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Hubert Nyssen, onzième

Publié le 02 mai 2009 par Irigoyen
Hubert Nyssen, onzième

Hubert Nyssen, onzième

Je vous conseille vivement de lire ce roman avant L'Helpe mineure – je vous expliquerai pourquoi dans la prochaine chronique -.

C'est l'histoire d'un face-à-face entre une femme et un homme. Ces deux êtres ne sont pas des étrangers l'un pour l'autre: Colette est en effet la belle-sœur de Valentin. Elle vient de perdre son mari, le frère de Valentin, Victor, dont elle connaît la relation adultère avec une certaine Julie Devos, elle aussi disparue mais sans laisser de trace.

Les rencontres entre Colette et Valentin Cordonnier deviennent plus fréquentes. Elles sont aussi de plus en intimes, ce qui amène le lecteur à se poser la question des conséquences possibles de cette étroite relation. Question d'autant plus surprenante que Valentin est homosexuel. Un homosexuel « incertain » comme me le décrira Hubert Nyssen dans l'interview qu'il m'a accordée, malgré l'apparente certitude de ses sentiments:

« Mais pas de malentendu à redouter, elle aime les hommes, moi aussi, elle n'est pas de mon bord, je ne suis pas du sien. »

Ce décor planté, Hubert Nyssen remonte le temps et nous conduit à Bénodet où travaillait Louise Florentin, la maman de Victor, Valentin mais aussi de Vincent, le troisième frère.

« Oh tu entends Manon ? S'était exclamée Marguerite. Comme c'est amusant, trois garçons, trois V, Victor, Vincent et Valentin. Trois V comme chez nous deux M, Marguerite et Manon. »

Bien sûr, les marottes chères à Hubert Nyssen sont là. Mais il ne faudrait pas en conclure qu'il s'agit d'un procédé facile. Car, à chaque livre, les thèmes sont développés, précisés, affinés. C'est comme si l'auteur saupoudrait des informations supplémentaires. Comme si, en plus de l'histoire propre à chaque roman, Hubert Nyssen nous signifiait qu'il avait oublié de nous dire quelque chose, à nous ses lecteurs. Un détail qu'il aurait appris entre temps ou qu'il souhaiterait mettre en relation avec un autre. Ainsi en va-t-il des références au Titanic:

« Il avait maintenant des raisons de croire que, dans l'esprit de sa mère, c'était au large de Bénodet que le Titanic avait coulé le 15 avril 1912. Sinon, pourquoi, tout au long de mon enfance, disait-il, ma mère m'aurait-elle promis que je connaîtrais le sort du Titanic chaque fois que je péterais plus haut que mon cul, comme elle n'hésitait pas à me le dire malgré de belles manières et le beau langage appris chez les Bernicha ? »

Il est d'ailleurs intéressant de noter que l'auteur ne se semble toujours pas s'expliquer la fascination de sa mère pour cette tragédie maritime. Mais il nous fait part de ce questionnement, comme s'il était important de nous signifier qu'il ne connaît pas la réponse – Claude Roy : « écrire pour découvrir ce qu’il ne savait pas qu’il allait écrire » ? -

« Pourquoi cette mère de famille qui avait si souvent évoqué devant son fils le naufrage du Titanic ne lui avait rien raconté de l'invasion allemande advenue deux ans plus tard, ni de l'occupation, qui avait duré quatre ans. »

Évocation du Titanic, évocation également des seins. Ils sont très présents dans l'œuvre d'Hubert Nyssen, je l'ai déjà mentionné ici-même. Je me demande d'ailleurs toujours, avant d'entamer un de ses romans, comment l'auteur-éditeur va en parler. Ces attributs féminins me donnent l'impression d'être une source inépuisable de commentaires.

« L'autre soir, par exemple, j'ai eu beaucoup de mal à m'endormir parce que je me rendais compte que les amours auxquelles j'étais habitué ne m'avaient jamais permis d'imaginer le rôle que, dans les couples dits normaux, peuvent jouer les seins. Ces seins dont nous n'avons que des simulacres ou des caricatures. »

On remarquera, là encore, que leur simple évocation laisse place à une délicieuse précision:

« des seins comme on en voit sur les tableaux de l'école de Fontainebleau »

Plus loin:

« A l'abri du manteau dont elle tenait écartés les deux revers pour s'en faire une sorte de paravent, elle avait abaissé les bretelles de sa robe qu'elle avait descendue, juste assez pour découvrir ses seins. Alors que je les dévorais du regard dans le désordre de la confusion, je me suis fait la réflexion qu'ils étaient nobles, discrets sur l'âge, un peu rebelles même avec l'air qu'avaient les mamelons de relever le museau. »

Ce dernier passage montre à quel point Hubert Nyssen attache de l'importance à la compréhension. Cette compréhension passe chez lui, je pense, par la traduction. Traduction du monde environnant avec ses codes, intérieurs et extérieurs - on retrouve donc cet intérêt pour le thème dedans/dehors - :

« Je crois que les étoffes des femmes, le maquillage, le parfum et les petits ornements, bijoux, bracelets, boucles d'oreilles, bagues ou colliers, le jeu des couleurs et tout le reste, gestes, sourires et postures, et même les extravagances de certaines comme mèche rose dans cheveux noirs, bas à résille éraillés avec soin, jeans aux genoux déchirés, tatouages et petites pierres incrustées là ou jadis se portaient les mouches, sont autant de mots, de phrases, de strophes, de couplets, de cris, de slogans qu'elles affichent pour exprimer d'entrée de jeu la gracieuse complexité de leur nature. Peut-être aussi pour recommander à ceux qui les approchent d'être avec elles prudents, très très prudents. Ou, à l'inverse, de ne pas l'être du tout. En somme, des mœurs de tribus primitives. »

C'est encore plus éclatant ultérieurement:

« Tout est traduction, ai-je lu quelque part. Oui, je sais, et on dit aussi tradutore traditore, je sais, je sais. Mais alors que faire, comment m'y prendre ?»

« Comment m'y prendre ? »: voilà une interrogation qui me semble coller assez bien à Hubert Nyssen et à sa démarche. Point de certitude, place au doute, le doute qui fait avancer parce qu'il gomme le superflu. Le doute philosophique: « je doute donc je suis » en quelque sorte, totalement à rebours d'un mouvement de masse:

« Les choses... voilà bien le fourre-tout le plus obscène du langage, me disais-je pendant qu'elle y allait de ses explications, c'est un sac à malice où des charlatans fourguent leur ignorance, des philosophes leurs énigmes, où l'idée de Dieu voisine avec la bagatelle, les chats avec les chiens, le rien avec le tout et les morts avec les vivants. »

Qu'en cette fin de onzième chronique – déjà ! - il me soit permis de laisser la place à Hubert Nyssen – il en aura bien davantage plus haut, ne vous inquiétez pas -.

Ce n'est pas tous les jours qu'un lecteur peut s'enorgueillir de laisser place à un auteur qu'il admire. Surtout quand il s'agit de dédicace, écrite et sonore.

Hubert Nyssen, onzième

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