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John Keats en route pour Bagdad !

Publié le 07 mai 2009 par Perce-Neige
John Keats en route pour Bagdad !Qui faut-il croire, au juste ? L’inénarrable Frédéric Flament, le cigare au bec et l’œil torve, toujours prompt à se présenter sous un jour flatteur quitte à prendre, sans guère paraître avoir jamais beaucoup d’état d’âme, quelques libertés avec la réalité... Ou bien, faussement angélique et pleine de suffisance, Stéphanie Labouré qui, non sans avoir durant, tout de même, quelques années, partagé la vie du romancier, dorénavant n’a pas son pareil - on le sait - pour le descendre en flèche à la moindre occasion, l’envoyer au tapis en moins de temps qu’il ne faut pour le dire et lui briser les reins dans le but, ouvertement revendiqué, de rectifier pour de bon l’image publique qu’il se donne ? Qui faut-il croire… Il nous appartient, encore une fois, sur cette question, de revenir quelques années en arrière. Oui, revenir à l’heure où le monde, terriblement incertain, des réseaux informatiques n’en était encore qu’à ses balbutiements tandis que la seconde guerre du Golfe, fomentée en sous main par des idéologues à la mèche plutôt courte, n’était, alors, rien d’autre qu’une plaisante hypothèse même si, aux yeux de ces allumés du pentagone, c’était, de loin, la plus sérieuse de toutes celles qu’ils passaient nerveusement en revue, tous les matins, en présence du président et de ses conseillers les plus proches. Bref… Chacun se souvient sûrement que, durant les interminables semaines ayant précédé l’inéluctable affrontement des forces du Mal et des forces du Bien, une poignée d’individus farouchement pacifistes, et chevelus en diable, avait, un temps, semblé croire qu’ils pourraient rien moins qu’inverser le cours de l’Histoire. On peut les comprendre… Ils étaient, en effet, miraculeusement parvenus à organiser à travers l’Europe un convoi assez impressionnant d’une petite dizaine d’autocars transportant des illuminés de leur acabit se déclarant, tous, en un bel élan d’enthousiasme, plus que jamais volontaires pour jouer les boucliers humains dans la capitale irakienne convaincus qu’ils allaient, ainsi, rien que par la force de leur volonté, contenir éternellement le déluge de feu que projetait de déverser sur la population de Bagdad tout le gratin du Pentagone. On sait ce qu’il en est advenu. Néanmoins, Frédéric Flament en esprit visionnaire et ostensiblement généreux, n’a cessé d’affirmer, depuis, s’être immédiatement proposé pour se joindre à la troupe déchaînée des « Stolen Child », ainsi qu’ils aimaient à s’appeler entre eux, se référant par là, vaguement, à l’héritage du poète John Keats qu’aucun d’entre eux, rassurons-nous, n’avait jamais vraiment lu. Impeccablement repeints en blanc intégral dans un CAT du nord de la France, les autobus flambants neufs de ces enfants perdus, restés quelques jours à Paris le temps de réunir la somme nécessaire à leur entreprise, avaient, d’abord, rallié Auschwitz, rien que ça, histoire de forcer le trait du symbole historique en multipliant les interviews dans les hebdomadaires et les quotidiens acquis à leur cause, avant de mettre le cap sur Istanbul trois jours plus tard, dernière étape un peu signifiante pour ces militants autoproclamés d’une démocratie laïque et universelle qui avaient profité des rives du Bosphore, tout de même, pour se ravitailler en fruits frais, légumes et diverses nourritures d’inspiration orientale avant de s’élancer, un jeudi matin plutôt frisquet de ce mois de février mémorable, à travers les plaines d’Anatolie pour franchir dans la foulée les sommets enneigés du Kurdistan avant de chauffer la mécanique pour descendre, à toutes berzingue, la vallée de l’Euphrate. Tout un plan de vol soigneusement étudié. Et réellement exaltant avait songé Frédéric Flament qui s’imaginait sans doute, déjà, posant fièrement le nez au vent et le carnet à la main, quasiment sous les bombes, immortalisé par la grâce d’un photographe opportunément présent au moment où le ciel s’assombrirait d’une armada rugissante et terrifiante aux couleurs de l’oncle Sam. Oui, beaucoup d’exaltation, et d’enthousiasme, beaucoup, avait-il écrit dans son journal. Sauf que diverses tracasseries administratives de dernière minute, mais pas piquées des hannetons, avaient, selon lui, eu rapidement raison de tout