J’ai bu tant de canons
Dans ces troquets
Que j’en ai oublié mon nom ;
L’alcool poisseux comblait
Le vide
Qu’elle avait laissé en moi
En s’en allant
Si
Vite.
J’ai pris des cuites chimériques
Dans ces bordels bordant Bordeaux,
Et, dans un bistrot d’Amérique
Je suis resté cloîtré
Quarante jours, autant de nuits,
Le vent cognait aux vitres,
Ivrogne, infâme, famélique,
J’ai claqué tout mon fric
Dans le slibard de deux putains.
Je m’en suis sorti en morceaux.
Quand, de retour en France,
J’ai craché tout mon saoul
Dans les ruelles de Toulon,
Je n’avais plus le sou.
Pendant deux ans, j’ai vécu sous
Les hallebardes de ma peine,
Brocantant mes souliers
Mes hardes, mes livres, mes fredaines
Pour un’ soupe au pistou.
Rares réminiscences
D’un rat urbain.
La folie était proche,
Je l’ai dit,
Je n’avais plus un sou en poche,
Dans une vieille souche
J’ai déniché
Des pensées sèches, faisandées,
Des mots ridés couverts de crasse.
Là, j’ai bu l’illusion livide
Que contiennent les livres,
Mais, sans m’identifier
A ces personnages larvesques
Qui rongent les feuillets de la poésie,
Et de la prose romanesque.
Tous les livres ne sont qu’un livre,
D’une surnuméraire,
Et éphémère humanité,
L’oeuvre de regrets rances et splendides
Qui en mourant
Vivifie notre soif.
J’ai lu l’oeuvre du Monde,
Ce stock de stuc nacré
Des strophes artistiques,
Les rythmes grassouillets
De l’indomptable alexandrin,
La mimésis métisse de l’antiquité ;
Et, les déchets tachés de sang
De Babylone m’ont guidé
Dans la tête de l’art.
Dès lors,
Je n’ai cessé d’écrire
Que pour gommer
Les gammes endormies
Des écrivains crevés,
Qu’on a trop écoutés.