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Guy Konopnicki contre le culte des différences

Par Savatier

 Le dernier livre de Guy Konopnicki pourrait s’apparenter au genre littéraire du pamphlet, il ne se présente pas moins comme une belle lettre d’amour à la République. Son titre, La Banalité du bien (Hugo et Cie, 196 pages, 15 €), renvoie, non sans ironie, à la notion de « banalité du mal » développée par Hannah Arendt en 1963 dans son passionnant essai, Eichmann à Jérusalem, que j’ai à plusieurs reprises évoqué dans ces chroniques.

C’est en écrivain qu’il signe le premier chapitre : le récit burlesque, bien qu’inquiétant, d’une balade dans le Paris populaire de son enfance. Le style ne trompe pas, c’est celui du titi parisien, proche de Gavroche, de Prévert ou Henri Jeanson dans les dialogues qu’ils écrivirent pour Marcel Carné, d’Audiard et d’Albert Simonin :

« Je fais quelques pas, dans la rue de Crimée, et je me trouve entouré d’hommes vêtus de noir. Ils portent des costumes très en vogue entre Cracovie et Lemberg et, peut-être en Crimée, vers 1850. […] J’allume une cigarette, je sais, ce n’est pas bien, mais dehors, tout de même… Je suis percé de regards réprobateurs. Sous un galurin noir, au milieu d’une barbe, une bouche émet des sons articulés qui semblent m’être destinés. – Tu es juif ? Pourquoi cette question, et quel est cet homme, qui me donne du tu, alors que je ne le connais ni d’Eve ni d’Adam, ni d’ailleurs d’Abraham et de Sarah. […] Nous échangeons quelques mots. Oui, mon pote, Juif si tu veux, mais d’abord Parigot, tète de veau, titi des barrières, broche de la Bastoche, je suis dans la rue, je clope et je t’emmerde. Il me répond que c’est shabbat. Je le sais, je fais ce que je veux. [.. ] Il me balance la Shoah à la figure. […] Il ne craint pourtant pas de nous irriter, Machin roi de l’univers et moi-même, en invoquant la Shoah pour m’interdire de fumer le samedi. »

Plus loin, il croisera « encore des barbus, mais vêtus de djellabas blanches » et des groupes d’autres communautés dont la particularité est de coloniser un quartier et de tenter d’y faire régner leur « loi ». Cette expérience lui inspire un « coup de gueule » qu’il développe, en essayiste et journaliste, cette fois, dans les chapitres suivants, sans se départir d’un humour ravageur qui ne manque jamais sa cible. Ce qu’il reproche à notre époque politiquement correcte et bien-pensante, c’est d’accepter et d’encourager la ghettoïsation, et aux politiques de sacrifier, par clientélisme ou angélisme, la liberté et l’égalité de tous sur l’autel de « ces groupes de gens, souvent plus confessionnels que communautaires, qui opposent leurs spécificités à notre bien commun. »

La charge touche autant la droite que la gauche. L’auteur reproche ainsi à Nicolas Sarkozy

d’avoir érigé la Shoah en une sorte de « religion d’Etat » et d’avoir prononcé quelques phrases, dans son discours du Latran, de nature à remettre en question le principe de laïcité tel qu’il fut appliqué en France depuis la loi de 1905. Ces deux événements, auxquels il convient d’ajouter la manie de la repentance tous azimuts – qualifiée de « masochisme national » – encouragent une concurrence mémorielle, victimaire des communautés concernées, ainsi que l’inévitable émergence de revendications d’autres groupes (catholiques, bobos, homosexuels, etc.).

