Magazine Amérique du nord

Le sexe ou l'amour ? Ontologie de l'intime sur la plage de Chesnil

Publié le 27 avril 2009 par Olivier Beaunay
On dirait presque les parades de l'amour courtois, dont la maladresse se serait substituée à la poésie. C'est juste avant la libération sexuelle des années 60-70 que se rencontrent Edward Mayhew et Florence Ponting. Elle est une musicienne de talent, à la tête d'un quatuor à cordes promis à un grand avenir, lui étudie l'histoire à Oxford.
S'ils surmontent leur différence de conditions sans difficultés majeures - elle est issue d'une famille bourgeoise, un peu froide, il vient de la campagne -, il n'en va pas de même de leurs pulsions. "Ils vivaient en des temps où parler de ses problèmes sexuels était manifestement impossible ".
Du coup, à la veille de leur nuit de noce, ils sont encore tous les deux vierges. Edward attend ce moment avec un peu d'appréhension et beaucoup d'un désir longtemps refoulé par la distance imposée par Florence. Elle s'attend au pire, qui a tout mis en oeuvre pour l'éviter jusque là.
Parce qu'il ne peut réprimer davantage son désir pour elle et parce que, acculée, elle ne peut plus masquer son dégoût hystérique pour la sexualité, la nuit de noces est un fiasco magistral et violent qui conduit les protagonistes de l'intimité de la chambre d'hôtel à la fuite sur la plage. La plage de Chesnil devient alors le lieu d'un contrat improbable où lui vient soudain l'illumination sublime et désespérée que le sexe pourrait le céder à l'amour. Inacceptable pour Edward, qui se sent trahi et ne peut penser cette dichotomie révolutionnaire.
Ils rompent dans la foulée, vite, sans éclat supplémentaire, ce contrat embryonnaire qui n'a pas été consommé et qui ne peut intégrer les nouveaux termes qu'en propose la jeune femme. Edward peut alors s'adonner, dans les années qui viennent, aux joies d'une sexualité sans entraves ; elle est, de son côté, bientôt reconnue comme l'une des plus brillantes musiciennes de sa génération. S'ils se sont manqués, ils portent pourtant bien des années plus tard encore le poids de cet amour gâché et perdu.
Sans la vendeuse de la librairie Filigranes sur l'Avenue des Arts à Bruxelles, je n'aurais probablement pas acheté ce roman - de McEwan, je n'avais que distraitement feuilleté Samedi et voilà tout. D'autant que presque toutes ces recommendantions se terminaient par un : " Oh, c'est sûr, celui-là est un livre plutôt féminin " qui me laissait songeur.
A moins qu'il ne s'agisse d'une sorte de récit en creux des Particules élémentaires - qui serait, celui-là, "masculin". Le sentiment contre le sexe, l'intériorité contre la jouissance, la poésie contre la pulsion. Le livre de McEwan, en apparence presque suranné, porte pourtant en lui la violence intime qui fait la trame tout à la fois du sens et de la littérature.
C'est un livre d'une autre génération. Ou bien pour aujourd'hui, comme le Cris et chuchotements révélé dans les interstices d'une époque trop bruyante, dans laquelle l'intime aurait été emporté dans le médiatique. Sur La plage de Chesnil est moins une critique de moeurs d'une autre époque que le procès de ce qui est inaudible dans la nôtre. Tentative ténue de restaurer la fragilité de la parole sur la primauté du bruit, le roman de McEwan esquisse une écologie masquée ou, plus encore, une ontologie de l'intime qui ne nous laisse guère le choix qu'entre la conscience ou la violence.

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