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“Je serai sans pitié…” mais surtout pas impartiale

Publié le 24 mai 2009 par Petiterepublique

titre_policiers_300_183Au regard de la couverture médiatique quasiment exhaustive du fait divers qui s’est déroulé à la Coureneuve, personne ne sera passé à côté de cette déclaration tonitruante et déplacée faite par Michèle Alliot-Marie le 5 mai dernier: « je serai sans pitié à l’égard des trafiquants et de ceux qui se sont permis d’attaquer des policiers ». À l’évidence, derrière ce dérapage verbal il y a un calcul certain et une volonté démagogique puissante de stigmatiser encore un peu plus les quartiers populaires. En contrepoint de cela, la parole du ministre de l’intérieur sera parfaitement inexistante pour ce qui concerne le dernier rapport publié par Amnesty International intitulé France, des policiers au-dessus des lois [1].

À l’origine des propos tenus par Michèle Alliot-Marie, il y a un fait divers qui aura vu les forces de l’ordre faire l’objet d’un assaut mené par des individus qui n’ont pas hésité à faire feu sur un véhicule de police qui transportait deux gardés à vue. L’arme employée serait apparentée à un fusil d’assaut de type Kalachnikov, ce qui confère à cet événement une dimension aussi rare qu’exceptionnelle. Miraculeusement aucune victime n’est à déplorée. Ni policiers, ni passants,ni délinquants n’ont fait les frais de cet acte, ce qui peut poser légitiment la question des intentions des assaillants, ainsi que de leur savoir faire en la matière. L’enquête devrait faire la lumière sur ces faits, d’autant que les moyens déployés s’apparentent à un débarquement guerrier dont l’objectif n’était autre que l’affichage d’une politique répressive volontariste, mais en réalité aussi disproportionnée que parfaitement inefficace, et surtout diablement calculée. Certes il existe de réels comportements qui s’apparentent au crime organisé dans certains quartiers à la périphérie de nos grandes villes. À n’en pas douter nombre d’infracteurs ont professionnalisé leurs pratiques afin de produire une activité économique informelle compétitive, productive, génératrice de plus-values financières importantes.

Dés lors, au regard des enjeux, on comprendra que ces professionnels n’hésitent pas à employer les moyens les plus radicaux lorsque cela s’avère nécessaire, c’est à dire le plus rarement possible parce que le crime n’aime pas le bruit. Pour autant, nous sommes encore bien loin des pratiques mafieuses décryptées dans l’ouvrage de Clotilde Champeyrache, Sociétés du crime, un tour du monde des mafias [2]. Il serait bon que notre ministre de l’intérieur en prenne rapidement connaissance afin de pouvoir ramener les choses à leur juste mesure. Puis, elle pourra aussi lire l’immense travail réalisé par le désormais célébrissime Roberto Saviano, ce qui lui apportera un point de comparaison judicieux afin de tempérer ses ardeurs plus que malintentionnées [3]. Tout cela pour dire combien le domaine est complexe, alors que le populisme en la matière apporte un bénéfice politique douteux qui contribue à déformer la réalité. En France, les spécialistes préfèrent parler d’organisations criminelles dont les territoires historiques sont plutôt la région lyonnaise, la région Provence-Alpes-Côte-d’azur dont les places fortes demeurent Marseille et la Corse plutôt que les banlieues populaires. Par ailleurs, la France est aussi pénétrées de différentes communautés criminelles organisées autour d’une appartenance ethnique avec des domaines de spécialisation bien établis. Aussi, pour une information précise chacun pourra prendre connaissance de ce panorama du crime organisé publié dans la consistante et érudite revue les cahiers de la sécurité [4]. Donc, le crime organisé existe, s’il est consubstantiel à notre société de consommation impitoyable, il n’est surtout pas l’apanage des seuls quartiers populaires, des seules banlieues laissées à l’abandon où il est un moyen d’alimenter en liquidités ces espaces économiquement désertés permettant par ailleurs à un petit nombre d’individus de se réaliser [5]. Il est aussi nécessaire de rappeler à la mémoire des citoyens qu’il existe une délinquance en col blanc, fort nocive car son coût est très élevé. Mais il conviendra d’observer que ce champ délinquanciel fait l’objet d’un repérage bien moins systématique que la criminalité classique puis qu’il génère des peurs moindres et bénéficie de représentations sociales plus favorables.

