Magazine Humeur

Prix de “l’imbécile heureux né quelque part” à Eric Besson

Publié le 01 juin 2009 par Combatsdh

Combats pour les droits de l’homme ne délivre pas de prix Busiris, privilège du gérant et des collaborateurs du Journal d’un avocat, mais nous souhaitons délivrer un prix spécial à Eric Besson, ministre de l’Immigration pour ce savant exercice de mauvaise foi et d’incrédibilité juridique en quelques minutes d’entretiens sur le plateau de l’émission “Dimanche soir politique” d’i-Télé, France-Inter et Le Monde (voir la vidéo sur le site du Monde et le podcast sur celui de France inter).

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D’ailleurs, désormais, nous relèverons à chaque fois que le ministre de l’Immigration développe une incongruité en droit des étrangers. En effet, ce droit est trop souvent déformé et instrumentalisé par démagogie, mauvaise foi, incompétence ou mépris du droit des étrangers et des droits de l’homme.

En l’occurrence, rappelons qu’il existe deux procédures juridiques parallèles (voir la procédure en 15 dates sur le site de la Cimade):

- celles ouvertes devant le TA de Pariscontre le marché (2 référés précontractuels, dont une annulation le 30 octobre 2008 et un non lieu le 13 mai du fait de la signature le 10 mai; un référé suspension “Tropic” qui a abouti à une suspension le 31 mai et qui complète une requête en plein contentieux en appréciation de validité des contrats qui sera jugée par une formation collégiale de la 3ème section du TA de Paris) ;

- celles ouvertes devant le Conseil d’Etat en octobre 2008 contre la légalité du décret du 22 août 2008 (qui a donné lieu à un référé suspension rejeté le 26 février 2009 par le président de la section du contentieux et qui donnera prochainement lieu à une décision au fond du Conseil d’Etat, probablement de rejet. Le rapporteur public a conclu au rejet le 27 avril 2009).

Or, qu’affirme comme incongruités juridiques le ministre de l’Immigration qui tel un imbécile heureux né quelque part évoque une “tempête dans un verre d’eau et même dans un dé à coudre” ?

NB: dans n’importe quelle autre démocratie un tel désaveu judiciaire mettant aussi profondément en cause des décisions politiques et juridiques d’un ministre aboutirait nécessairement à une démission. Et ce d’autant plus, que les illégalités flagrantes dans le marché, dénoncées depuis des mois par les associations, et la signature prématurée le 10 mai vont coûter cher au contribuable. Au bas mot, entre les indemnités qui seront versées aux prestataires retenus et les frais d’avocats pour les 3 procédures, le contribuable devra débourser sûrement une centaine de milliers d’euros. Rappelons que le recours à une procédure de marché public mettant en concurrence des associations vise, en théorie, à permettre aux collectivités publiques de faire des économies…

1. Confusion entre “jugement favorable” et ordonnance de non-lieu:

D’entrée de jeu, le ministre ose déclarer, à propos du référé précontractuel qui a été avorté en raison de sa signature prématurée, que le juge des référés lui avait donné raison alors même que c’était un non lieu du fait que sa signature qui a privé le recours d’objet!

Il dit en effet, dès le début de l’émission, en réponse à la première question:

“EB.: Manche pour manche, il y a 15 jours, un autre jugement [sic : ordonnance. un jugement est rendu en formation collégiale au sein d’un TA]avait été favorable aux thèses du ministère. Je n’ai pas entendu qu’on dise : “Eric Besson a raison. 1-0 pour lui”. Ce n’est pas du sport”.

Le juge ne lui a en rien donné raison au ministre ou rendu une décision favorable. Il a été empêché de se prononcer à cause de la signature dudit ministre.

2. Confusion par le ministre entre recours en annulation contre le décret devant le Conseil d’Etat et recours en appréciation de validité du contrat devant le Tribunal administratif de Paris

Dans ces extraits de ses réponses aux journalistes, le ministre confond à plusieurs reprises le recours contre le décret du 22 août 2008 introduit en octobre par une dizaine d’associations devant le Conseil d’Etat et le recours en appréciation de validité des contrats qu’il a signés le 10 mai et qui ont été suspendus le 31 mai en attente justement de cette décision de la formation collégiale du TA de Paris.

 Q.: “Qu’est-ce que vous reprochez à la Cimade”

EB : “Je ne reproche rien à la Cimade. Je viens de vous dire qu’elle fait du bon travail. La preuve dans l’appel d’offres tel qu’il avait été arrêté la Cimade conservait à peu près 50% du “marché”, c’est-à-dire 1000 places sur 2000 et 2 M d’euros sur 4″.

Q.: “Pourquoi casser le monopole?”

EB: “Non ce n’est pas casser le monopole, c’est ouvrir à d’autres associations de qualité (…).

[sic: il a déclaré à plusieurs reprises vouloir “mettre fin au monopole de la Cimade” notamment lorsqu’il a annoncé son intention de porter plainte contre son secrétaire général]

Hier il y a eu un référé le juge me demande de suspendre la signature

[sic : le juge ordonne la suspension des contrats déjà signés].

