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États-Unis : "un bon gouvernement, c'est un gouvernement qui a un peu peur de ses citoyens"

Publié le 30 mai 2009 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Les principaux dirigeants du Parti républicain ont assisté à la convention annuelle de la NRA, l'association des détenteurs d'armes à feu. Une présence significative.

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Les 47.000 Américains passionnés par les armes à feu qui sont venus assister à la 138e convention de la National Rifle Association, les 16 et 17 mai, portaient les espoirs de nombre de leurs compatriotes, blancs pour la plupart, pour qui le nouveau cap emprunté par la Maison-Blanche est trop orienté à gauche. Ils représentent l'un des groupes les mieux organisés et les plus influents à s'opposer au gouvernement Obama et au Congrès (dominé par les démocrates). Ce n'est donc pas un hasard si John McCain, sénateur républicain de l'Arizona, Mitt Romney, présidentiable potentiel, et Michael Steele, président du parti de l'Eléphant, ont tous pris part à un forum de haut niveau lors de la convention.


Et la NRA ne cesse de voir ses rangs enfler : les inscriptions connaissent une augmentation prodigieuse, de même que les achats d'armes, et les armuriers sont en rupture de stock. La NRA est désormais en mesure d'exercer une influence considérable sur un électorat qui se polarise autour de questions allant du contrôle des armes à feu aux renflouements financiers décrétés par l'Etat. De plus, elle semble disposée, sans mettre un terme à sa rhétorique enflammée - laquelle, selon ses détracteurs, frise la paranoïa - à reprendre à son compte le mécontentement politique de la base.

"Nous sommes face à un conservatisme armé, qui brandit le fusil pour appuyer ses convictions politiques, et je pense que c'est là ce qui explique son attrait sur le plan émotionnel", déclare Joan Burbick, auteur de Gun Show Nation : Gun Culture and American Democracy (Une nation qui aime les armes : la culture des armes à feu et la démocratie américaine). "Les armes sont devenues le symbole de ce qu'est la liberté selon les conservateurs ."

Depuis la "révolte de Cincinnati", qui, en 1977, a vu naître la NRA moderne, le nombre de ses membres a fluctué en fonction de l'alternance politique, atteignant des pics sous les présidences démocrates. "Le président Obama peut au moins se targuer d'une chose : de la hausse des ventes d'armes", dit Chris Cox, responsable du service juridique de la NRA.

Les dirigeants de l'association ont profité de la convention pour dépeindre sans détour la menace que représente selon eux le gouvernement Obama. Les détenteurs d'armes à feu sont confrontés à "la Maison-Blanche la plus habilement et la plus agressivement antiarmes de l'Histoire", a lancé le président Wayne Lapierre. A en croire d'autres poids lourds de la NRA, le 2e amendement de la Constitution [qui garantit à tout citoyen américain le droit de porter des armes] pourrait être aboli au cours de son mandat.

Toutefois, le lobby des armes a marqué plusieurs points importants sur le front juridique, politique et électoral. Les sondages montrent que les Américains se méfient de plus en plus des restrictions dans ce secteur. Ainsi les partisans d'un plus grand contrôle ont-ils été pris au dépourvu quand Obama a garanti que les informations sur les acheteurs de pistolets et de fusils continueraient à être tenues secrètes, revenant sur une promesse qu'il avait faite durant sa campagne aux victimes de violences par armes à feu.

"Un bon gouvernement doit avoir peur de ses citoyens"

En dépit de ces succès, Lapierre, le président de l'association, a parlé en des termes presque apocalyptiques des adversaires du 2e amendement. "La bombe est armée, la mèche est allumée, a-t-il dit. Ils vont jeter toutes leurs forces dans la bataille, et il faut que nous soyons prêts. S'ils veulent se battre, nous nous battrons." Pour les détracteurs de la NRA, cette rhétorique est totalement disproportionnée par rapport à la menace actuelle.

Pour l'armurier californien Bill Peets, la réaction des amateurs d'armes n'a rien d'exagéré. Selon lui, les gens de gauche cherchent à saper ce pan de la culture américaine par "un tir de barrage" en instaurant de nouvelles réglementations. Une théorie que l'on entend un peu partout dans les rangs de la convention. Les participants racontent des histoires de citoyens respectueux des lois, dont un handicapé vétéran de la guerre en Irak, qui se sont retrouvés pris au piège de lois tortueuses sur les armes et qui ont fini derrière les barreaux. Et, pendant ce temps, les vrais délinquants, eux, s'en tirent sans être inquiétés, assurent-ils.

Barry Brummett, qui étudie la communication à l'université du Texas (à Austin) et possède une arme, s'avoue fasciné par l'évolution de la politique sur ces questions depuis quelques décennies. Dans les années 1950 et 1960, commente-t-il, c'étaient les militants de gauche qui parlaient ouvertement d'armer la population pour la révolution, et "cela ne dérangeait apparemment personne à gauche". A l'époque, les conservateurs étaient "terrifiés à l'idée que les gens de la rue s'arment". Maintenant, "la question du droit de posséder une arme est pour l'essentiel récupérée par la droite politique, et, franchement, ça me laisse rêveur".

Les républicains n'hésitent pas à tirer parti de la méfiance naturelle que le gouvernement démocrate inspire aux membres de la NRA, surtout à un moment où leur parti est en quête de nouvelles solutions et orientations. Dans ce contexte, la NRA pourrait devenir une force organisatrice dans les rangs des conservateurs, majoritairement blancs. "Par elle-même, la NRA ne peut pas suffire à remporter des élections, mais, si l'affaire est disputée, elle peut faire pencher la balance", concède Brian Anse Patrick, spécialiste des communications à l'université de Toledo, dans l'Ohio. D'ailleurs, pour beaucoup de propriétaires d'armes à feu, l'édition 2009 de la convention de la NRA ne signifie pas le début d'une insurrection armée, mais s'inscrit dans un questionnement de la droite en tant que minorité politique délogée du pouvoir et qui se cherche un nouveau rôle.

"Tout ce que je veux, c'est qu'on se détende, qu'on soit des Américains, qu'on ne passe pas notre temps à se sauter à la gorge les uns les autres", conclut Junior Sampson, armurier à Tucson, dans l'Arizona. "En même temps, pour moi, un bon gouvernement, c'est un gouvernement qui a un peu peur de ses citoyens."

Source du texte : COURRIER INTERNATIONAL


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