Mais là, point de déclaration à l’emporte pièce, point d’anathème jeter à l’endroit de ces délinquants raffinés dont certains sont issus du sérail, silence on détourne. Certes, tout cela étant de bonne guère il est peu probable que nous assistions à une évolution notoire d’ici peu. Mais le plus saillant ne réside pas là. Il est contenu dans le travail produit par Amnesty International qui pointe sans concession les dérives de certaines pratiques policières qui n’ont rien à envier à ces États que nous sommes toujours prompts à qualifier d’indignes et en parfaite inadéquation avec nos saintes valeurs démocratiques. À ce sujet, nulle vociférations outragées de notre ministre de l’intérieur, aucun discours musclé venant dénoncer ces agissements pourtant criminels qui jettent le discrédit sur toute l’institution et sur cette majorité de personnels qui en bons professionnels s’en tiennent aux prescriptions contenues dans notre code de procédure pénale, texte qui en principe protège les citoyens de l’arbitraire possible de l’État au moyen de ses forces de sécurités. Même la justice ne remplie pas son rôle lorsqu’elle évite soigneusement les poursuites et les sanctions méritées, l’institution ici se délite, se fissure, et in fine s’auto-dévalue. C’est toute la chaîne pénale qui dérape comme le souligne ce rapport essentiel dont le seul titre est évocateur d’une situation des plus intolérable au pays des droits de l’homme, passant par pertes et profits tous ces citoyens doublement victimes du système. Non seulement Michèle Alliot-Marie (tout comme ses prédécesseurs), ne sera pas sans pitié pour ces fonctionnaires zélés de l’illégalisme, mais en plus ces agissements seront couverts au moyen d’une loi du silence rarement relevée par les médias mais tout aussi efficace que celle qui prévaut en matière de criminalité. À ce titre, David Diaz-Jogeix, directeur adjoint du programme Europe Asie centrale d’Amnesty Internationale de déclarer: « Dans un climat où les violences policières ne sont pas toujours contrôlées, l’impunité de fait dont bénéficient les agent de la force publique en France es inacceptable ». On ne peut être plus lapidaire dans sa formulation, d’autant que les actes dénoncés sont extrêmement graves puisqu’il s’agit entre autre d’homicides, d’actes de tortures, d’injures racistes et autres usages abusifs de la force. Tout cela est soigneusement consigné dans le document produit par Amnesty International confirmant le rapport déjà publié en 2005 intitulé, France: pour une véritable justice [6].

Enfin, pour compléter le tableau, nous invitons Michèle Alliot-Marie à se prononcer sur l’affaire des policiers municipaux de la ville de Cannes qui ont fait l’objet d’une discrimination abjecte de la part de leurs collègues de travail au titre de leur orientation sexuelle différente. Là encore, la voix de notre ministre a dû se perdre dans le vide intersidéral de son manque de courage évident.

C’est donc ce deux poids deux mesures qu’il s’agit de mettre ici en exergue, notamment en matière de dénonciation d’affaires qui pourtant concernent toutes le ministère de l’intérieur. La vindicte penche immanquablement du même côté de la balance alors que notre démocratie gagnerait en crédibilité/respectabilité si un traitement équitable était la norme. Tout illégalisme doit faire l’objet de poursuites, de peines prononcées, ainsi que de publicité, à fortiori lorsqu’ils sont commis par les dépositaires de la force publique. C’est aussi à cela que doivent être évalués les régimes politiques [7].

Quant au positionnement de nos responsables politiques qui font toujours preuve d’une célérité à sens unique, ils devraient être guidés par une étique plus en adéquation avec le sens démocratique, ce qui pourrait contribuer à réduire la béance qui les sépare d’une population qui pourrait un jour ne plus contenir ses foudres.

[1] Amnesty International, France: des policiers au-dessus des lois, avril 2009.

[2] Clotilde Champeyrache, Sociétés du crime. Un tour du monde des mafias, CNRS éditions, 2007

[3] Roberto Saviano, Gomorra, Gallimard, 2008.

[4] Les cahiers de la sécurité N°7, Les organisations criminelles, INHES, janvier-mars 2009:

  • Gilles Aubry, Organisations criminelles et structures répressives: panorama français
  • Entretien avec Christian Lothion, Directeur central de la Police judiciaire.
  • Augusto Balloni, Roberta Bisi, Mafia et crime organisé: réflexions entre criminologie et victimologie.

[5] Mustapha Hijazi, Délinquance juvénile et réalisation de soi, Masson et Cie, 1966.

[6]Amnesty International, France: pour une véritable justice, 2005.

[7] P. Bruneteau, Maintenir l’ordre: les transformations de la violence d’État en régime démocratique, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques,1996.

P. Braud, La violence politique dans les démocraties européennes occidentales, L’Harmattan, 1993


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