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Du pâté de Cannes, de l’art et du cochon

Publié le 18 mai 2009 par Eric Viennot

Bge2x3002 La conversation a commencé sur Facebook samedi dernier. Un brin provocateur, j’ai mis à jour mon statut :
-   Cannes ??? C'est quoi déjà ? C'était pas l'art du siècle dernier ?
Une grande majorité de mes amis Facebook travaillant dans l’industrie du jeu vidéo (et mes amis du cinéma étant aux abonnés absents, trop occupés à récupérer de leur fête de la veille), le succès était quasi assuré. Jusqu’à ce qu’un certain Eric Huc, concepteur-réalisateur multimédia chez Young & Rubicam, intervienne :
-   Combien de fois avez vous pleuré en faisant un jeu ? (et pas de rage parce que vous étiez bloqué dans un level). Combien de fois au cinéma ? Y-a encore du boulot il me semble...

Ni une ni deux je réponds :
-   Tiens c'est marrant pourquoi Pixar a fait un film en 3D pour l'inauguration ? Ceci dit oui y-a encore du boulot mais où en était le cinéma en 1909 ?
J’aurais pu répliquer en citant un billet d’Erwan Cario datant de l’an 2005 (pfou c’est fou ce que les années passent, hein ?) mais j’ai préféré replacer le débat dans une perspective historique. C’est souvent riche d’enseignement.
A ce sujet, il y a quelques jours, un rédacteur malicieux du blog Gamer's Epicerie  a eu l’idée de reproduire fidèlement un texte célèbre de Georges Duhamel sur le cinéma, datant de 1930, en changeant juste les mots « cinéma » par « jeu vidéo », « gens de métier » par « game designers », etc.... Je vous conseille de le lire. Le parallèle est étonnant.
Mais le Eric Huc est un animal coriace qui ne se laisse pas démonter :
-   En 1909 le cinéma faisait déjà pleurer Eric... le problème est toujours le même : "à qui on parle ?"
Quelques minutes plus tard :
Eric Viennot :
-   Non en 1909 le cinéma était encore un divertissement de foire il me semble. Le cinéma en tant qu'art s'est vraiment constitué à partir des années 10 avec Chaplin, Griffith, Von Stroheim, etc...
Eric Huc :
-   1909, 1910, 1911... mm... ça fait une grosse différence en effet :). je crois que vous avez très bien compris de quoi je parle cher Eric...
On aurait pu continuer comme ça pendant des heures. Mais lui, comme moi, avions des choses plus importantes à faire. J’aurais pu relancer le débat en disant que les jeux vidéo font rêver davantage les gosses d’aujourd’hui que le cinéma. J’ai préféré admettre qu’il n’avait pas entièrement tort (bon sur l’aspect historique je ne suis pas convaincu, car une dizaine d’années peut faire la différence dans la fondation d’un art) en rappelant quand même que les larmes existent aussi dans les jeux vidéo, même si elles restent rares, trop rares :
Eric Viennot :
-   Certains me disent qu'ils ont essuyé une larme à la fin de l'oncle Ernest. Moi c'était à la fin de Shadow of the Colossus. Ceci dit on se comprend oui...
Si j’ai dit « on se comprend » c’est parce qu’il suffit de faire l’état des lieux. Honnêtement, reconnaissons qu’on n’y est pas encore tout à fait. Même si quelques jeux ont tous les attributs selon moi de véritables œuvres artistiques (Ico, Shadow of the Colossus, Flower…) la question artistique n’est pas la préoccupation première des éditeurs, comme cela fut le cas (et comme ça l’est encore heureusement) dans le domaine du cinéma. Rappelez-vous ces producteurs mécènes prêts à se ruiner pour permettre à un réalisateur de poursuivre son œuvre. Le jeu vidéo attend lui ses Joseph Schenk, Irving Thalberg, Anatole Dauman…

De leur côté, les créateurs sont partagés. Si certains se foutent royalement de la question de l’art (pas besoin de rappeler ici les propos récurrents de Miyamoto, assurant depuis des années qu’il n’est qu’un amuseur, ou de manière plus inattendue le point de vue d’Ueda sur la question), d’autres, ici ou là, évoquent de plus en plus souvent le sujet en mettant notamment la quête de l’émotion au centre de leur préoccupation.

Sur ce blog, j’ai toujours pris soin de ne jamais aborder la question de l’art de manière frontale. Ayant lu dans ma jeunesse un certain nombre de textes sur l’esthétique, je sais que c’est un terrain miné, qui nous amène inévitablement à la question piège « qu’est-ce que l’art ? » à laquelle de très grands esprits ont échoué à apporter une théorie entièrement convaincante. A cette question, chacun répond selon son milieu, sa culture, son histoire, sa sensibilité. Mais poser la question à propos du jeu vidéo c’est déjà lui accorder une certaine forme de reconnaissance.  Art ou pas art, peu importe. Posez-vous plutôt la question suivante : si Orson Welles avait 20 ans aujourd’hui, serait-il en train de présenter son premier film à Cannes ou en train d’imaginer son premier jeu vidéo dans son garage ?

PS : pour ceux que la question intéresse, je conseille de lire un dossier complet, publié par Canard PC il y a un an, et auquel j’ai emprunté une partie de mon titre. Du pâté de Cannes au pavé du Canard : la boucle est bouclée ;-).

Illustration : teaser BGE , Ubisoft 2008.


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