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La bar-mitsva de Samuel - Quand roman est synonyme de tordant

Par Maxime Jobin

Livre québécois
Auteur
: David Fitoussi
Note : 8.4/10
Éditeur : Marchand de Feuilles
Parution : 2008
Nombre de pages : 303 pages

Présentation de l'auteur

David Fitoussi est né en France et a grandi dans le quartier Snowdon de Montréal. Il a travaillé en Kibboutz, obtenu un baccalauréat en sciences de l'Université de Montréal, travaillé comme chauffeur de taxi de nuit et comme agent immobilier. Il vit depuis peu en Israël, dans une petite ville aux abords de la Méditerranée où il élève ses quatre enfants.

Commentaire

De la France, pays plutôt fade, au Québec, petite province futile et encore plus inintéressante : voici la vision qu’a Samuel, un juif en pleine adolescence, de son émigration au Canada. Dans La bar-mitsva de Samuel, il nous raconte, à la première personne, le choc culturel provoqué par l’accent des gens d’ici  - « Une chose était certaine : l’accent québécois étant déjà sexuellement inhibant, j’imaginais son effet sur la littérature française...» et décrit son premier hiver québécois, puis sa découverte, « un beau matin »,  d’un climat qui « n’était plus synonyme d’amputation des orteils.» Mais l’histoire de Samuel n’est pas qu’anecdotes sur les aléas de l’émigration. Elle tourne surtout autour  de sa vie pénible avec sa mère, son bon à rien de beau-père, sa sœur et son frère et autour de la découverte de son corps et de sa sexualité. On devine rapidement un jeune vide d’espoir, complètement blasé. Sa réalité, dur, violente, est tissée par l’absence d’amour maternel, mais aussi par un important désir de retrouver son père, toujours en France.  Commencera le décompte des jours et des heures restants avant sa bar-mitsva, puis, à travers ses cours d’hébreu et des périodes intensives de masturbation, il devra déjouer les mensonges et l’hypocrisie de sa mère afin d’obtenir l’adresse de son père. Une adresse qui lui permettrait de contacter celui qu’il n’a pas vu depuis des années, et qui, sait-on jamais, pourrait réaliser son seul désir : être présent à sa fête de 13 ans.
« Ce que je savais […] c’était que mes parents avaient chacun l’intime conviction de s’être marié avec la pire personne qui puisse exister sur la planète. C’est une incroyable coïncidence, quand on y pense.» Voici les premières phrases qui donnent le ton au roman, suite sans fin de réflexions du genre, ironiques et drôles à souhait. Et, devant l’humeur et la vision pessimiste de Samuel, cet ingrédient était essentiel à la survie du texte. Râleur,  égoïste, pervers, le personnage principal est loin de l’enfant modèle. Il martyrise sa sœur à l’aide de son père et juge que tous ceux qui l’entourent sont des idiots. Certains chapitres font réagir, en particulier celui où il raconte un des rares voyages qu’il a fait avec son père et lors duquel  « rien n’y faisait, même les coups sur [le] crâne [de sa sœur] pour l’assommer étaient sans effet». Mais, à l’avant, toujours cet humour, qui vous saisit et vous fait oublier le récit révolté et révoltant que vous lisez. Si j’ai enchâssé autant d’extraits et de citations de l’œuvre dans ma critique, ce n’est pas le fruit de hasard : même en les retranscrivant je pouffais de rire.
Un autre bon point pour celui qui a mit au monde La bar-mitsva de Samuel  est qu’il  réussit à narrer une histoire plutôt banale en donnant l’impression au lecteur de lire une aventure. Voila qui me fait penser au roman d’un auteur expérimenté plutôt qu’à une première publication. Autre chose : le narrateur  étant un enfant, on aurait pu croire que cela se serait répercuté sur le style et les mots choisis. Je m’attendais en fait à lire un deuxième La vie devant soi, avec son style propre, mais, malgré une trame de fond analogue à celle du roman de Romain Gary, j’ai trouvé autre chose dans celui de David Fitoussi.  Le style  utilisé, cinglant et hautain,  sied plutôt bien à Samuel, qui se dit adulte avant l’heure et qui regarde de haut ses amis et sa famille. D’ailleurs, le fait de mettre à l’avant-scène un enfant légèrement prétentieux  m’a semblé donner beaucoup de pouvoir à l’auteur, en créant des ouvertures pour lancer des réflexions humoristiques qui n’auraient jamais pu être écrites dans le cas contraire. C’était là une autre idée brillante de M. Fitoussi.
Vous comprenez donc que je vous conseille ardemment la lecture de ce roman québécois. À la fois loin des courants actuels par son contenu, et près par son style, La bar-mitsva de Samuel  vous fera rire aux larmes… et si ce n’est pas le cas, j’en mange mon chapeau! (Si seulement j’en avais un…)

