinissables qui font d’elle une créature hautement délétère.
Elle se délecte le plus souvent de potins, ragots et commérages circulant sur ton compte, qu’elle se fait un malin plaisir de déballer au grand jour au moment des repas de familles, entre la poire et le fromage, quand tu t’y attends le moins et que tu as imprudemment baissé ta garde.

- Oh, et dites-moi, Truc (ou Gendre, ou Bru, de toute façon c’est bien à toi qu’elle s’adresse), on m’a rapporté que vous aviez quelques menus ennuis dans votre travail? Une affreuse histoire de plan social…vous n’êtes pas concerné(e), j’espère!

Même si elle n’est pas juive, la belle-mère peut cumuler des traits de caractère éminemment propices à faire naître, chez toi, la pulsion mortifère la plus aiguë.
Elle peut en effet souffrir de cette forme de fierté excessive qui la voit s’extasier en permanence des réussites, même mineures voire imaginaires, de son enfant (que tu as eu l’immense privilège d’épouser, de pacser ou simplement de concubiner).
Elle est susceptible de materner cet enfant jusqu’à l’âge adulte et au-delà, te faisant régulièrement passer pour une pauvre sous-merde totalement incapable de lui tricoter amoureusement pulls, écharpes en alpaga et moufles en alpaga.
Elle peut passer maîtresse dans l’art subtil de la culpabilisation à outrance, manipulant ainsi sa malheureuse progéniture qui risque de te faire vivre l’enfer au quotidien pour peu que tu oses émettre la moindre critique sur sa génitrice vénérée.

Le pire survient néanmoins quand (et si) tu as le malheur de donner à Belle-Maman une descendance de troisième génération.
Car une fois grand-mère, elle devient l’équivalent familial d’une hernie discale complexe et inopérable.

Le rejeton porte un pull-over en poil de mammouth (on est au plus fort du mois de février, il gèle à pierre fendre et tes extrémités sont sur le point de tomber bêtement)?
"Ouh là, mais il est trop couvert, ce petit! C’est un coup à attraper un chaud et froid, ça. S’il transpire trop, après, ça peut tomber sur les bronches."
Le rejeton porte un débardeur léger (on est en plein mois d’août et ta peau est sur le point de se craqueler sous l’effet de la chaleur, menaçant de répandre tes humeurs sur le bitume qui fond)?
"Ouh là, mais il n’est pas assez couvert, ce petit! C’est un coup à attraper un chaud et froid, ça. S’il transpire ne transpire pas suffisamment, après, ça peut tomber sur les bronches."
Le rejeton s’amuse avec un inoffensif stylo à billes (modèle quatre-couleurs, fort laid mais bien pratique)?
"Ouh là, mais il pourrait se faire mal, ce petit! Le ressort des stylos à bille, il paraît que ça coupe, après, ça peut tomber sur les bronches."
Le rejeton escalade fièrement un petit rocher en bord de mer (ou une chaise Ikéa dans la cuisine, c’est selon)?
"Ouh là, mais il pourrait tomber, ce petit! Les rochers (ou les chaises) comme ça, il paraît que ça coupe autant que les ressorts de stylo à billes, après, ça peut tomber sur les bronches."
Le rejeton enfourne innocemment une cacahuète à l’apéritif (ou un brin de céleri biologique, si tu es adepte des cinq fruits et légumes par jour et de l’altermondialisme alimentaire)?
"Ouh là, mais il pourrait s’étouffer, ce petit! Les cacahuètes (ou les brins de céleri biologique) c’est comme les ressorts de stylo à billes, les rochers, le chaud et le froid, après, ça peut tomber sur les bronches."

Afin de t’éviter un passage à l’acte irréparable, qui pourrait bien te conduire directement à la case "prison" sans toucher les dix mille euros (ni empocher les stock-options), laisse-moi donc terminer ce billet par un conseil amical et désintéressé.
Il ne te viendrait pas à l’idée d’essayer de dératiser ta sublime maison dans le Périgord toi-même, n’est-ce pas?
Ni de te débarrasser d’une colonie de termites forte de deux cent mille membres à l’aide d’un simple balai de ménage?

Il en va de même pour la belle-mère (qui est, on le rappellera jamais assez, un nuisible comme les autres).

Fais donc plutôt appel à des professionnels