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N° 20: Ne Chinoisons pas ...suite

Publié le 31 mai 2009 par Frogetech

229° jour

10h30 heure locale, en voiture.

Le responsable méca se recolla au dossier en poussant un soupir d'exaspération.

Deux heures qu'ils étaient partis, direction l'usine de production.

Pourtant leur hôte avait précisé, de bon matin au départ de l'hôtel, que ce n'était pas loin.

Sourire XXL.- Nous aller usine, pas loin. Un peu autoroute. Pas loin, usine à Dongguan...

Ce que nos franchouillards ignoraient, c'est bien la relativité chinoise :

à la taille du pays, couvrir 100 km équivaut chez nous à faire un tour à la boulangerie du coin.

N° 20: Ne Chinoisons pas ...suite

Et avec la masse critique de véhicules qui empiétait sur la route, la moyenne s'en ressentait fortement.

Pour couronner le tout, le décor manquait sensiblement de charme : les usines succédaient aux usines, parallélépipèdes de béton anonymes aux teintes grisâtres noyées dans une brume de pollution automobile.

Enfin arrivée, après moult détours au travers d'une zone industrielle tentaculaire, la voiture se gara entre deux immeubles identiques, les seules tâches de couleurs provenant des multiples vêtements flottant aux fenêtres.

Nos passagers furent menés manu-militari dans une nouvelle salle de réunion, certes moins sur-dimensionnée que celle de la veille, mais tout aussi polaire.

 

Une douzaine de chinois se levèrent, blouses blanches et bleues marquées du logo de l'entreprise, et dans une sarabande étourdissante se présentèrent tout en procédant au traditionnel échange de cartes.

Sourire éblouissant du patron, empli de fierté :

- Voilà, premières pièces faites pendant nuit!

D'un mouvement théâtral, leur mentor désignait le fond de la salle.

Les pièces attendaient, soigneusement disposées en rang d'oignon sur une table couverte d'un tissu rouge (eh !), attendant la confrontation avec leurs créateurs. Sans attendre, les deux mécanos se précipitèrent dessus, avides de découvrir - enfin - ce pour quoi ils avaient passé onze heures tassés en seconde classe d'un 747 surchargé.


- Ben dis-donc, c'est pas la bonne couleur! Et regardes, il manque l'ouverture pour l'afficheur !

- Attends, t'as pas vu comment elle est vrillée ta pièce? Jamais ça ne se montera sur le boitier!

Se tournant vers le chinois, posté à bonne distance et toujours aussi souriant, ils l'interpellèrent avec force gestes empressés.


- Il manque des pièces, il y en a qui sont mal finies et ce n'est pas la bonne couleur!

Escamotage du sourire, froncement des sourcils et volte face vers un des acolytes en blanc.

Un rapide échange ponctué d'une brève inclinaison de tête, puis retour vers les français :


- Oui, normal... Pas bonne matière, nous utiliser matière en stock. ABS chine, bonne
qualité. Juste pour essais. Bonne matière dans trois jours, trois jours ! Confirma t-il en agitant sous leur nez la main avec trois doigts dégainés.

Venir avec nous, leur enjoignit-il en montrant la table centrale d'où les autres les observaient en silence. Arriva soudain dans la salle un énorme personnage gluant, sorte de mini sumo boudiné dans un costard que l'on s'attendait à entendre hurler de douleur à chaque pas de son proprio. Avant que les présentations ne soient faites, les français avaient compris être en face du big boss :

la position raide, petit doigt sur la couture, de tous les présents en disait long sur son autorité. Tout était lunaire chez cet homme, il était tellement bouffi que ses yeux avaient disparu, le comble chez un asiatique : il devait se diriger aux ultrasons avec un tel handicap.

Le serrage de main, molle et gluante, laissait l'impression d'avoir attrapé une limace, tandis que ses éructations et grognements dissimulaient sa totale ignorance du moindre anglicisme. Aussi vite reparti qu'il était venu, le personnage laissait une impression de malaise aussi voyante qu'une trace de gastéropode.

Ecourtons les discussions techniques, pour aborder l'étape incontournable qu'est la visite de l'usine, que ce soit en Savoie ou à l'autre bout du monde. Passé la porte battante, nos deux mécanos se crurent plongés dans l'univers de Germinal. Comparé aux centres d'injection français d'une propreté chirurgicale, l'endroit ressemblait à un gigantesque hall de brocanteur.

Une cohue d'ouvriers entourait chaque machine, parfois baignant dans une mare opaque, piétinant un sol jonché de détritus et divers débris de pièces mal finies, côtoyant de petits groupes épars assis par terre et occupés à avaler un bol de riz, le tout noyé dans un brouhaha infernal et dominé par une odeur persistante de plastique brulé.

Dans un tel contexte, la fin de la visite fut un soulagement pour nos olfactifs français, qui n'avaient qu'une hâte : regagner une contrée civilisée.Et nous les retrouvons quelques jours plus tard dans un 747 d'Asia Airlines, de nouveau tassés en seconde classe, en train de faire le bilan de ces quelques jours passés.

Le responsable méca sortit alors de sa besace un volumineux dossier.

- M... ! C'est le QCM Qualité pour l'audit. J'ai oublié de le remplir le jour de la visite !

Il faut dire à sa décharge que le pavé de 25 pages ferait fuir le plus aguerri des auditeurs, poussant le détail jusqu'à valider la présence de papier dans les toilettes.

- Bof, pas grave, je vais le remplir au pif, de toute façon pour ce que ça sert.

 A part le responsable qualité qui se tripote dessus, y'a personne qui le lit...

Tiens d'ailleurs ça m'y fait penser ! Prochain chapitre : la qualité.

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