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Saga Africa.

Par Mélina Loupia
La dernière fois que j’y suis allée, Jérémy avait l’âge de faire sa feignasse dans la poussette canne, très peu adaptée au relief accidenté des pistes de plaine africaine. En plus, ça nous avait coûté la peau des rouleaux et le seul lion qu’on avait aperçu, il avait la crinière à moitié pelée et à 150 mètres, tu vois rien d’autre qu’un gros matou endormi qui fait prendre un peu l’air à ses testicules.   13 ans, 20% d’inflation, un lendemain de soirée un peu appuyée, deux enfants et Copilote secrétaire du C.E du pays où on est bien chez soi, bien moins cher plus tard, il est 10h01 quand on débarque de Troicencette un peu à la bourre. Le comité d’accueil est déjà là, tous n’ont pas fait une grillade entre villageois la veille.   La file d’attente des derniers touristes qui traînent encore dans le Narbonnais est déjà longue et l’espagnol toujours aussi discret. L’adjointe de copilote nous annonce la couleur d’entrée de jeu. « Y a un schmoll, faut aller à la caisse, quand ils disent dans le prospectus qu’une visite commentée en bus est comprise dans le forfait Safari, ils disent pas qu’ils pensent qu’on a notre propre bus. -Super. »   Pendant que nos Gentils Organisateurs négocient la menace de la fermeture du parc, les conjoints et enfants, nous cuisons au soleil, aux couleurs de l’été indien.   Alors que la cuisson est à point, une petite boule de nerfs aussi haute que large avance vers nous au pas de charge et hurle. « Bon, mon bus n’a que 16 places, vous vous formez en deux groupes, j’amène les premiers sur le parking, ils attendent une heure pendant que je balade les autres. » L’étau qui me comprime le crâne se resserre net. « Bien mon colonel, je reste là avec mes enfants, c’est mon mari qui est à l’accueil, j’aimerais autant partager la visite avec lui. -Comme vous voudrez, m’en faut 4 autres alors. »   Une des bergères du zoo nous rabat dans un petit coin à l’abri des touristes en attendant que le colonel vienne nous chercher. Je monte à l’avant avec Copilote et Arnaud, Nicolas et Jérémy se collent au fond du bus, comme de bons collégiens. Notre super guide est devant nous et  se met en mode lecture, nous fait un rapide, très rapide historique de la réserve et nous explique en accéléré la visite qu’elle va nous commenter. Arnaud se crispe contre moi. « Elle crie et elle m’ennuie, mais qu’est-ce qu’on fait dans ce bus pourri qui pue ? » Et on démarre.   « Je vous préviens, on attaque la partie vitre fermées, les autruches sont super agressives, c’est leur propre reflet sur les carrosseries qui les rend dingues, surtout les mâles. -Maman j’ai peur. »   En effet, l’autruche énervée, ça vaut le détour et ça donne pas franchement envie de lui taper la causette. On traverse un casse-patte, petit pont en rondins métalliques qui empêchent les animaux de se faire la belle, une autre barrière électrifiée pour éviter que les ours aillent s’inviter à la cafeteria et la visite continue, avec l’ampli humain dont nous apprenons vite que guide, c’est pas vraiment sa formation. « Je suis une soigneuse, pas une guide, mais comme y a eu un léger malentendu avec votre groupe, je m’y colle. -On s’en serait pas doutés. -Maman, on va se faire manger par les ours, je veux partir, non je veux rester, non je veux faire demi-tour. -C’est pas papa qui conduit, ne regarde pas, reste contre moi, mais tu rates plein de trucs géniaux à raconter aux copains. -J’ai pas de copains. »   Au fil de la visite à 18 dans un bus non climatisé avec 28 degrés à 10h du matin, tout le monde se détend, y compris notre muézine. Elle nous apprend les pratiques sexuelles des bœufs Watussi, dont le célèbre Flehmen, qui captivent tout le monde. « La femelle urine, le mâle y goûte pour voir si elle veut bien et il lui fait son plus beau sourire.  -On fait pareil avec l’anisette, surtout le vendeur meuble. -C’est qui ? -Vous le verrez dans l’autre groupe. -A quoi je le reconnaîtrai ? -A son sourire. »   On passe rapidement sur les ours, les girafes et on arrive aux lions. Arnaud est au bord des convulsions. Le bus s’immobilise à deux mètres d’une meute au repos sous les arbres. Quelques femelles alanguies nous toisent. Au centre, un mâle plutôt jeune  nous fixe, de ses pupilles dorées de plus en plus dilatées. Il semble particulièrement intéressé par un du dépôt. En un quart de seconde, la masse se soulève et fond vers nous, au moment où on pensait tous faire de l’huile pour dorer nos propres côtelettes. Super soigneuse donne un coup d’accélérateur et une patrouille surgit dans son utilitaire défoncé, fusil en l’air à la main. Le gros chaton se calme tout de suite et remonte faire le malin avec ses copines.   « On aurait voulu le faire exprès qu’on aurait pas fait mieux. -On peut rapidement se casser d’ici madame ? »   Elle termine son cours magistral de zoologie et nous dépose sur le parking, à l’entrée du parc pédestre. C’est l’heure de l’apéro et ça sent bon la frite du côté des boutiques.   