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HADOPI : Un « enfumage » en règle

Publié le 13 mai 2009 par Dominique Lemoine @lemoinedo

Personne ne conteste que le droit d’auteur doive être préservé, protégé. Le malheur est que la loi HADOPI n’est pas une loi sur le droit de propriété mais une loi sur les libertés.
Il est pour le moins dommage que de très grands artistes dont le talent s’est exercé également pour la défense des libertés aient cru un instant au tapage médiatique instauré par l’UMP pour faire passer des dispositions que même la Chine n’a pas oser mettre en place et espérer qu’ils se soient laisser convaincre par Pierre Charon.

Revenons à la réalité

Tout d’abord, il me paraît indispensable de rappeler que la reconnaissance d’un droit à faire des copies privées existe. L‘article L.122‐5 du Code de la propriété intellectuelle, tel qu’il a été modifié par la loi du 1er août 2006, le reconnaît expressément en excluant qu’un auteur puisse interdire les représentations privées et gratuites des oeuvres et leur copie ou reproduction à des fins strictement réservées à l’usage privé.

Je voudrais également rappeler que le peer to peer n’est – tout comme en son temps le magnétoscope – qu’une technologie d’accès à l’information, qui plus est qui sert à beaucoup d’autres choses qu’à l’échange de fichiers piratés. C’est surtout une technologie en voie d’obsolescence quant à justement cet usage frauduleux, ce que le gouvernement ne peut ignorer au regard des études les plus sérieuses qui aujourd’hui démontrent que les chiffres du piratage utilisant ces technologies sont ridicules au regard des autres méthodes existantes.

Bref, notre quarteron d’artistes, tout comme la loi, arrive comme souvent, et comme la cavalerie, après la bataille. L’essentiel des utilisateurs frauduleux étant déjà passé à autre chose. Et cet acharnement est d’autant plus honteux, que le peer to peer ‐ dès lors qu’il ne sert qu’aux échanges dans le cercle privé, n’est pas illégal, d’autant plus que c’est justement ce droit au téléchargement que consacre et légitime la taxation des supports. Il faudrait savoir ce que l’on veut !

En effet, souvenez‐vous, c’est désormais ainsi que les copies privées sonores et audiovisuelles sont rémunérées. Depuis le 1er janvier 2009, les baladeurs, multimédias, disques durs externes, standards, téléphones mobiles multimédias doivent être déclarés à SORECOP en application des dispositions de l’article L.311‐5 du Code de la Propriété Intellectuelle. C’est une commission indépendante créée par la loi qui définit les supports assujettis à rémunération, cette rémunération variant en fonction du type de support et de la capacité d’enregistrement en application de l’article L.311‐4 du Code de la Propriété Intellectuelle. On rappellera que selon les derniers chiffres communiqués, la SORECOP a ainsi perçu 82 millions d’euros, hors frais de gestion, en 2006, à raison de 50 % pour le collège des auteurs, 25 % pour le collège des artistes interprètes et 25 % pour le collège des producteurs.

De deux choses l’une, soit les échanges d’oeuvres de l’esprit sous format numérique sont interdits, et dans ce cas, la taxation sur le copie privée n’a plus de sens, soit ils sont autorisés et la différence entre copie privée et autre type de copie apparaît comme pour le moins ténue, du moins difficilement démontrable.

Si le développement de la copie privée, notamment dans le domaine musical, est tel qu’il convient de renforcer la taxation, pourquoi pas. Encore faudrait‐il qu’il ne s’agisse pas d’une évolution en profondeur de la société à laquelle il serait bien préférable de s’adapter. Mais ce n’est évidemment pas sur ce terrain que s’est placé le débat.

Fliquer les usages d’Internet, cet objectif peu avouable du gouvernement

L’objectif du gouvernement est en réalité d’introduire un véritable flicage des usages d’Internet qui, tout en faisant faire à notre pays un immense bond en arrière technologique, est de surcroît impossible à mettre en place techniquement de façon honnête et efficace.

