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Le gai savoir de l'anar

Par Jlk

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Portrait de Claude Frochaux, éditeur et écrivain, auteur de L'Homme seul et de L'Homme religieux.
L’humanité, pour Claude Frochaux, se divise en deux catégories: les simples et les compliqué Les simples ne croient qu’à la matière; Dieu n’est qu’une création de l’homme, animal évolué dont l’âme meurt avec le corps. Les compliqués, eux, croient en une transcendance, et tout se complique. Mais Claude Frochaux là-dedans ? S’il se dit du parti des simples, son portrait n’en est pas moins compliqué à tracer simplement. Car il y a de l’aventurier chez ce septuagénaire à l’air de père tranquille, et de l’anarchiste jamais rangé des idées subversives en ce fils de marchand de vin du Landeron qui, dans la nuit du 21 février 1961, avec trois compères, réveilla la cité de Calvin en attaquant le consulat de l’Espagne franquiste au cocktail Molotov…
Pas si simple à admettre pour des parents catholiques traditionalistes qui avaient espéré que leur fils aîné reprendrait l’affaire familiale. Dès 18 ans cependant, le très mauvais élève du collège Saint-Michel de Fribourg, plus nul encore au gymnase de Neuchâtel, s’était révélé … simplement compliqué, ajoutant à sa nullité scolaire une crise d’identité carabinée. Du moins sa mère, institutrice et portée sur la lecture, avait-elle flairé un avenir au précoce fou de livres : la librairie…
«J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie !», s’exclame aujourd’hui le libraire-éditeur-écrivain. « J’ai toujours fait les bonnes rencontres au bon moment. De Lausanne, où j’ai appris mon métier de libraire chez Payot, dès 1954, à Zurich et Londres (chez Foyles) ou nous travaillions beaucoup mais dans le bonheur, puis à Genève où j’ai rencontré le plus extravagant ami en la personne de Jean-Jacques Langendorf, à Paris où je me suis plongé dans la bohème de Saint-Germain des Prés comme employé du légendaire Jean-Jacques Pauvert, enfin à Lausanne où j’ai repris la petite librairie des Escaliers du Marché avant de me lancer dans l’aventure des éditions L’Âge d’Homme, au côté du génial Dimitri, j’ai toujours fait ce que je voulais et ce que j’aimais ! »
S’il se dit rationaliste et déterministe, Claude Frochaux n’en est pas moins un romantique à sa façon, intarissable sur ses folies de jeunesse, dont il exalte les années où il partit avec Langendorf sur les traces de Lawrence d’Arabie, fomenta l’attentat de Genève, entre orgies de cinéma et nuits blanches à refaire le monde ou à parler de livres, notamment avec un homme qu’il dirait aujourd’hui le compliqué par excellence : Vladimir Dimitrijevic qu’il accompagna trente ans durant malgré l’opposition totale de leurs opinions politiques et philosophiques. « J’ai vite compris qu’avec ce conservateur anticommuniste et chrétien jusqu’au mysticisme, la cohabitation serait impossible sans réserve mutuelle…» Et l’interlocuteur privilégié des auteurs romands de rappeler l’enjeu de cette aventure : un catalogue au bilan fabuleux, sans pareil en Suisse romande et bien au-delà.
Et l’écrivain Claude Frochaux lui-même, entré en littérature la trentaine passée avec un roman préfigurant une œuvre singulière, intitulé Le lustre du grand théâtre et parrainé par le seigneur du style qu’était André Pieyre de Mandiargues ? « Le lustre représentait bien cette menace magnifique que je sentais au-dessus de moi, qui pourrait me tomber dessus et que j’imaginais me traverser sans me blesser… En fait, je me suis toujours senti vulnérable», ajoute ce doux subversif qui n’en défia pas moins l’ordre établi (dont témoigne le délectable récit d’Aujourd’hui je ne vais à l’école) pour s’en prendre à l’être sans doute le plus compliqué de la Création, identifié sous le nom de Dieu.
«À vrai dire je n’ai rien contre Dieu », précise alors l’auteur de l’immense et dérangeant Homme seul, qui vient d’aggraver son cas avec L’Homme religieux. «Si j’ai perdu la foi à 18 ans, le sujet m’a toujours passionné. J’ai toujours voulu savoir « comment ça marche », et le fait est qu’en tuant nos dieux nous avons réduit nos cerveaux, car la religion a bel et bien été le tremplin de notre plus haute imagination et de la grandeur humaine »…

Portrait photographique: Patrick Martin.
DATES
1935 Naissance à Berne, de parents neuchâtelois.
1954 Apprentissage de libraire à Lausanne
1956-64. Libraire à Zurich, Londres (Foyles) et Genève. Voyage au Moyen-Orient avec Jean-Jacques Langendorf.
1961-62 Attentat anarchiste contre le consulat d’Espagne à Genève. Procès et prison.
1962-64 Libraire à Paris, au Palimugre.
1967 Le lustre du grand théâtre, premier roman, paraît au Seuil. Dix livres, romans et essais, suivront, tous à L’Age d’Homme.
1965-68 Reprend la librairie Rieben à Lausanne.
1979 Naissance de Sylvain, suivi de Marc en 1981.
1996 Parution de L’Homme seul, essai. Prix Lipp 1997.
1968-2001 Editeur avec Vladimir Dimitrijevic, à L’Âge d’Homme.


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