Magazine Beaux Arts

La Force de l’Art

Publié le 27 avril 2009 par Marc Lenot

2009-04-lfda-bruxelles033.1240787999.JPGIl y a trois ans, nous avions eu une exposition d’expositions, avec une quinzaine de commissaires, sélectionnés un peu vite peut-être, présentant leurs poulains de manière plus ou moins cohérente. C’était touffu (trop), disparate (trop), souvent thématique et diablement compétitif. Cette année, on a l’inverse absolu : une trentaine de stands, un choix sans thèmes fait par trois commissaires, une sélection hyper-rigoureuse sur des critères inconnus (qualité + notoriété + une petite dose d’aventure ?). Alors on se dit, tiens dommage qu’untel ne soit pas ici (dommage qu’il n’y ait pas assez de femmes, protestent certaines - c’est vrai -, ou comme le dit cette commentatrice candide et ironique : “Et combien d’homosexuels parmi les artistes ? Deux Arabes seulement, un seul Juif, aucun Noir ! Pas un seul artiste membre du Front National ! Tant de scandales à dénoncer ! ” - j’espère qu’elle est ironique). Il y a trois ans, on faisait allègrement des palmarès, des statistiques, il y avait matière. Cette année, on aime untel et pas untel, et on se demande si c’est la bonne échelle de représentativité. Après une force de l’art brouillonne et prolixe, nous avons une force de l’art élitiste et éthérée (jusqu’au 1er juin); Astérix ou Jules César, Rabelais ou Malherbe, choisissez l’analogie qui vous convient.

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De pair avec cette pureté des choix, il y a une pureté de l’architecture, ‘géologie blanche’ glacée, inhumaine, éblouissante sous la verrière les jours ensoleillés. C’est très beau, et très audacieux à sa manière : retour à l’idéologie du White Cube, à la pseudo-objectivité de ces espaces hyper-neutres. Bonne occasion de relire (ou maintenant de lire en français) Brian O’Doherty. Ces murailles inhospitalières sont percées ici et là de trouées, d’ouvertures qui ont le charme de la découverte, de la surprise. Si le container rouge tagué de Fabien Verschaere semble trop incongru et prévisible, la muraille verte de Michel Blazy (Le Passage, Cage Verte) est une oasis de fraîcheur dans ce glacier : attendons de voir ce qui va pousser dans ce réjouissant vivarium.

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Une autre brèche dans la muraille glacée de la banquise débouche sur un igloo de cristaux neigeux, construction empilée, découpée, où le vide de l’un est le plein de l’autre. Ce Triomphe de la Neige du Gentil Garçon (alias Julien Amouroux) serait presque scientifique si une superbe carotte rouge, nez de bonhomme de neige, n’était au saint des saints de ce temple.

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Au détour d’une autre fente dans la citadelle, on se retrouve face à la surface miroitante d’une énorme boule de Bruno Peinado, qui respire, se gonfle et se dégonfle (Sans titre, Silence is sexy). Ce coeur qui bat au milieu de l’exposition, est vide et ne fait que nous refléter en nous déformant. Serait-ce de l’ironie spectaculaire ?

Il y a ici des maisons qu’on casse (Stéphane Calais), qu’on coupe (Grout / Mazéas), qu’on déconstruit (Guillaume Leblon), quelques tableaux un peu perdus au milieu de cette agitation, un peu de pathos larmoyant (Pascal Convert et la lamentation), quelques réutilisations musicales (Nicolas Fenouillat) ou cinématographiques (Cannelle Tanc et Frédéric Vincent) pas très abouties, de quoi vous dégouter à jamais de la lecture de la Recherche du Temps Perdu (Véronique Aubouy; Rebecca Bournigault ou Jérémie Bennequin, sur ce même livre, sont tellement plus pertinents), des poubelles fondues à l’image de notre société (Anita Molinero), du bla-bla historico-scientifique (Mircea Cantor), un kebab de photos (Wang Du) et même des photos de charme (Butz & Fouque, dont je ne peux pas imaginer que le pseudo soit innocent, une fois transposé en anglais). Bon, passons à ce que j’ai aimé, dans ce menu disparate.

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D’abord, plusieurs pièces sur l’histoire, sur la mémoire, reliées peut-être par l’impossibilité de les maîtriser. Le Tourniquet géant de Gilles Barbier est un jeu sur l’image et le langage, une exposition du savoir qui tournant lentement, nous permet des vues différentes, des rapprochements investigateurs ou des reculs panoramiques. Ensuite la bibliothèque tout aussi encyclopédique de Julien Prévieux, une des deux plus belles installations de cette exposition, avec tous ces livres devenus obsolètes et sauvés du pilon, présentés
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dans ce meuble circulaire (voir photo en haut) au centre duquel nul ne peut pénétrer; au mur, de grands tableaux noirs où les mots se relient, les concepts s’apparient, les relations sémiotiques prennent forme. Cette impossibilité du savoir, ce tombeau de Pic de la Mirandole, cet échec de la gestion de la complexité, de la prédiction du futur sont tragiques et mélancoliques : La totalité des propositions vraies (avant).

