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Voyage en Italie

Publié le 14 mai 2009 par Thywanek
Voyage en Italie
Je mentais. Tu savais. Je ne disais pas des mensonges. C'est différent. Je ne disais pas la vérité. Je racontais une histoire jusqu'à ce qu'elle n'ait plus d'autre possibilité que de devenir vraie. Alors ça devenait la vérité. Et tu n'aurais plus eu qu'à y entrer. Et ça aurait été Florence, Firenze, qui est belle sans qu'elle ait besoin que ce soit vrai. Pourtant c'est vrai.
Florence. Aux pieds et au front de poussière. Firenze aux grâces échappées au cordeau méticuleux des muséificateurs. Florence qui se lave et s'en fout des chevaux de ses siècles qui ont poudré ses basques et transpiré sur ses noblesses. Firenze la Toscane, et si tu te frottes de trop près à sa pierre ou à ses beautés, ce sera pareil, tu repartiras avec un peu de cette crasse sublime dont les Médicis maquillait peut-être leurs crimes. Dont les Pitti ont fardé leur haine avant de mourir assassinés.
Pitti. Le Palazzo. Les quatre grandes salles, au début. Peintes intérieur extérieur. Des murs ouverts sur des olympes entre des piliers de temple et sous des balustrades de théâtre. Tout est lisse. Tout est plat. Mais non. On nous trompe l'oeil. Un enfant accroupi derrière une balustrade. Regard malicieux. Joue avec la chaîne qui entrave un petit singe. Un autre, plus tard, observe tout d'en haut avec une longue vue. Tout est aussi vrai. Monde outside. Les dieux du monde. Les seuls qui vaillent. Pas cette chose unique imposée par l’obsession de vieilles tribus égarées. Le mythe multiple et foisonnant. Etourdissantes magnificences. S’y laisser enfermer en apprenant à en sortir par la voix des esprits qui couvre les murs.
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Le Duomo. Le dôme. Santa Maria del Fiore. Le dôme. Le Duomo. La coupe du ciel renversée sur nos têtes. Prodige par ailleurs d'architecture. Le jugement dernier qui nous menace des quatre points cardinaux. Grimper jusqu'en haut. Quelle illusion. Gravir les escaliers labyrinthiques qui mènent jusqu'au sommet. Ce trou coiffé d'un savant et élégant chignon de marbre qui semble dépasser le plus haut des cieux. Le juge ment en dernier. Oui. Le non croyant que je suis pense : « Heureusement que Dieu n'existe pas. » Le croyant doit se dire : « Heureusement que Dieu existe. » Ou « Heureusement que ce n'est pas exactement comme ça. » Ou, en voyant les âmes harcelées dans les enfers : « Bien fait pour eux ! » Ou en contemplant le paradis : « Est-ce que j'y serais ? »
Je vais plus tard pouvoir me laisser aller aux dévotions que sont les miennes. Celles qui ne demandent aucun effort à mon émotionnel chronique. Je vois dans un palais Adonis mourant. Pris dans le marbre vivant de Vicenzo de Rossi. Et sa douleur presque bienheureuse de laisser le monde orphelin de ce qu'il va devoir chercher lui-même, jusqu'à sa propre mort sans jamais y parvenir. Tout au plus en effleurant parfois son mythe. En le caressant des yeux avec le sel des larmes. En se consolant peut-être dans la perfection d’une piéta, d’une mise au sépulcre, d’une descente de croix, ou, qui sait, d’une annonciation.
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Terre de Sienne. Sienne terre à l'heureux qui y vit. Je mentirais vraiment si je te dis que je n'ai pas voulu te voir arriver au milieu des cyprès dont le bouquet couche son ombre, le soir, devant ma maison de Toscane d'où l'on voit les couleurs de cette ville fleurir et refleurir dans les chaudes vapeurs de ce mois de mai. Sienne, elle, absoute par le temps. Et moi peut-être trop tard. Mais je te vois arriver quand même. Et je ne sais plus quoi faire de ce que j'avais inventé pour te parler de tout sauf d'amour. Je t'ai demandé d'aller voir la ville avant de venir. Que tu te sois d'abord promener piazza del Campo. Toi, étranger parmi les foules de voyeurs. Puis que tu te sois perdu dans les rues où ils ne vont jamais, à part quelques uns. Que tu aies senti que cette ville t'appartient comme à tout le monde à condition d'être capable de se replier tant et tant qu'on ne puisse plus que souhaiter en être une brique, un réceptacle des lumières dont ses fronts sont polis, usés, dont ses méandres s'embrassent, dont sa profonde nature forme avec charme sa splendeur.
