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Montréal-Hollywood

Publié le 23 février 2007 par Eric Viennot

Lara En moins d’une semaine, deux annonces d'Ubisoft et de Eidos sont venues confirmer la force d’attraction qu’exerce désormais la ville de Montréal auprès des producteurs de jeux vidéo. Mais au-delà de la sphère du jeu vidéo, ces annonces pourraient être plus importantes qu’elles n’y paraissent.
En annonçant son intention de créer à Montréal un studio destiné à produire des films ou des séries adaptés de ses licences de jeux, l'éditeur français confirme sa stratégie de développement au Canada. A la clé, il prévoit de créer, à l’horizon 2013,  plus d’un millier d’emplois. Eidos, éditeur de Tomb Raider, suit le mouvement et, en s'implantant à son tour à Montréal (qui devient une véritable marque de fabrique synonyme d'excellence) rejoint ses concurrents déjà présents sur place.
Ces annonces ne sont pas surprenantes. La politique volontariste, mise en place depuis 10 ans par le gouvernement canadien pour attirer les entreprises du secteur, a porté ses fruits au-delà de toutes ses espérances. Elle a permis de créer un cercle vertueux très attractif qui rappelle celui créé autour d’Hollywood dans le domaine du cinéma. Les gains de productivité attirent les éditeurs. Il se crée alors un terreau riche en savoir-faire qui attire sur place de nombreux talents. Ce terreau permet d’attirer de nouvelles productions qui, à leur tour, génèrent du cash.
L’annonce d’Ubisoft a sonné comme un nouveau coup de tonnerre en France. Il semble que les politiques et les institutions françaises prennent conscience un peu tard de l’effet d’attractivité énorme du Canada en matière de contenus numériques.

Mais ne prendre en compte que cette donnée économique pour expliquer l’attractivité de Montréal serait une erreur. Le Québec est une passerelle culturelle entre l'Europe et l'Amérique. Les créateurs européens, et notamment français, sont nombreux sur place. S'attacher leur service, c'est pour un éditeur américain comme Electronic Arts, une façon de créer des titres à moindre frais (grâce aux aides fiscales) en ayant l’avantage de les modeler davantage au goût européen. Pour un éditeur européen c’est, à l’inverse, une façon de penser américain tout en conservant certaines valeurs européennes. Quand on sait ce que représente le marché américain dans le domaine du jeu vidéo c’est indispensable.
Au-delà du jeu vidéo, c’est un enjeu culturel plus vaste encore qui se joue : celui de l’entertainment numérique qui pourrait progressivement se déplacer d’Hollywood à Montréal. Non, non, je ne délire pas. Quand on voit la façon dont certaines séries ou certains films s’inspirent désormais des jeux vidéo, quand on constate l’impact croissant des effets spéciaux et de la 3D dans le cinéma contemporain, quand on imagine l’importance que les mondes virtuels vont jouer dans la communication et les loisirs de demain, on se dit que les producteurs de jeux ont tous les atouts pour se retrouver au cœur du processus de création des contenus du futur.
En ce sens, l’annonce d’Ubisoft peut faire réfléchir. En choisissant d’implanter son pôle de cinéma à Montréal, Ubisoft élargit son rayon d'action : il déborde le cercle du jeu vidéo pour investir le domaine plus vaste du divertissement numérique. Par ce choix, il se détourne également du mode de production audiovisuel français, optant pour un mode de production anglo-saxon, sans doute plus adapté à sa stratégie de développement mondiale. Si le modèle français a permis de maintenir vivante la production cinématographique dans notre pays, il semble désormais montrer des limites, au moment de la convergence des médias et des nouveaux modes de diffusion. Avec le succès croissant des sites de vidéo sur Internet, des programmes téléchargeables sur consoles, ipods et bientôt iphones, les films du futurs ne se regarderont sans doute plus de la même façon. Ils ne seront sans doute plus formatés comme ils l’ont été pendant de nombreuses années, à l’image du film traditionnel du dimanche soir, remplacé récemment par des séries. La révolution numérique ne fait que commencer. On peut imaginer, dores et déjà, de nouvelles formes de fictions téléchargeables et interactives, de nouveaux espaces vidéoludiques mélangeant fiction et réalité, de nouvelles formes de divertissement créées à partir de mondes virtuels, que sais-je encore ? Ce n’est pas non plus par hasard si des opérateurs Internet comme Bell, eux aussi au Canada, se sont mis à financer un grand nombre de contenus liés aux nouveaux médias, augmentant la demande en haut-débit (technologie dans laquelle le Canada était en retard par rapport à la France) espérant prendre progressivement la place des diffuseurs traditionnels.
A travers l'évolution des technologies numériques, c’est toute l’industrie de l’entertainment qui se joue. On parle depuis dix ans de convergence. Elle est là. Et si les créateurs de jeux vidéo étaient justement les mieux placés pour tirer leur épingle du jeu dans cette guerre culturelle qui s’annonce ? Hollywood à Montréal ?

PS : une info intéressante, parue ce jour, illustre mes propos sur l'évolution de la télévision. A lire sur Ecrans.

Illustration : Lara Croft, packaging Tomb Raider Legend, Eidos.



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