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Au sein du monde (1ère partie)

Par Sandy458

Au sein du monde.

2009

 

Au sein du monde (1ère partie)

Photo de KHym54 , source originale flicker, wikimedia commons, sous licence.

On tarde à grandir, on ne tarde pas à mourir.

Proverbe africain.

« Fort comme le lion,

Sage comme l'éléphant,

Rapide comme la gazelle,

Tu es un géant, toi mon enfant.»

Le nuage de poussière ocre au-dessus du sentier grossièrement tracé annonce le retour de la lente colonne des femmes, les bras chargés de jerricans d'eau, un bidon posé en un équilibre savant sur le plat du crâne.

Le puits a été foré de l'autre côté des champs brûlés par le soleil ardent, les tiges calcinées se dressent comme des piques agressives qui entament la peau, rendant pénible la corvée de ravitaillement.

Aya,  beauté sculpturale à la couleur d'ébène, repose son dos aux muscles crispés contre le mur en crépi jaune de sa case.

Les bras arrondis en forme de berceau, elle presse son fils contre son sein et entrouvre d'un doigt délicat les lèvres contractées de l'enfant pour y enfoncer son téton durci.

D'une légère poussée dans son dos, d'une tendre caresse sur ses joues, elle le stimule pour le décider à aspirer une goutte de lait bleuté.

Ses seins sont si lourds, gorgés à l'extrême, qu'elle en est réduite à exprimer le liquide par de légères pressions de  ses doigts posés en corolle sur l'aréole.

Le liquide nourricier jaillit en longs jets jusqu'au sol, abreuvant la terre rougeâtre, disparaissant en un instant dans la poussière avide d'engloutir la sève des mères.

Aya contemple la peau tendue et sensible de sa poitrine d'où s'extraient de douloureuses perles de lait. C'est un supplice de chaque instant, juste atténué par le soulagement de l'allaitement et le goulu travail de succion du nouveau-né.

Berçant le bambin, elle reprend sa mélopée ancestrale dont les paroles se veulent un gage de bonnes grâces pour  lui promettre la plus belle des destinées.

« Fort comme le lion... »

Les femmes aux visages las passent lourdement devant elle.

Les bidons en plastique contenant la précieuse eau arborent des logos de l'industrie pétrochimique occidentale et des pictogrammes de toxicité.

Elles détournent leurs regards d'Aya, préférant contempler la poussière soulevée par leurs pas ou fixer un point d'arrivée imaginaire loin devant leurs yeux irrités par les particules soulevées.

Aya les remarque à peine, toutes ses fibres maternelles orientées vers son fils bien-aimé.

Elle passe distraitement une main sur son ventre mou et vide qui a déjà donné la vie à quatre enfants, geste dérisoire qu'elle voudrait apte à conjurer tous les mauvais sorts et effacer les malédictions séculaires qui frappent cette terre.

Ses trois ainés ont été emportés avant le terme de leur première année.

Un jour, leurs lèvres bleuies se sont desserrées du sein maternel pour exhaler, sans un cri, le dernier souffle de leur trop courte vie.

Il n'y a rien eu à tenter, excepté prier pour qu'une nouvelle existence s'ancre le plus vite possible dans ses entrailles.

Il n'est pas bon que le ventre d'une femme reste trop longtemps vide.

Les démons y prennent place et se nourrissent aux dépends de l'humanité.

Alors Aya a prié, trois fois de suite, pour que son époux refasse vite d'elle une mère.

Ce dernier petit, qui repose calmement dans ses bras, représente son ultime espoir. Aminata, la Passeuse de Vie, lui a annoncé que de son ventre devenu subitement et mystérieusement stérile, aucune jeune pousse ne sortirait plus jamais.

Même avec un miracle, elle ne sera plus jamais mère.

Les pas des femmes ont soulevé trop de poussière.

Aya tousse, s'étouffe, la gorge lui brûle, les larmes coulent en parure luisante sur sa peau sombre.

Elle s'empresse de recouvrir le visage de son enfant d'un pan de son habit, Madone Noire aux gestes protecteurs universels.

Aya n'aime pas les regards qu'on jette sur son enfant souvent à la dérobée, parfois obstinément, toujours sans pudeur.

Ils ne sont pas corrects, ni amènes, ni francs. Ils puent la désolation, l'envie malsaine et l'appel de la mort.

« Mon fils, ne fais pas attention à ces femmes, elles sont jalouses de notre bonheur !  Le Grignoteur d'Ames est venu chercher leurs petits. Ne crains rien, il ne t'emportera pas. Je fais attention, je te protège, il ne t'aura pas. Pas toi !

« Fort comme le lion...»
A SUIVRE...


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