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Jacques Marseille, L’argent des Français

Par Argoul

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Professeur à la Sorbonne, communiste dans sa jeunesse (p.207), Ch’ti comme ne le dit pas son nom (p.131), Jacques Marseille est volontiers provocateur, titrant même le chapitre 24 sur “la vie fabuleuse d’Olivier B., facteur à Neuilly-sur-Seine”. Il préfère nettement les chiffres qui prouvent aux illusions idéologiques des politiciens. Sur l’histoire économique et sociale, cela signifie remettre en cause les mythes chéris de la gauche, issus de Zola et du marxisme primaire vulgarisé il y a deux générations par un Parti communiste français stalinien. Mais Jacques Marseille écrit bien, il fait passer les chiffres et les séries statistiques de l’histoire économique aussi aisément qu’Emmanuel Leroy Ladurie en histoire du climat. Son livre comporte six parties qui analysent chacune un mythe.

1 – L’extinction du paupérisme et le simple rattrapage des soi-disant Trente glorieuses.
2 – La revanche du patrimoine et les socialistes au secours du capital.
3 – L’inexorable réduction des inégalités malgré les cris d’orfraie.
4 – Le bonheur est dans l’inflation.
5 – Ubu fisc ou l’invraisemblable complication de la fiscalité française.
6 – Une utopie réalisable : 750 € pour chaque Français sa vie durant.

Comme chaque citoyen a pu s’en apercevoir, l’économie est le savoir qui prévoit grâce au rétroviseur et le discours qui explique toujours ce qui s’est passé. Ceux qui vous l’avaient bien dit à propos de la crise des subprimes surgissent deux ans après la crise comme des champignons. Jacques Marseille ne se préoccupe ni de prévision, ni de court terme. Il analyse la longue durée, depuis 1789 pour la France. Et son constat est clair :

  • Contrairement aux prévisions (fausses) de Marx, le paupérisme n’est pas la loi d’airain du capitalisme. le pouvoir d’achat moyen des Français a été multiplié par 15 en 160 ans, soit en moyenne +1,6% chaque année.
  • Contrairement aux prévisions (fausses) de Lénine, ce n’est pas la mondialisation qui révèle l’exploitation capitaliste maximum. La Belle époque (1892-1913) – première mondialisation industrielle – voit la croissance doubler.
  • Contrairement aux affirmations vertueuses (fausses) sur la monnaie, ce n’est pas l’inflation qui appauvrit. La Belle époque du revenu se prolonge jusqu’en 1925 par… l’inflation (prix de détail multipliés par 5,5 fois sur la période). Ce qui stimule la production industrielle (+121%) et le revenu national moyen en franc constant (+40%). Même chose entre 1949 et 1973 : croissance de 3,9% par an avec une inflation chronique et de régulières dévaluations du franc.

L’argent ne fait pas le bonheur car « le bonheur est dans l’inflation » (chapitre 20), « impôt négatif avant la lettre ». Seule l’inflation déstabilise les positions acquises et permet à chaque jeune d’investir pour l’avenir. Il n’y a que les rentiers qui souffrent, s’ils ne savent pas faire muter leur épargne. D’autant que l’inflation est une convention de valeur : sur le long terme, Jean Fourastié l’a montré, « les prix baissent ». Depuis 1998, l’électricité est stable mais l’assurance auto a baissé, l’automobile a monté de 8% et l’électronique s’est effondrée des deux tiers. Dans le même temps, le SMIC horaire net a grimpé de 42%. « Le pouvoir d’achat de la monnaie ne doit pas être confondu avec le pouvoir d’achat des Français » p.200.