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Voyage en ItalieEt la vérité. Dans cette galerie où les dieux grecs et les empereurs romains gardent les lieux saints de l'art. Des larmes. Oui. Au bord constant desquelles on navigue. On flotte. On tangue. On chavire. Tu chavires je le vois. Le roman douloureux et enchanté de la foi. Les enfants de Niobé. Les yeux intérieurs des Flamands. Les arias des italiens. Je te dis que nous avons perdu la beauté. Tu ne m'entends pas. Je te demande comment avons nous fait pour en arriver à des warholes. Je comprends que tu ne sais pas. Je me demande si une certaine foi, épuisée, d'autres détournées, ensuite, ça n'explique pas en partie cette perte. C’est une langue perdue qu’on tente d’ânonner des yeux en en allant en pèlerinage dans des aquariums aériens où nous pouvons admirer, contempler, retrouver, pour ceux qui savent, tout ce qui nous manque. Pour ceux qui veulent vraiment. Qui ont l’audace encore de la sensibilité éprouvante, de l’émotivité primale. Quitter enfin ces lieux avec le petit sentiment, pincée de poussière, qu’on y laisse un peu de soi, et qu’on en emporte une richesse impérissable. Outre le sens dérisoire d’une révérence devant le jeune Antinoüs qui s’est sacrifié, et dont on a voulu imaginer le visage de l’amant d’Hadrien.
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Voyage en ItalieEt Sienne. Encore. Et je t'aperçois dans les nappes noires qui s'étalent jusqu'aux seuils. Et te voilà d'ici. Comme je t'ai voulu toujours. Je n'en savais pas tout. Pas assez. Presque rien qui te soit utile à toi, dans ces circonstances. Ce que tu habiteras ce ne sera pas cette maison, ni cette ville où je n'habite pas non plus. Pas réellement. Possible que ce soit parce qu'il n'y a rien à faire de moi ici. Ou que si je vivais dans cet endroit, dans ces rues, ou à proximité, dans la voluptueuse campagne environnante, j'en mourrais. D'une de ces façons de mourir qui épargnent le corps, mais jettent dans l'âme un grand arpent de voile pour y escamoter une part du monde auquel on devient alors absent. Définitivement. C'est le sort inévitable lorsqu'on décide de tout inventer jusqu'à ce que quelque chose prenne vie. Que cela émerge du drap couché qui se couvre du liseré noir des pleurs qu'on a su retenir non par pudeur, mais du fait d'une lassitude informulable. Une chute en attente d'éviter le pire. Etre un jour convaincu de s'être trompé en tout. Alors tout se tient là. Dans cette ville aux habitants comblés que sillonnent en aveugles pressés des vagues de bipèdes avec leurs prothèses photographiques. Dans cette ville pas très grande où tu te perds pourtant. Où je me perds également. Etourdis tous les deux par son âme profonde qui va chercher son eau vitale avec génie dans le sein de la terre. Rose immarcescible.
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Et Florence, aussi, encore. Encore un peu. Pour aller déchiffrer les prisonniers de Michel-Ange. Pour aller se tordre le cou, une fois de plus, en élevant les yeux, sur la peau de marbre de David. Se poser dans un coin, sur un banc. A l’écart. Et se laisser s’envoler. Puisque nous ne nous reverrons peut-être jamais. Mais je t’en redirais davantage plus tard. Rien qu’à ce sujet. Rien que pour ça. Pour te mentir de nouveau. Dieu serait un modèle. C’est en cela sans doute que la foi ne m’est d’aucun secours. Je n’ai besoin d’aucun dieu. Ni pour aimer. Ni pour mentir. C’est pour cette raison aussi que je préfère les olympes et les panthéons. Avant de partir je vais m’incliner une dernière fois, piazza Della Signora, devant le vaillant Persée, un glaive dans la main droite et brandissant de l’autre la tête coupée de la Gorgone.
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