cela, ce qui ne lui interdirait pas, tout de même, d’écrire, plus tard, ce texte maladroit qui serait, pourtant, le succès de librairie que l’on sait en relatant, de manière à peine romancée, l’extraordinaire aventure des boucliers humains : « Moi, Tony, qui ne craint plus désormais de voir le ciel s’effondrer ! ». Moi, Tony… Peut-être ? « Je me suis glissé dans l’identité de Tony, faute d’avoir pu, moi-même, affronter la sauvagerie des bombardiers alliés… » dira-t-il, candide, à plusieurs reprises, sur toutes les chaînes de télévision du monde libre. Et c’est précisément cette parole posée, et virile, que Stéphanie Labouré avait immédiatement contesté déclenchant, dans la foulée, un début de polémique particulièrement quand le prix Fernand Savouré eût été attribué à ce texte hybride qualifié par son éditeur, non sans malice, de « reportage imaginaire ». Car celle qui, à cette époque-là, vivait encore avec lui, avait toujours affirmé que Frédéric Flament n’avait jamais, mais alors jamais, eu la moindre intention de prendre un risque quelconque à s’embarquer réellement dans un des autocars de l’association. Selon les déclarations qu’elle avait faites dès que des rumeurs eurent commencé circulé dans le milieu littéraire concernant l’existence de ce texte, selon les déclarations qu’elle avait faites, donc, le romancier s’était simplement contenté d’aborder Tony Nice dans un cocktail assez mondain réunissant dans le septième arrondissement, la veille de leur départ, tous ces volontaires qui venaient par l’entremise discrète du quai d’Orsay de recevoir leur visa pour l’Irak. Stéphanie Labouré avait affirmé que Frédéric Flament avait ouvertement proposé un arrangement à l’amiable au le jeune médecin australien, l’un travaillant un texte relatant « l’extraordinaire aventure » que l’autre aurait vécue, et tous deux se partageant, ultérieurement, les substantiels revenus de l’entreprise. Rien, d’ailleurs, que de très banal dans cette triste répartition des tâches, avait-elle coutume d’ajouter. Sauf que ni l’un ni l’autre ne pouvait prévoir, à ce moment-là que Tony Nice finirait son existence, quelques semaines plus tard, dans les décombres ravagées d’un immeuble d’une ville, pourtant de faible importance stratégique, à deux cent kilomètres au nord de Bagdad. Ni que sa mort allait donner une formidable publicité au roman et constituerait, au fond, une très bonne affaire pour Frédéric Flament et son éditeur, lequel avait précieusement conservé le vague contrat sur lequel « ce très cher Tony » avait apposé sa signature, sur le coup de vingt trois heures et des poussières, et après avoir un peu abusé de champagne, et de diverses boissons alcoolisées qu’il avait eu quelque mal à identifier. Qui faut-il croire, donc ? Frédéric Flament ou Stéphanie Labouré qui, dans le même temps et pour diverses raisons plus ou moins futiles, engageait, une procédure de divorce en bonne et due forme. Je serais tenté, pour ma part, de proposer une troisième piste. Une alternative que j’estime tout à fait crédible à ces deux versions. Il se trouve en effet que, dans le cadre de mes activités professionnelles sur lesquelles, par parenthèse, je ne souhaite pas vraiment m’étendre, je me suis longuement entretenu, entre juin et septembre 2005, avec un certain P.M., à l’origine, en vérité, de cette lamentable et sinistre aventure des boucliers humains. Et c’est en l’écoutant raconté sa propre vision de la réalité – nous dînions dans une crêperie près de Saint-Germain - que j’ai commencé à comprendre que Frédéric Flament avait, peut-être, réellement eu l’intention de se joindre aux enfants perdus. Mais pas pour les motivations que l’on croit ! Voilà qui était légèrement embarrassant, au fond. Certes, Frédéric Flament, avait pas mal trinqué dans cette salle en sous-sol, mise à disposition de l’association par la mairie de Paris. Oui, pas mal trinqué. Et pas mal dit de bêtises. Et pas mal raconté d’histoires. Mais pas à Tony Nice, en réalité. Les yeux auxquels il s’était adressé, ce soir-là, étaient ceux d’une jeune journaliste canadienne à qui, peu après sa disparition en avril 2007, il dédicacerait le livre d’entretiens qu’il avait eu avec elle, au bord du Saint-Laurent. « A la mémoire d’E.M à qui je dois beaucoup… ». Et cela, Stéphanie Labouré ne pouvait l’ignorer ! 

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