Bien évidemment, je vais le faire mais sur le fond rien n’est décidé. Concrètement à partir de Lundi j’ai besoin que des associations aident les étrangers en situation irrégulière. Je vais proposer à la Cimade de signer une convention avec elle prolongeant de 3 mois son action afin de permettre que les étrangers en situation irrégulière soient toujours suivis. Je vais laisser le tribunal, le juge administratif, juger au fond. Je vous rappelle qu’il ne l’a toujours pas fait (…). Là c’est un référé suspensif - cela veut dire que l’affaire n’est pas jugée sur le fond. Si sur le fond le tribunal met en cause le décret d’août 2008

[sic : la validité des contrats].

Là c’est simple, je proposerai un nouvel appel d’offres tenant compte scrupuleusement de la décision du juge. (…) C’est une tempête dans un verre d’eau. et même dans un dé à coudre. Il n’y aura aucune difficulté à mettre en oeuvre” (…)

Q.: “Est-ce que vous reprochez à la Cimade d’être trop politique?”

EB.: “Peu importe. Ne polluons pas…. Ce qui m’intéresse c’est l’intérêt des étrangers en situation irrégulière. La Cimade de ce point de vue là fait un bon travail. Elle continuera à la faire. Je vais lui proposer de continuer de poursuivre pour 3 mois. Si le tribunal dit que le décret signé l’été dernier est valide

[sic les contrats signés le 10 mai]

nous continuerons. S’il ne l’est pas, nous ajouterons les 2 mots qui manquent à l’appel d’offres pour lancer un nouvel appel d’offres et il n’y aura pas de difficultés.

Q.: “Vous transformez la mission d’aide en mission d’information…”

EB :”… c’est les mots. Le décret qui a été pris le 22 août 2008, après avis conforme du Conseil d’Etat parlait de missions d’information. Le recours tel qu’il a été fait - c’est pour cela que le juge administratif suspend - dit qu’information ce n’est pas tout à fait la même chose qu’assistance et ça pourrait être plus réducteur. Il n’y a pas d’ambiguité sur ce point. Nous-mêmes, mon ministère, nous ne souhaitons pas transformer la mission des associations

[sic : des pages entières des mémoires en défense du ministère dans le référé précontractuel visaient à démontrer qu’il s’agissait d’un marché d’information sur l’accès effectif aux droits et que l’aide et l’assistance aux étrangers se rattachaient à l’objet de l’association prestataire et non à l’objet du marché. Le juge des référés le rappelle d’ailleurs dans son ordonnance du 31 mai, p.23 en haut].

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Ce sera bien de l’assistance. A tel point que toutes les associations qui ont répondu ont bien considéré que c’était de l’assistance

[sic le juge constate que Forum réfugiés et le collectif Respect ne prévoyaient pas d’aide effective à la rédaction des recours et donc aux droits].

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(…) Si le juge [du fond] dit que c’était ambigue comme formulation. Dont acte et nous relancerons tout de suite un appel d’offres. Si le juge dit l’ambiguité n’est pas réelle et vous pouvez signer les marchés. Je les signerai (…). Oui ou non le gouvernement veut-il réduire la mission des associations qui aide les étrangers en situation irrégulière? Je réaffirme que non. il n’y a pas de changement de stratégie”.

3. La signature le 10 mai, alors que l’instance était en cours, était une impérieuse nécessité pour sécuriser la situation des prestataires le 2 juin et empêcher les procédures dilatoires

Le ministre de l’Immigration reprend dans son entretien les arguments qui ont justifié dans le communiqué du Dimanche 10 mai la signature en cours d’instance des contrats.

“EB.: La Cimade - c’est une association de qualité mais ce n’est pas la seule il y a l’Assfam, Forum réfugié, France Terre d’asile - et d’autres [il ne cite pas le collectif Respect] - était en situation de monopole. Mon prédécesseur a voulu ouvrir cela. Je crois qu’il a bien fait.”  (…)

Q.: “Vous avez été extrêmement pressé d’agir? pourquoi avoir lancé l’appel d’offres aussi vite?

EB.: “D’abord je n’ai pas lancé l’appel d’offres car il a été lancé par mon prédécesseur mais je ne l’ai pas arrêté car je n’avais aucune raison de le faire. (…) Le 10 mai j’ai signé car il y avait urgence à agir pour le 2 juin“.

Pourtant la magistrate avait dit à l’avocat à l’audience du 6 mai que “le ministre s’honorerait de ne pas signer” dans l’attente de l’audience de référé-précontractuel du 13 et son avocat, comme Eric Besson le reconnaît lui-même dans un entretien audio au Monde, lui avait conseillé de ne pas signer dans l’attente de la décision de référé précontractuel afin de vider la procédure de ses vices.

