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Turquie dans l'Union européenne : la parole aux blogueurs

Publié le 03 juin 2009 par Roman Bernard
Grâce à la recommandation d'Ygor Yanka - qu'il en soit remercié ici -, j'ai participé à un débat sur lexpress.fr avec Marie-Antide Fort, auteur du blog Paristanbul, sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Le texte précédant la vidéo correspond à ma tribune publiée sur lexpress.fr, le reste constituant l'annexe que je n'avais pas la place d'y publier.
Le débat sur l'intégration européenne de la Turquie est particulièrement biaisé en France. A ceux qui, comme Michel Rocard -ne définissant l'identité européenne que sur de purs critères économiques- plaident de façon assez cohérente pour l'adhésion turque, répondent d'autres, le plus souvent de droite et souverainistes, selon lesquels la Turquie ne saurait entrer dans l'Union européenne, n'étant pas située géographiquement en Europe. C'est le fameux argument de Nicolas Sarkozy: "la Turquie est en Asie mineure".
Cet argument, très superficiel, est assez facilement démenti par le fait que ni le détroit du Bosphore, enjambé par des ponts qu'empruntent chaque jour des centaines de milliers de Stambouliotes, ni celui des Dardanelles, ni, dans le cas de la Russie, l'Oural, chaîne discontinue de grosses collines, ne constituent des frontières de l'Europe.
Elles ont été fixées arbitrairement, sans considération des réalités culturelles de part et d'autre de ces lignes de démarcation, et en plein milieu de deux Etats souverains.
Il vaudrait mieux commencer par définir ce qu'est l'Europe, et donc par réfuter cet argument géographique. Au contraire de l'Afrique, et des deux Amériques, l'Europe, pas plus que l'Asie, n'est un continent. C'est une partie du continent eurasiatique, comme l'Asie.
S'il existe donc une identité européenne, qui permette à la fois de définir ce qui unit les Européens et les différencie des autres peuples, et notamment de ceux d'Asie, ou plutôt d'Orient, elle ne saurait être que culturelle, et non géographique.
Elle ne saurait non plus être appréhendée selon des critères socio-économiques, au risque d'en arriver à définir comme "européens" des pays situés sur chacun des continents. La définition d'une identité culturelle de l'Europe implique de chercher dans l'histoire les éléments constitutifs de l'identité européenne. Les peuples qui se sont définis comme "européens" au cours de l'histoire ont tous reconnu un quadruple héritage juif, grec, romain et chrétien.
C'est au nom de cet héritage historique commun aux peuples européens que la Turquie, héritière de l'Empire ottoman, qui abritait à la fois le siège du califat islamique et du sultanat régnant sur une partie notable du monde arabo-musulman il y a encore moins d'un siècle, ne peut être définie comme européenne.
Elle ne peut donc pas, si toutefois l'Union européenne se conçoit comme un projet de civilisation et non pas seulement une zone de libre-échange, intégrer l'Union.

Turquie dans l'UE - La parole aux bloggeurs

Certes, les cultures changent. Certes, la Turquie, grâce à l'action décisive de Mustafa Kemal, s'est considérablement rapprochée, sur les plans politique, juridique, économique, mais aussi culturel, des valeurs européennes. Mais il convient de se demander, à la lumière des succès récurrents du parti islamiste "modéré" de Recep Tayyip Erdogan, l'AKP, et des tendances de la société turque que ceux-ci manifestent, si le paradigme kémaliste n'est pas en train de prendre fin. Si, structurellement, la place de la Turquie n'est pas davantage dans le monde arabo-musulman, dont elle a été le leader pendant plusieurs siècles avec l'Empire ottoman.
Il ne suffit pas, pour refuser la candidature turque, d'invoquer la non-reconnaissance du génocide arménien et de l'Etat chypriote ou la répression des séparatistes kurdes. Ces problèmes, qui interdisent pour l'heure l'adhésion de la Turquie, risquent d'occulter des questions de fond liées aux différences de culture entre les pays européens et la Turquie, et qui contineront à se poser avec acuité.
C'est ce qui est arrivé récemment avec la succession du secrétaire général de l'OTAN, le Néerlandais Jaap de Hoop Scheffer. Le gouvernement turc a menacé d'opposer son veto à la candidature du Danois Anders Fogh Rasmussen. Celui-ci avait, en sa qualité de Premier ministre du Danemark, défendu la publication des caricatures de Mahomet en 2005, au nom de la liberté d'expression.
La justice turque, elle, poursuit actuellement l'écrivain Nedim Gürsel pour son roman Les Filles d'Allah. Il lui est reproché de déniger les valeurs religieuses. Comment envisager de faire entrer dans l'Union européenne un Etat dont la conception de la laïcité est plus proche de celle de la France concordataire (entre 1804 et 1905) que celle que la France et l'Europe ont fini par adopter ? Comment être sûr qu'un pays où le caractère séculier - plutôt que laïque - de l'Etat est garanti par l'armée pourra se fondre dans l'Europe ?
Tant que la laïcité ne sera pas en Turquie quelque chose de naturel, mais le fruit d'un compromis entre le pouvoir politique, appuyé sur le bras séculier de l'armée et de la magistrature, et la société civile turque, c'est-à-dire tant que la Turquie n'aura pas fait sienne la conception européenne de la laïcité et adapté ses mœurs en conséquence, la candidature turque sera impossible. Le problème, plus que celui de la Turquie, est d'abord celui des critères de Copenhague, bien trop superficiels pour répondre à cette question.
Roman Bernard

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