Contrairement aux anti-américains qui voient la main de New York partout, la crise de 1929 n’a pas été importée en France depuis les Etats-Unis. « La nouvelle ‘dépression’ s’amorce en France dès 1926 » p.61. La cause ? Le franc fort de Raymond Poincaré, revenu au pouvoir le 23 juillet 1926 qui casse l’inflation et ancre le franc à 65,5 mg d’or. Chute des exportations (6,3% en 1925 dans les exportations du monde, 3,7% en 1937), de la production industrielle, de l’emploi, du bâtiment…

Contrairement au mythe tenace des « inégalités », fonds de commerce des politiciens qui jouent sur l’envie, la jalousie et la revanche sociale, si le pouvoir d’achat du revenu augmente pour tous, le patrimoine stagne : il faut attendre 1961 pour que la fortune moyenne des Français atteigne son niveau de 1900. Ce sont les guerres, mais aussi la préférence paysanne pour l’or et la pierre qui ont ‘ruiné’ les fortunés. La revanche du patrimoine date de l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981… Hausse de l’immobilier, hausse spectaculaire de la bourse dès 1983 (avec record historique sous Jospin avec +53,6% en 1999 pour le CAC40 !).

Concernant les revenus, Marseille cite Thomas Piketty et son étude sur le 20e siècle : les inégalités de revenus se sont largement réduites, même si certaines périodes vont à contre-courant. Ce sont d’ailleurs les périodes de forte expansion qui voient les inégalités augmenter (les 10% des plus hauts revenus payaient 30,7% des impôts en 1973, mais 32,6% en 1990, signe d’un accroissement des inégalités dans la période Mitterrand). Comme si l’accroissement de richesses pour tous accélérait l’accumulation de quelques-uns. Mais faut-il par passion égalitariste préférer la dépression et la pauvreté pour le plus grand nombre afin que les très riches soient juste un peu moins riches ?

Contrairement à ceux qui comparent combien l’herbe est plus verte chez les voisins, Jacques Marseille réintègre tous les éléments de revenus perçus tout au long de la vie : les cotisations retraite, santé, chômage, sont des salaires différés, que certains pays distribuent, à charge aux salariés de s’assurer eux-mêmes contre ces risques. Pas en France où ce sont des organismes collectifs qui s’en chargent.

Vous rétorquerez à l’auteur : oui, mais la bourse connaît aussi des bas qui peuvent durer. Il vous dira : justement, ce sont les riches qui en pâtissent, pas les pauvres qui n’investissent pas en actions.

Vous direz : quel scandale qu’un patron touche des émoluments 400 fois plus élevé qu’un employé de sa société, entre salaire, bonus, stock options, retraite chapeau, golden welcome… Il vous dira : entièrement d’accord avec vous, mais il y a un moyen simple d’éviter ça, que le patron ne soit plus salarié de sa propre société. Pourquoi serait-il fictivement « subordonné » à une entreprise qu’il dirige ? Les droits d’un salarié (indemnités, bonus, retraite) n’ont pas à s’appliquer. Être mandataire social est un métier à risque qui doit être rémunéré comme tel – mais par contrat initial pour solde de tout compte.

Vous vanterez l’impôt progressif sur le revenu, il vous rétorquera qu’il « ne représente plus que 5,6% de l’ensembles des prélèvements obligatoires » en 2007 et que toutes ses « niches » permettent aux gros revenus d’y échapper largement. Vous direz vive l’ISF, il vous dira « Incitation à Sortir de France » avec moins de 0,5% des recettes des prélèvements obligatoires. Fort mal pensé et mal construit, passoire en raison de ses multiples exceptions, Jacques Marseille cite Michel Charasse sur l’ISF, sénateur socialiste réputé pour son parler direct : « il était naïf de le créer en 1981, et bête de le rétablir en 1988 ».

Vous pourrez dire encore plein d’autres choses à l’auteur, il a prévu toute une liste de réponses étayées par des chiffres tirés de rapports officiels de droite comme de gauche.
De quoi vous faire penser en-dehors des ânonnements partisans, ce qui est, en politique, la meilleure des choses !

Jacques Marseille, L’argent des Français – les chiffres et les mythes, Perrin 2009, 394 pages 

Alain Sueur, auteur des “Outils de la stratégie boursière“ et rédac chef du Blog Boursier écrit régulièrement sur Fugues.


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