Mais Guy Konopnicki reproche tout autant à la gauche d’avoir abandonné les idéaux des Lumières et de Jaurès en méprisant le peuple (« Les élites, surtout quand elles sont de gauche, cultivent le mépris du peuple. Elles peuvent soutenir tous les peuples, excepté le peuple français ») et en renonçant progressivement aux principes de la laïcité, comme l’illustre cet exemple :

« A Lille, Martine Aubry a accepté la ségrégation sexuelle exigée par les musulmans. Il y a donc des heures de piscine « FIS », comme disent les trop rares militants laïques algériens. « FIS », Front islamique du salut, cela signifie Fatma Interdite de Sexe. Une grande socialiste, Première secrétaire de son parti, féministe à ses heures, accepte ça. Pour être élue. Pour éviter les troubles dans les quartiers. Des citoyennes françaises sont abandonnées à la tyrannie des familles, aux préjugés d’un autre âge qui interdisent aux filles de partager la même eau que les garçons. »

Ces renoncements ne sont pas sans conséquences. Il se souvient de sa famille juive de Galicie, arrivée en France, comme tant d’autres, dans le souci de se fondre dans le moule républicain, d’embrasser son modèle, heureuse de pouvoir, par exemple, se vêtir comme les autres. C’est pourquoi il regrette le communautarisme d’aujourd’hui ; ses arguments sont d’autant plus convaincants qu’il n’hésite pas à employer un humour grinçant, comme lorsqu’il évoque les Juifs intégristes reconnaissables à leurs vêtements : « Dans les quartiers de Paris où toutes les immigrations du monde se sont mélangées, on distingue désormais les Juifs. Ils portent des signes de reconnaissance, alors que la loi ne les y oblige plus depuis l’entrée à Paris de la division Leclerc, le 25 août 1944 ! Voici venir le temps de la discrimination volontaire. »

Face à ceux qui « pour d’obscures raisons religieuses, donnent le spectacle de l’enfermement communautaire », l’auteur souligne que les étrangers récemment arrivés en France, suivant leur exemple, s’enfermeront naturellement dans de leurs coutumes au lieu de rejoindre les idéaux républicains. On imagine les dangers d’une telle situation : à l’unité nationale, se substituerait un patchwork de groupes hétérogènes qui délimiteraient leurs territoires, tenteraient (ou tentent déjà) d’imposer à tous leurs différents systèmes de valeurs et considéreraient toute critique comme une «stigmatisation» intolérable. Parmi les victimes toutes désignées de ce mode d’organisation sociale, l’auteur cite les femmes : «Les femmes mariées portent des perruques. C’est la version juive du tchador ! D’où sort cette tradition qu’il faudrait préserver ? Jamais les Juifs ne se sont grimés de cette manière en France.» Il est vrai que, si Marianne se couvre la tête, ce n’est que du bonnet phrygien, qui ne symbolise aucun asservissement. 

Konop, comme l’appellent ses amis, dénonce l’abandon du rôle unificateur de la République qui avait permis à la France de se constituer et de se développer par l’assimilation des différents groupes qui la composent, à travers ses symboles, au premiers rangs desquels La Marseillaise, l’héritage de 1789 et la laïcité. Il en appelle à un retour à ces fondamentaux, seuls garants, pense-t-il, de l’unité et de l’identité nationale. Ce faisant, il écrit quelques belles pages sur son amour de la France et sur son histoire dont il déplore des relectures partisanes qui n’ont rien d’innocent. Se référant à Voltaire et au chevalier de la Barre, il revendique la liberté d’expression et le droit à l’irrespect face à ceux qui tentent d’imposer un respect absolu des différences fondé sur des particularismes religieux ou ethniques incompatibles avec les valeurs de la République.

Ce discours est d’autant plus intéressant qu’il se démarque de celui de nombreux intellectuels médiatiques, chantres du différentialisme et de l’abandon du concept d’identité nationale – lesquels construisirent efficacement le lit de l’extrême droite depuis les années 1980. En outre, Guy Konopnicki, lucide, n’occulte pas les erreurs et les dérives de mouvements auxquels il avait activement participé (communisme, SOS Racisme, MRAP, etc.) Souvent percutants, ses arguments portent, même si certains peuvent se discuter. C’est le propre du pamphlet. L’essai n’en reste pas moins très agréable à lire et donne matière à réflexion sur un sujet d’une évidente actualité.


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