Ce flicage repose en effet sur des postulats d’ores et déjà caducs (notamment l’usage de l’IP comme identifiant du fraudeur ou encore le passage des transactions frauduleuses par l’ADSL), ce que le gouvernement ne peut ignorer, ayant eu entre les mains le rapport du conseil général des technologies de l’information1. A l’heure du wimax et de la démocratisation des accès satellitaires tout cela ferait sourire si l’on ne risquait pas de très fortement porter atteinte aux libertés individuelles de nos concitoyens.
En effet, rien n’est plus facile que d’utiliser une adresse IP qui n’est pas la sienne et ainsi un certain nombre de personnes risquent dans le cadre du projet de loi d’être poursuivies alors qu’elles n’y sont pour rien.

En second lieu, et toujours sur le plan technique, le téléchargement dit illégal est particulièrement difficile à détecter. Il suffit de télécharger les données par paquets puis les reclasser pour rendre extrêmement difficile la recherche et la reconnaissance des téléchargements dit illégaux.

1 Le rapport est téléchargeable, au format pdf, à l’adresse suivante :
http://www.lesechos.fr/medias/2009/0304//300333937.pdf

Un texte décidément très inquiétant du point de vue des libertés publiques

Ainsi sur le plan technique le texte n’est absolument pas convaincant, il l’est certainement encore beaucoup moins au niveau des libertés publiques et ce à deux niveaux.

D’une part, en privant les citoyens poursuivis d’accès à un juge, le texte viole délibérément la Constitution française, la Convention Européenne des Droits de l’Homme et le pacte signé par la France en 2005 2 qui reconnaît que le droit d’accès est un droit constitutionnel constitutif d’une liberté publique. Rappelons, juste pour mémoire, le texte de l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui parle de lui‐même : « Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi. ».
On observera, du reste, que le Parlement Européen vient de voter exactement le contraire ce qui, dès maintenant, rend de toute façon la loi future française incompatible avec les textes communautaires.

L’accès à un juge est un droit fondamental et il va de soi que si le Conseil Constitutionnel en venait à valider un système qui prive les citoyens d’accéder aux juges pour se voir priver d’une liberté constitutionnelle, le système juridique dans lequel nous vivons en serait bien évidemment changé.

Mais surtout et c’est dans doute là le plus grave, la loi HADOPI s’inscrit dans la politique menée par le Gouvernement depuis deux ans qui vise à instaurer en France une société de surveillance avancée.

Il va de soi en effet que pour pouvoir poursuivre les « délinquants » potentiels, la surveillance de tous les téléchargements va devoir s’exercer. Cette surveillance rejoint la politique de fichiers, d’une part, le projet « Hérisson », d’autre part, qui vise, sous couvert de défense nationale à organiser la surveillance totale du réseau Internet.

Mais, en inversant la charge de la preuve, le projet de loi imagine que les citoyens qui voudront prouver leur bonne foi pourront le faire de manière très simple en acceptant d’intégrer dans leur ordinateur un logiciel prévu à cet effet. Ce qui revient purement et simplement à surveiller en permanence les téléchargements auxquels ils procèderont.
Même la Chine n’a pas osé le faire !

Le sage montre la lune et l’imbécile regarde le doigt, un adage qui se confirme, encore une fois.

En mettant en avant la baisse des ventes de disques qui a commencé bien avant Internet évidemment et qui correspond à une évolution des moeurs et de la société et les conséquences financières que cela pouvait avoir pour les auteurs, le gouvernement a ainsi occulté le vrai sujet de cette loi : l’atteinte aux libertés publiques.

2 Déclaration des Commissaires à la protection des données et à la vie privée réunis à Montreux lors de leur
27e Conférence internationale (14 au 16 septembre 2005) : http://www.libertysecurity.org/article710.html


Si la seule question est celle de la rémunération des oeuvres ou de l’esprit, il suffisait très simplement de revoir les textes existants et d’augmenter les taxes relatives aux copies privées. Mais, une telle solution aurait eu pour le gouvernement un double inconvénient, augmenter les taxes ce qui est évidemment contraire à la philosophie et au conservatisme des entreprises dominantes et d’autre part, exclure la mise en place de la surveillance du réseau Internet qui est le véritable objectif de cette loi.

Corinne Lepage

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