En attendant le reste du groupe, et alors que j’arrive à peine à calmer Arnaud, Jérémy et Nicolas déboulent. « Génial, on est allés voir le vivarium vite fait, les alligators sont monstrueux. -Maman je veux partir d’ici tout de suite. » Le vendeur meuble, qui s’est fait vanner par la zoologue tout le trajet débarque enfin avec dans son sac à dos un litre d’anisette. Pendant que les serveuses se prennent la tête entre elles pour savoir qui prend quelle table et si y a 14 ou 15 menus enfants, les hommes, les vrais, dénigrent le kir de bienvenue et s’abreuvent sur la terrasse, à l’ombre du parasol en toile. Le vin du coin est léger mais avec le cagnard ambiant, un verre et tout le monde pèse 10 tonnes à la fin du repas. Les mômes ont disparu dans l’enclos des chèvres naines et trouvent super marrant de caresser le bouc. Je songe à monter l’air conditionné à fond au retour et à tremper les enfants habillés dans du détergent en rentrant et tout le monde traîne les tongs vers le parc à pied. Les éléphants se trompent énormément de sens et nous offrent leurs postérieurs plus ridés que la face de Jeanne Moreau au réveil alors qu’un âne de Somalie succombe aux charmes de mes caresses et me montre combien il est ému de ma visite.   On attend patiemment que le vendeur cuisine dépose le bilan avec femme et enfant et le groupe s’ébranle vers le vivarium tant redouté par Arnaud. C’est quand je me retrouve nez à nez avec un tas de pythons anesthésiés que je réalise vraiment que la cage en est pleine. Arnaud est sur mon dos. « Mais c’est un vrai ? -Oui mais bon, en même temps, là, il dort. -Oué, il a dû manger un petit garçon à midi, tu risques rien. -Jérémy ? -Oui maman ? -C’est pas le moment là. » Juste à côté, pour détendre tout le monde, une colonie de suricates nous fait son spectacle. « Oh mais ça existe en vrai alors ? -Oui, c’est mimi hein ? -Super, maman, c’est vraiment super ici et je veux bien aller voir les lions finalement, mais pas avec la dame. »   Je déambule vaguement entre les alligators amorphes, les tortues bosselées et les iguanes verts pris en flagrant délit de sieste corse et j’entends qu’on me cherche. Je sors du vivarium et Copilote me fait de grands gestes. « Vous étiez où putain ça fait 15 jours qu’on vous cherche pour boire un coup. »   Après avoir largement payé les salaires du parc entier, désaltéré et cuit comme des légumes vapeur, le groupe de jeunes vendeurs dynamiques et leurs petites familles descend vers l’étang de l’œil de Ca. « Tu sais pourquoi les flamands roses sont roses ? -Nan, parce que c’est toutes des filles ? -Non, c’est parce qu’ils mangent exclusivement des crevettes. -Alors si je mange que des carottes je serai roux ? -Non, tu seras plus aimable. »   Les girafes se font des papouilles pendant que j’observe un bien plus étrange balai orchestré par les vendeurs mâles de la troupe. Ils sont tous assis en rang d’oignon en face d’un troupeau d’andalouses qui exécute des étirements pour tenter de caresser le nez des demoiselles aux longs cous. Comme j’ai vite remarqué que ces dindes peroxydées portaient le short ras la salle de jeu, je décide de me payer le spectacle également. « Ca va les garçons ? Fait chaud hein ? -Quoi, on est nase, on attend notre tour pour caresser le cou de la girafe. -Caresser le cul de la pétasse plutôt, vas-y, t’as pas pris espagnol en deuxième langue en 4ème. »   Quand le troupeau est calmé, il nous reste moins d’une heure pour achever le périple. Après le parc aux cochons nains qui puent la mort dans un nuage de poussière, tout le monde s’agglutine autour des porcs-épics. Un effluve nauséabond en chassant un autre, c’est en pleine séance scatophile que nous tombons. En effet, ces Mikados sur pattes s’adonnent également aux plaisirs des préliminaires amoureux et il semblerait que celui qui fait le plus beau caca ou le pipi le plus odorant gagne. En cas d’ex-æquo, y a baston d’épines. Et ça rigole pas, ça se dresse en roue de baguettes acérées et ça fait des pas de côtés, histoire de bien transpercer l’adversaire. Après quoi, soudain, tout le monde court se planquer dans les chambres. « Ah, c’est l’heure de la partouze. -Maman, mais ils font quoi là ? -Ils jouent au docteur, ils analysent leurs cacas et leurs pipis pour voir s’ils sont pas malades. -Mais non, c’est la parade amoureuse, là, ils vont s’accoupler. -Ah tiens, ça y est. -Ebé, tout ça pour une minuscule merguez et un coït de 12 secondes. -Oh, j’en connais qui ont fait moins. -T’es pas contente ? On a deux mômes. »   Une petite visite aux mouflons corses qui ne font exceptionnellement pas la sieste, une tentative de comptage de rayures des zèbres, un rapide coucou aux aras et c’est l’heure d’aller voir le guépard et les lycaons se faire servir leur 4 heures. Le félin le plus rapide de la savane est couché sur le flan et dépèce peinard un poulet, sous le crâne pelé d’un ibis et de l’autre côté, les hyènes se marrent.   On se rassemble, on avale deux litres d’eau par famille, on refait l’appel et tout le monde s’embrasse, à la prochaine, c’était vraiment extra, super, tout bien, que le C.E cette année, il fait les choses en grand et tant pis pour les autres employés qu’ont pas voulu prendre leurs voitures ou n’ont tout simplement pas prévenu qu’ils viendraient pas que c’était pas la peine de les attendre. Les autres, ils taperont dans leurs plans épargne pour s’offrir la super journée qu’on a passée.   Aujourd’hui, entre 10h01 et 17h24, c’était ma Saga Africa.

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