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“Il faut que la France adopte le capitalisme naturel”: par les auteurs de Facteur 4

Publié le 10 mai 2009 par Dornbusch

J’ai déjà parlé ici d’un ouvrage fondamental “Facteur 4″ . Les auteurs de cet ouvrage, fondateurs du “Rocky Mountain Institut” aux Etats Unis ont publié une tribune dans Le Monde de ce week end “Il faut que la France adopte le capitalisme naturel” d’un intérêt exceptionnel. Je le reproduis ci apres.

“Il faut que la France adopte le capitalisme naturel”: par les auteurs de Facteur 4

“La crise économique actuelle montre les limites d’une approche centrée sur les gains financiers à court terme au détriment de la prospérité à long terme. Le capitalisme traditionnel n’attribue de valeur qu’à deux sortes de capital, l’argent et les biens produits, mais ignore la valeur de deux autres formes de capital, les hommes et la nature. Or utiliser et faire fructifier les quatre types de capital (l’argent, les biens produits, les hommes et la nature) permet aux entreprises de gagner plus d’argent tout en contribuant au bien-être général, présent et futur.

Ce changement d’approche peut passer par l’adoption du “capitalisme naturel” (Natural Capitalism), un concept proposé il y a dix ans par Hunter Lovins, Paul Hawken et l’auteur de ces lignes. La transition vers le capitalisme naturel implique quatre mutations dans nos pratiques industrielles et commerciales :

1. Une augmentation drastique de la productivité des ressources naturelles : réduire le gaspillage qui caractérise les flux de matières premières, depuis leur extraction ou leur récolte jusqu’à la fin de vie des biens de consommation représente une opportunité économique importante. Les entreprises qui repensent fondamentalement la manière dont elles conçoivent leur système d’approvisionnement et leur modèle de production peuvent améliorer la productivité des ressources naturelles qu’elles utilisent 5, 10, voire 100 fois, par rapport à leurs concurrents.

Un projet récent du Rocky Mountain Institute pour une entreprise gérant des centres de données illustre cette idée. Le nouveau centre de données que nous avons conçu consomme 75 % d’électricité en moins, coûte 10 % de moins à construire et bien sûr beaucoup moins en fonctionnement ; il générera plus de revenus par serveur et par unité de surface qu’un centre de données classique. Inauguré en septembre prochain, ce centre permettra à l’entreprise de répondre à la demande de ses clients de manière plus rentable ; il lui servira de modèle pour la rénovation de ses centres existants ; il lui permettra de réduire son empreinte carbone.

2. Une transition vers des modèles de production inspirés par la nature : le capitalisme naturel ne vise pas simplement à réduire les déchets, il propose d’éliminer la notion même de déchets. Cette ambition peut être réalisée par la mise en place des systèmes de production “circulaires”, calqués sur ce qui se fait dans la nature, où tout produit en fin de vie devient un élément nutritif pour l’écosystème, ou pour la fabrication d’un autre produit.

Un bon exemple de ce concept est celui de Patagonia, un des leaders des vêtements de montagne aux Etats-Unis. En 2005, la société a lancé en collaboration avec Teijin, un fabricant japonais de tissus et fibres, un programme qui permet la reprise et le recyclage de ses vêtements en polyester. Ce programme invite les consommateurs à rapporter au magasin leurs vêtements usés. Ceux-ci sont à leur tour tissés en vêtements de qualité identique à ceux fabriqués à partir de la matière première initiale. Les vêtements fabriqués à partir de fibres recyclées économisent 76 % de l’énergie et 71 % des gaz à effet de serre par rapport au cycle de production de vêtements traditionnels.

3. La mise en place de modèles économiques basés sur les services : les modèles économiques traditionnels sont centrés sur la production et la vente de marchandises. Avec le capitalisme naturel, la valeur provient plutôt d’un flux constant de services allant de l’entreprise au consommateur. Un bon exemple de ce modèle est la “servicization” des produits chimiques (chemical servicization), où le fournisseur ne vend pas les produits chimiques eux-mêmes, mais le service qu’ils rendent.

La rémunération du prestataire est alors liée à la quantité et la qualité des services fournis, et non au volume de produits chimiques vendus. Lorsque Raytheon, un des principaux sous-traitants de la défense aux Etats-Unis, a décidé d’adopter ce type de contrat avec le fabriquant de produits chimiques Haas TCM, l’entreprise a réduit ses achats et coûts de gestion de produits chimiques de 30 % à 40 % ; elle a diminué ses déchets chimiques de 85 % ; elle a pratiquement éliminé l’utilisation de solvants et de composés organiques volatils ; elle a économisé 400 000 dollars en coûts de fonctionnement annuels.

4. Un réinvestissement dans le capital naturel : en fin de compte, les entreprises doivent contribuer à restaurer, maintenir, et développer les écosystèmes de la planète afin qu’ils puissent continuer à fournir leurs services essentiels et à maintenir le stock de ressources biologiques irremplaçables. Cette mutation est susceptible de créer d’innombrables opportunités économiques. Par exemple, en 2002, la ville de New York a pu éviter de dépenser 5 milliards de dollars en investissant dans un programme peu coûteux de restauration écologique du bassin versant des Catskills Mountains où la ville s’approvisionne traditionnellement en eau, plutôt que dans la construction d’une nouvelle station d’épuration.

En dépit de ces succès ponctuels, on reste encore loin d’une transformation de notre modèle économique. La plupart des entreprises se comportent toujours comme si les hommes constituaient le facteur de production rare et la nature le facteur de production abondant, à l’image de ce qui était le cas lors de la première révolution industrielle. Or le facteur rare a changé depuis le XVIIIe siècle : de nos jours, les hommes ne sont pas rares, mais la nature l’est devenue. Ce changement de paradigme s’observe en priorité dans les secteurs qui dépendent directement de la bonne santé des écosystèmes.

On voit par exemple l’industrie de la pêche contrainte désormais par le nombre de poissons plutôt que par la capacité des bateaux, comme l’illustre actuellement la crise des quotas de pêche. Contrairement à ce qui était le cas pour les facteurs traditionnels de la production industrielle, le capital et la main-d’oeuvre, les facteurs écologiques et biologiques limitatifs ne peuvent être substitués l’un à l’autre. Ainsi, il n’existe pas de technologie ou d’investissements qui puissent se substituer à un climat stable ou à une biosphère productive.

Le capitalisme naturel s’attaque à ces problèmes en réconciliant les objectifs économiques et écologiques. La France a une occasion unique d’adopter ce nouveau modèle. La capacité de ce pays à mettre sur le marché des innovations aussi intéressantes que le Vélib’, couplée à certaines interventions intelligentes du gouvernement telles que le bonus-malus (un concept que nous avions inventé au début des années 1970) montrent un esprit de projet et un pragmatisme certain dans sa mise en oeuvre.

En mariant sa longue tradition d’innovation et de prouesses techniques, avec son intention plus récente de concilier économie et environnement (dont avait semble-t-il témoigné le Grenelle de l’environnement), la France peut devenir le chef de file dans l’adoption du capitalisme naturel. Ainsi renforcerait-elle considérablement la compétitivité de son économie, la prospérité de ses habitants et la sécurité de son appareil productif. Elle contribuerait de manière décisive à la sauvegarde d’une planète vivable pour l’espèce humaine.


Amory Lovins est cofondateur, président et directeur scientifique du Rocky Mountain Institute, centre de recherche américain sur l’énergie.

Lionel Bony est directeur au Rocky Mountain Institute


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