Quatrième de couverture

Récit déconstruisant le mythe de la mère juive sur fond d'un Montréal cosmopolite, d'intégration grinçante, d'hivers funestes, de quête identitaire, La bar-mitsva de Samuel évoque avec humour la quête d'un père absent. Samuel, jeune juif français de la banlieue nord de Paris, émigre au Québec à l'orée de son adolescence à la fin des années 1970. Sous l'apparence d'un enfant passif, dépassé, dépossédé d'un destin qu'il ne maîtrise pas, il prend patiemment conscience de sa propre existence, de la brutalité de la vie et de la bêtise humaine. L'histoire de Samuel s'enracine dans l'univers familier de son école secondaire, des repas hasardeux en famille, de la préparation de sa bar-mitsva, de ses courtes vacances à la campagne et du choc des cultures.

Citations et extraits
« Mes parents avaient une vie plus colorée, plus captivante. Ils […] s’envoyaient des lettres d’injures en découpant les lettres de l’alphabet dans les journaux pour en accentuer l’effet, et personne ne pouvait le leur reprocher, un divorce doit toujours être justifié. Ils observaient cependant une trêve à la fête de Kippour. Ils priaient pour gagner leur procès ou pour le décès prématuré de l’autre.»
« Elle me regarda avec l’expression d’une mère qui désire abandonner ses enfants. J’étais trop grand, trop difficile pour qu’elle envisage de me noyer dans la baignoire.»
« Ma mère n’avait pas le sens de l’orientation. Dans son esprit, si le Québec n’était pas à côté de la mer, c’était forcément pas très loin de Paris. Ce n’était déjà pas si mal pour quelqu’un qui croyait que la vitesse de la lumière est le temps qui sépare le jour de la nuit.»
« Ce projet allait devenir la loi 101. Pour nous, petite famille française, c’était plutôt encourageant; nous pensions qu’avec une telle loi, les Québécois parleraient finalement le français.»
« Les Italiens mangeaient fièrement de la pizza, les Français des cuisses de grenouille, les Japonais du poisson cru, les vieilles de la purée, les Chinois des ragoûts de chow-chow, les Américains mangeaient beaucoup, les Éthiopiens ne mangeaient rien, chacun n’avait rien à y redire.»
« Les gens heureux sont généralement idiots. Ils passent leur temps à s’extasier de bonheur sans recourir aux drogues et à l’alcool, c’est forcément anormal.»
« Pour un juif, faire sa bar-mitsva, c’est un peu comme être prêtre et tripoter des petits garçons : l’un ne peut aller sans l’autre.»
« Mon père évitait de sortir du véhicule, car ma grand-mère lui avait déjà lancé une marmite remplie d’eau de vaisselle et d’épluchures de carottes. Cela avait été pour elle un rare moment de bonheur […] Je pense même que c’est à ce moment-là que ma grand-mère a appris à ma mère à danser le twist.»
« Pour la première fois de ma vie, j’étais heureux de me faire insulter. Il valait mieux s’y habituer jeune, me disais-je, puisque j’allais sans doute me marier un de ces quatre.»
« Au-delà [des six degrés sous le point de congélation], il devenait physiquement très difficile de réfléchir, sinon peut-être au suicide ou à des vacances en Floride […]. Cependant, au prix que coûtaient des vacances en Floride, je comprenais pourquoi  le Québec avait le taux de suicide chez les jeunes le plus élevé de la planète.»

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Cette critique est aussi publiée sur La Recrue du mois, blogue qui, tous les 15 du mois, fait découvrir le premier roman d'un auteur québécois! Allez y lire les autres critiques de ce livre!


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