Elle rejette aussi, au titre de l’urgence, l’argument selon lequel il y aurait un intérêt public à ne pas suspendre car l’exécution des contrats commençait le 2 juin en faisant valoir que le ministre pouvait très bien, comme il le fait finalement, prolonger provisoirement l’avenant à la convention avec la Cimade.

En signant il a donc non seulement fait un pied de nez à la justice mais aussi placé ses co-contractants dans une situation difficile comme l’a écrit le professeur Cassia.

La preuve en est, comme nous l’envisagions le 12 mai, un des prestataires vient d’introduire une demande indemnitaire après du ministre :

“Dimanche, le directeur général de France Terre d’asile Pierre Henry, dont l’association ne pourra pas donc commencer son action mardi comme prévu, a déclaré avoir demandé au ministre une indemnisation après cette suspension. Privé des subventions [sic : prix] attendues, il souhaite pouvoir faire face au paiement des 11 salariés de son association qui ne pourront commencer leur mission que si l’appel d’offre est finalement confirmé” (”CRA: Besson prolonge de trois mois la mission de la Cimade”, AP, 31 mai, 17h50).

La signature des contrats par le ministre de l’Immigration avant l’ordonnance de référé précontractuel, n’était donc ni de bonne administration, ni dans l’intérêt financier de l’Etat, ni dans celui de la sécurité juridique de ses co-contractants car le retour de bâton risquait d’être encore plus dur.

La demande indemnitaire de FTDA sera sûrement suivie par celle des autres prestataires retenus.

NB: Au passage il est paradoxal pour cette association de dénoncer dans le même temps “une judiciarisation excessive” de ce dossier et d’introduire une procédure indemnitaire. Du reste, la judiciarisation n’a rien d’excessive: pour assurer la défense effective des étrangers retenus, la Cimade n’avait pas d’autre choix que d’avoir recours à ces procédures, sinon le 2 juin les contrats auraient commencé à être exécutés sans que la rédaction des recours ne soit une obligation contractuelle et alors qu’un prestataire, le collectif Respect, n’avait notoirement pas la compétence technique, professionnelle et financière d’assurer cette mission dans le lot d’outre-mer.

 4. L’irrégularité de la candidature du Collectif Respect

Dans son ordonnance la magistrate relève que la candidature du collectif Respect aurait dû être écartée dès l’origine pour manque de capacité technique, financière et professionnelle. Qui plus est, lors de l’ouverture des premières enveloppes, elle était irrégulière (autohabilitation) et le ministère a permis au collectif de la régulariser sans en informer les autres candidats en violation du code des marchés publics.

Q.: Le tribunal a suspendu les contrats en raison de la candidature du collectif Respect qui n’avait pas les capacité techniques…

EB: “Non ce n’est pas pour ça c’est une incidente

[c’est faux. l’admission irrégulière de la candidature du collectif est l’un des deux griefs retenus pour suspendre la décision compte tenu du doute sérieux sur la légalité des contrats].

Mais je ne veux pas esquiver. (…) la commission d’appel d’offres a fait des propositions que j’ai suivies scrupuleusement. Le tribunal administratif valide pour 5 associations sur 6 - c’est ce que j’ai d’abord envie de retenir (…) puisque ça faisait l’objet de controverses. Il y a donc 5 associations sur 6 retenues jugées compétentes et aptes et l’une - celle que vous venez de citer [décidément c’est l’association innommable pour le ministre] - qui ne l’a pas été…”
Q.: “proche de l’UMP…

EB: “… si vous permettez…

Q.:”… proche de l’UMP….

EB.: “… laissez moi finir… J’en prends acte. Si je suis amené à signer des conventions, je n’en signerai pas en faveur de la 6ème. Un point c’est tout.

Q.: “Le collectif Respect ne fera pas partie des associations retenues.

EB.: “Exactement. Je respecterai - quoi que j’en pense personnellement - les décisions du juge administratif.

Q.: “C’est curieux l’utilisation de ce mot de marché pour des personnes en difficulté.

EB : “C’est le terme juridique.

Q.: “Reconnaissez que vous avez chercher à affaiblir la Cimade…

EB.: “Absolument pas. la Cimade fait du bon travail. Je regrette parfois certains de ses propos hors de ses actions. Mais ça n’a rien à voir.

Q.: “Par exemple?

EB.: “Peu importe. Je ne vais pas les répêter ici. Sur le fond, le mot marché il n’est pas de moi. C’est juridiquement l’outil qu’utilise l’Etat lorsqu’il contracte avec des associations. (…) Je ne suis pas à l’origine du vocabulaire administratif et juridique”.  (…)”

Certes, mais le ministre a bel et bien maintenu la procédure d’appel d’offres lancée par son prédecesseur, retenu la candidature du collectif Respect et signé ces contrats. Il doit donc en assumer les conséquences politiques et juridiques et le contribuable les conséquences financières d’un procédé qui n’est décidément pas adapté au monde associatif et à la défense effective des droits de personnes en situation de précarité.


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