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La Chine et la Russie, entre convergences et méfiance

Publié le 22 mai 2009 par Infoguerre

Avant-dernier né de la collection Stratégie et Prospective d’Unicomm, cet ouvrage réalisé par quatre spécialistes de la Chine et de la Russie cherche à analyser les principaux points de convergence ou de divergence qui jalonnent les relations sino-russes depuis la fin de la Guerre Froide. La Chine, puissance régionale montante, et la Russie, puissance mondiale sur le retour, connaissent un développement, « une renaissance sans précédent » de leurs relations aussi bien aux niveaux politique, économique que militaire ou énergétique. De multiples facteurs expliquent ce revirement de situation : l’effondrement de l’Union Soviétique ainsi que l’élargissement de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et de l’Union Européenne du côté russe, l’isolement diplomatique et une rivalité grandissante avec le Japon du côté chinois auxquels vient s’ajouter une inquiétude commune, l’affirmation de la puissance américaine sur la scène internationale.

Double-objectif affiché de cet ouvrage : « recenser les indices de rapprochement entre la Russie et la Chine ainsi que ses limites » et « évaluer les conséquences de ce rapprochement pour les États-Unis et l’Union Européenne » (page 13). 

Le premier chapitre, consacré à la relation bilatérale sino-russe, étudie celle-ci au travers de cinq prismes : politique, militaire, économique, énergétique et démographique. De la signature du partenariat stratégique en 1996 à la conclusion du Traité de bon voisinage, d’amitié et de coopération en 2001, les relations sino-russes se sont développées et une approche commune, une convergence d’intérêts a émergé, que ce soit au niveau des questions de souveraineté (Taiwan / Tchétchénie), des droits de l’homme (principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État), de la politique en Asie Centrale que de la nécessité d’un monde multipolaire (rééquilibrage de l’hyperpuissance américaine par d’autres puissances).  

La relation sino-russe s’est normalisée parallèlement au règlement des différends frontaliers pour aboutir à une véritable coopération dans certains domaines, notamment au niveau militaire où la Chine est le principal client de Moscou. Toutefois, ce partenariat trouve ses limites aussi bien du côté du fournisseur, qui souhaite s’implanter sur de nouveaux marchés (Inde, Moyen-Orient, Amérique Latine), que du côté de l’acheteur qui souhaite diversifier ses sources d’approvisionnement (diversification nécessairement limitée en raison de l’embargo auquel la Chine est soumise). Au niveau économique, les relations commerciales entre la Chine et la Russie demeurent limitées. « Les rapports économiques sino-russes présentent [...] la structure d’une relation de dépendance entre un pays en développement, la Russie, capable surtout d’exporter ses matières premières et un pays développé, la Chine, inondant le marché russe de ses produits manufacturés » (page 75). Autre pilier des relations sino-russes : la coopération énergétique. Celle-ci est néanmoins encore jeune et relativement faible au regard des développements potentiels car elle souffre des difficultés de prix et de coût qui ralentissent la mise en œuvre d’une coopération plus poussée. La Russie tente par ailleurs de mettre en concurrence l’Union européenne et la Chine, ce qui déplait à cette dernière. Que ce soit au niveau militaire ou énergétique, la Russie n’a pas nécessairement intérêt à soutenir la montée en puissance de la Chine et Beijing en retour, ne souhaite pas tout miser sur son seul partenaire russe. De plus, la Chine est membre de l’Organisation Mondiale du Commerce depuis 2002, alors que la Russie, en 2009, attend toujours à la porte. Enfin, la question de l’immigration chinoise en Extrême-Orient russe soulève quelques interrogations pour le Gouvernement moscovite. Toutefois, là encore, est-ce un outil de propagande ou une réelle préoccupation pour la Russie ? 

Le deuxième chapitre porte quant à lui sur l’environnement commun de la Chine et de la Russie et notamment sur la création, en 2001, de l’Organisation de Coopération de Shanghai (établie sur la base du Groupe de Shanghai). La Chine et la Russie cherchent avant tout à contrecarrer l’influence américaine en Asie Centrale et à se faire les chantres de la multipolarité. Dans les « notables convergences » sino-russes, nous pouvons signaler l’instrumentalisation similaire qu’elles ont faite de la lutte contre le terrorisme au lendemain des événements du 11 septembre afin de satisfaire certains de leurs objectifs domestiques. Quid du triangle Russie – Chine – Inde ? Une idée russe, à l’évidence, créée pour servir ses intérêts. « La question est de savoir si ce triangle peut aller plus loin, et favoriser une réelle convergence stratégique eurasiatique, à l’insu des États-Unis » (page 137).  

Les grandes questions internationales et les positions sino-russes sont traitées dans un troisième chapitre. Quatre questions ont été retenues : le désarmement, la non-prolifération, le Kosovo et le réchauffement climatique. La maîtrise des armements et le désarmement présentent une communauté d’intérêts limitée pour la Russie et la Chine, principalement en raison de l’asymétrie durable qui existe entre leurs arsenaux stratégiques. D’un côté, la Russie cherche à maintenir une forme de parité avec les États-Unis, de l’autre, la Chine cherche à empêcher la mise en place d’une course aux armements avec ces derniers. La question du Kosovo souligne le soutien mutuel que la Russie et la Chine se sont apportées sur les enjeux séparatistes. Néanmoins, la Chine est de plus en plus attentiste sur ce sujet et sa position pourrait quelque peu évoluer et devenir ainsi la « marque du degré de solidarité » sino-russe. Au niveau environnemental, il n’existe pas de véritable concertation entre Moscou et Beijing. Selon le Protocole de Kyoto, la Russie est un pays développé alors que la Chine est un pays en développement, de ce fait, les intérêts des deux capitales divergent nettement. 

L’impact des relations sino-russes sur les États-Unis et l’Europe est abordé dans le quatrième et dernier chapitre. Les auteurs tentent d’apporter une réponse à la question suivante : « comment les États-Unis et l’Union Européenne pensent-ils pouvoir gérer ces différences d’appréciation ainsi que leur traduction politique ? » (Page 16). Ils reviennent ainsi sur l’intégration progressive de cette nouvelle donne stratégique dans les politiques respectives des États-Unis et de l’Europe en proposant une analyse succincte des évolutions récentes de la relation sino-russe vue de part et d’autre de l’Atlantique et des répercussions sur leur propre politique. 

Les auteurs concluent sur l’importance finalement relative de la relation sino-russe dans l’après Guerre Froide puisque bien que caractérisées par « de notables convergences », elle reste circonscrite en raison de « multiples méfiances » qui perdurent. Entre rivalités sourdes, concurrence et logique de puissance, les relations sino-russes ne sont pas exemptes de tensions. Qui plus est, « le facteur occidental occupe une place permanente dans la définition des relations sino-russes » (page 52), c’est pourquoi celles-ci pourraient être détrônées par la reprise des rapports sino-indiens et la création d’une « Chindia » fondée sur une concurrence/coopération des deux nouvelles puissances économiques les plus peuplées de la planète.   

Avantage et inconvénient de cet ouvrage : le nombre important de thèmes abordés et le caractère parfois succinct accordé aux développements et aux analyses, faiblesse cependant compensée par une bibliographie conséquente. Une dernière remarque : l’absence de démarche prospective, l’analyse développée par les chercheurs s’arrêtant à la fin de l’ère Poutine. 

FRE 

A lire également, du même éditeur : La Russie, de Poutine à Medvedev

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