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Les dangers du bac à sable...

Publié le 17 janvier 2007 par Eric Viennot

Simcity Il y a quelques temps je discutais avec un jeune auteur qui se désespérait du tournant pris par l’industrie du jeu vidéo. Résumons : l’arrivée de la Wii (que j’ai pourtant encensée dans ce blog au point que certains m’ont gentiment surnommé sur un forum Eric Wiiennot) avec ses jeux de sport aux avatars personnalisables (les fameux Mii), le succès des jeux de construction à la Sims, de jeux modelables comme Trackmania, des jeux outils comme The Movies, ou des jeux tamagotchi comme Nintendogs, bref cette déferlante de concepts ouverts et transformables pourrait faire croire au grand public que les jeux vidéo ne se résument qu’à cela : une sorte de jouets numériques. Ce que mon interlocuteur surnommait les jeux « bac à sable ».
En octobre dernier, j’ai été convié au Salon du jeu vidéo de Montreuil pour une conférence qui regroupait trois développeurs indépendants français : David Cage (Quantic Dream), Florent Castelnerac (Nadéo) et moi-même. Il y avait ce jour là une foule incroyable dans les travées du salon et, plus étonnant, la salle de conférence était pleine à craquer. Ce qui m’a d’abord surpris c’est la façon dont le public présent écoutait, de manière très attentive, malgré la chaleur et le brouhaha ambiant. (Il faut préciser qu’il y avait une partie en réseau qui se jouait à côté). Ce qui m’a surpris ensuite c’est la qualité des questions qui nous ont été posées. Décidément, on rencontre de plus en plus de joueurs adultes qui ont une grande connaissance du jeu vidéo et de son histoire. (Certains commentaires sur ce blog en témoignent).

On se retrouve une nouvelle fois avec David Cage. On défend tous les deux une même vision du jeu vidéo ; celle d’un moyen d’expression tourné vers de nouvelles formes de narration et capable de créer un large registre d’émotions. Face à nous, Florent Castelnerac défend une autre idée ; celle qu’un jeu soit avant tout un divertissement, voire un outil modelable selon les envies et les fantaisies du public. Notre fameux bac à sable ! L’idée que les jeux vidéo puissent permettre à des auteurs d’un nouveau genre de s’exprimer avec un point de vue personnel est loin d’être partagée, au sein même de notre industrie. Florent notait, avec un peu d’ironie, que les réactions enthousiastes qui montaient de la salle d’à côté étaient provoquées par des jeux d’action, non pas par des jeux d’aventure. Il avait raison. En même temps, il y a un temps pour tout. Chaque type de jeu possède son mode d'emploi spécifique. Même si je le fais avec beaucoup de plaisir, je ne joue pas à Wii Sports ou à Trackmania de la même façon que je joue à Silent Hill ou Fahrenheit. Le cérémonial n’est pas le même. Une soirée Wii Sports ressemble à une sortie booling entre potes. Se mettre à jouer à Silent Hill s'accompagne d'un tout autre cérémonial. On y joue seul, de préférence la nuit (pour les plus courageux !). Si j’aime pouvoir modeler un univers à ma guise, je peux aussi prendre plaisir à être moi-même manipulé par un auteur qui me transporte dans une réalité onirique qui m’émeut ou me fait rêver. Quand il me propose de me rendre d’un point A à un point B en me laissant libre de choisir comment m’y rendre, je ne me sens pas prisonnier du jeu si celui-ci est bien fait. Les jeux bac à sable me procurent des sensations semblables à celles des jeux de mon enfance. Ils m’apportent des sensations immédiates et fortes mais au bout d’un moment plus au moins long la lassitude me gagne. J’ai l’impression de tourner en rond. D’ailleurs, la plupart de ces jeux n’ont pas de fin. Un jeu narratif me demande plus d’exigence au début, mais quand je suis pris par l’histoire, la qualité de la réalisation ou la force des personnages, le jeu me rappelle à lui, longtemps même après l’avoir quitté. J’ai envie d’avancer, de connaître la suite, de savoir comment le personnage que j’incarne va s’en sortir. Le sentiment d’attachement que j’ai pour lui est alors parfois plus fort que celui que j’éprouve pour le héros d’un bon film ou d’un bon roman.
Certains rétorqueront que les jeux bac à sable engendrent leur propre narration et une variété importante de sensations.  D’autres expliqueront que c’est justement dans le fait qu’ils s’éloignent des codes « émotionnels » classiques, que réside leur intérêt. Je ne peux pas m’empêcher de me dire, qu’à l’avenir, ces deux écoles devront cohabiter encore quelques temps sous cette même appellation qu’on appelle par défaut les « jeux vidéo ». Un jour peut-être on inventera de nouvelles catégories un peu comme l’histoire du cinéma a pu engendrer des documentaires d’un côté et de l’autre des films (de fiction). Les deux catégories ont leur intérêt. Simplement, il me semble que la première (celle des jeux bacs à sable) étouffe un peu trop la seconde.
Méfions-nous. Ceux qui propagent l’idée que les jeux vidéo ne sont que des jouets le font souvent parce que cette idée les arrange, parce qu’ils veulent nous faire croire que les jeux vidéo dans leur ensemble ne sont qu’un loisir infantile sans portée artistique. Ils prennent dans le jeu vidéo l’exemple des jeux bac à sable pour tenter de prouver que les jeux vidéo ne sont qu’un loisir désincarné, une mode de représentation sans auteur, en oubliant d’ailleurs au passage que derrière les Sims ou The Movies se cachent aussi des créateurs.
Si ces genres si différents doivent désormais cohabiter sous cette appellation déjà désuète qu’on appelle les jeux vidéo, le succès phénoménal des jeux modelables ne doit pas nous faire oublier que certains jeux vidéo sont aussi porteurs de points de vue, et capables, comme d’autres arts, de véhiculer des émotions, voire même de générer des sentiments. Face à cette déferlante des jeux bac à sable, il y a pourtant de jeunes auteurs bourrés d’idées, en France et ailleurs, qui se battent et se battront de plus en plus nombreux à l’avenir, pour tenter d’exprimer un point de vue narratif personnel avec ce média encore balbutiant, perfectible et pourtant si prometteur. Nous en reparlerons.


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LES COMMENTAIRES (1)

Par Lioyd
posté le 04 août à 07:29
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Très bon article. Je n'hésiterai pas à le citer quand besoin sera.

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