Le film de James Coleman, ‘Ligne de foi’, produit la même complexité. Reconstitution historique de la bataille de Manassas, il s’affiche comme un ‘re-enactment’, où le présent ne cesse de faire irruption dans ce pseudo-passé, dans ce retour en arrière vers l’histoire : le film en train de se faire entremêle figurants en costume et techniciens du tournage, créant une perturbation historique constante. De plus la technique de projection interdit un point de vue idéal : trop près, on ne voit que des pixels indistincts incapables de former une image compréhensible, trop loin, dans cet éclairage sommital, on doit plisser les yeux pour voir la scène, et aucune photo ne peut rendre compte de cette image. L’histoire ne se construit pas objectivement, nous dit-il, il n’y a pas d’observateur neutre et idéal.

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Alain Bublex complète ici sa reconstitution de la cité fictive de Glooscap, travail entrepris depuis 20 ans. On passe d’une fresque sauvage ( Passamaquoddy Bay, North Shore) bercée de mélopées indiennes (inuits ?) au délire urbanistique hyper-construit et structuré dans lequel Bubblex travaille. L’exposition initiale de 1992 est reconstruite ici, mais elle nous est inaccessible, nous ne la voyons que derrière une vitre qui déforme la vision, et nous ne pouvons pas arpenter ces salles qui occupent une excroissance, verrue stérile sur l’agencement rigoureux de la Géologie blanche. Au premier plan, un portrait du fameux Félicien Marboeuf, datant de 1907, et cher à un des commissaires.
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Un peu comme chez Prévieux, un sentiment d’utopie mélancolique flotte ici.

Mémoire plus ancienne, celle du ptérodactyle qui, il y a 140 millions d’années, glissa dans la boue et laissa l’empreinte de ses trois griffes dans un terrain fangeux du Massif Central. Cette gigantesque empreinte minimaliste à la Fontana, trônant à six mètres au dessus de la masse, domine toute l’exposition,  comme un pied de nez au modernisme, post- ou alter-. C’est de Virginie Yassef , Il y a 140 millions d’années, un animal glisse sur une pente fangeuse du Massif Central en est le titre superbement explicatif.

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Didier Marcel a réalisé une installation très belle, très pure, équilibrant les formes, les couleurs et les positions. Deux moulage de labours, noirs et profonds, sont aux murs (Sans titre); trois troncs de palmiers, floqués en blanc et sertis de bouts métalliques précieux, sont à l’horizontale (Phoenix canariensis, jardin de la petite Afrique, Monaco). Le monde a basculé de 90°, et est devenu bicolore. C’est tout simple, très beau et très fort, et c’est mon autre chouchou dans cette exposition, très différent. Là, je m’arrête et je regarde, l’esprit flottant, l’oeil au repos.

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Je veux encore mentionner Fayçal Baghriche qui combine une mappemonde tournant si vite qu’on n’y perçoit plus les frontières (Souvenir) et un ciel étoilé, qui est en fait la fameuse double page du Larousse sur les drapeaux, où ne subsistent plus que les étoiles desdits drapeaux (Epuration élective). Abolition des frontières, abolition des drapeaux, comme un nouveau langage. Citons encore Kader Attia qui, ironie involontaire, mobilise quatre gardiens pour qu’on ne piétine pas ses sacs en plastique déposés négligemment au sol, écho de la fragilité des choses et des hommes fragiles. Citons le simulateur de vol monstrueux de Raphaël Siboni et Fabien Giraud,
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citons la citation du Capital de Karl Marx par Jean-Baptiste Ganne qui l’illustre de photographies quotidiennes, dont la fresque recrée notre société vaine et consommatrice (Le Capital Illustré, Teneur de la forme -valeur relative, I, I, 3, A, 2, a), et restons-en là, avant d’aller voir les six autres artistes présentés ailleurs dans Paris.

Photo Virginie Yassef courtoisie de La Force de l’Art; autres photos de l’auteur. Michel Blazy, Alain Bublex, Jean-Baptiste Ganne, Didier Marcel et Bruno Peinado étant représentés par l’ADAGP, les photos de leurs oeuvres seront retirées du blog à la fin de l’exposition.


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